Le double-jeu de l’Autriche
Après une grande frayeur lors des législatives autrichiennes de 2017, la communauté européenne se trouve rassurée de la défaite du parti populiste et nationaliste FPÖ au profit d’une droite plus modérée. Malgré leur échec, le FPÖ autrichien signe un record historique avec l’obtention de 26% des voix, et parvient même à se glisser dans les faveurs du chancelier Kurz, et se hisser au gouvernement. La nature de ce rapprochement, quant aux véritables idéaux du parti au pouvoir ou d’une tentative de regagner de la popularité, reste floue. En signant le traité de collaboration entre les deux partis, le plus jeune chancelier d’Autriche plonge son peuple dans un climat d’incertitude et de conflit, qui remet en question la position du pays, ses enjeux, ainsi que sa place au sein de l’union européenne. Qu’implique cette coalition, que révèle-t-elle de la mentalité du peuple autrichien et quel avenir pour le FPÖ ? A quelques mois des européennes, le penchant populiste de l’orientation politique autrichienne plonge son peuple dans un avenir incertain et instable, en s’inscrivant dans la montée d’une droite identitaire « mainstream » dans une Europe sceptique en pleine crise identitaire.
Douze ans se sont écoulés avant que le parti d’extrême-droite autrichien ne revienne au gouvernement, sous l’œil inquiet des institutions européennes. Créé en 1956, le FPÖ s’impose au lendemain de la seconde guerre mondiale au sein d’un peuple qui préfère davantage s’identifier comme victime des forces hitlériennes que reconnaître une once de collaboration. Après un premier boom de popularité en 1990, les extrémistes parviennent à se hisser de nouveau sur le devant de la scène politique en formant un gouvernement de coalition avec le jeune chancelier. Ce rapprochement replonge alors la politique autrichienne dans le doute. Kurz, à la tête du ÖVP revendiqué de droite modérée, avait pourtant prôné dans son programme une Europe unie et forte.
Au nez d’une Europe consternée, le FPÖ se hisse sans encombre jusqu’aux postes les plus hauts-placés de vice-chanceliers et de ministres, six ministères au total dont trois régaliens (Affaires Etrangères, Intérieur et Défense). Que penser de cette présence à la tête de l’Autriche de ces représentants souvent associés aux descendants nationalistes SS ? Les idéaux prônés par les représentants du parti façonnent une nouvelle image du pays, qui semble se rallier aux mouvements populistes qui se forment et se propagent en Italie, Hongrie, Allemagne, et plus récemment en Suède. Le ministre de l’Intérieur, Kikl, est connu pour être spécialiste des slogans xénophobes et antimusulmans. Quant à l’immigration, il n’est pas inconnu que le FPÖ revendique des mesures anti-migratoires non-chrétiennes, traduites par des mesures anti-intégration comme la suppression des cours en allemands pour les nouveaux arrivés et l’expulsion accélérée des sans-papiers ces derniers mois. Récemment, le ministère de l’Intérieur a également engagé des poursuites à l’encontre du grand groupe de média autrichien BVT, faisant craindre le respect de la liberté de la presse pour les journalistes qui osent remettre en cause la légitimité du parti. On se demande alors, comme le journal satirique local Titanic l’a illustré , si derrière l’image fraîche de Kurz ne se cacherait pas un « Bébé Hitler » fourbe et plein d’ambition.
Cependant, ce rapprochement peut également illustrer une tentative de Kurz de regagner l’approbation populaire d’une société reconquise peu à peu par les idéologies d’extrême droite. En effet, la contestation autrichienne ne se laisse pas entendre. Contrairement aux années 2000, où la montée du FPÖ avait mené à de grande manifestations et boycotts d’un peuple en colère, ainsi que des sanctions de la part de l’Union Européenne, cette nouvelle coalition ne donna naissance qu’à très peu de mouvements contestataires. A l’opposé de l’Allemagne, où la remontée du parti fasciste mène à des manifestations à répétition, le FPÖ a réussit à gagner le cœur de certains membres de la population. Malgré une revendication politique anti-migratoire associée à des principes qui découlent de leurs racines néo-nazis, le parti se glisse facilement aux plus hauts postes face à une population gagnée par une « blasé attitude » face à la collaboration de Kurz. La banalisation et dédiabolisation de l’extrême droite dévoile à la fois la réussite de la proposition d’un populisme accessible, mais également le balancement des communautés européennes dans leur ensemble vers une politique plus dure. Passant au travers des scandales antisémites qui ont pu frapper plusieurs membres du parti l’année dernière, ainsi qu’aux associations douteuses de certains d’entre eux avec les jeunesses idéo-nazies, la communauté autrichienne semble avoir tacitement accepté sa présence au pouvoir.
En outre, cette gouvernance conjointe réussit à s’imposer auprès du peuple. Plus de 24% et 34% de la population autrichienne soutiennent respectivement les partis ÖVP (Kurz) et FPÖ. A titre de comparaison, rappelons que le taux de popularité du président Macron atteint aujourd’hui seulement 31% en France. La population veut croire au changement, et ne doute pas de la nécessité de prendre des mesures fortes vers une réaffirmation politique de l’Autriche sur la scène internationale. Le porte-parole du gouvernement Peter Launsky-Tieffenthal contourne les contestations étrangères qui pointent du doigts cette radicalité draconienne en rappelant par exemple le statut de l’Autriche comme pays d’accueil aux réfugiés, deuxième pays européen à ouvrir le plus ses portes aux étrangers (plus de 80 000 réfugiés).
L’opposition est désormais paralysée. Les autrichiens se réjouissent d’une réaffirmation de la nation à différentes échelles et soutiennent plus que jamais le gouvernement Kurz, à la veille d’européennes particulièrement déterminantes dans le cadre actuel d’une Union en plein reconstruction, affaiblie par les négociations interminables du Brexit et attaquée par les pensées eurosceptiques des partis nationalistes émergents. En 2000, les rues de Viennes s’étaient noircies de contestataires libéraux soutenus par les organisations internationales. Cette année, les rues sont vides, les voix se sont tues. Le FPÖ a sû s’imposer en populisme banalisé.
Pourtant, certains comportements contradictoires font perpétuer ce brouillard dans la gestion politique menée par Kurz. Le 10 septembre dernier, ce dernier vote en faveur de l’application de l’Article 7 contre le premier ministre hongrois Viktor Orban , leader du parti nationaliste Fidesz et prôneur de la fin de la démocratie libérale, qui vise des condamnations dues au non-respect des dogmes et valeurs de l’union européenne. Cependant, c’est avec ce même Orban que l’on a vu quelques jours plus tôt le FPÖ tendre la main, proposant une alliance stratégique afin de s’imposer aux européennes, alliance qui suit le schéma des tactiques du parti extrémiste, qui s’était allié au parti nationaliste anglais UKIP l’année passée. Contredisant ces accords, Kurz se positionne du côté de la France et de l’Allemagne en votant en faveur de l’application de ces mesures punitives, réaffirmant son autorité et son appartenance à l’UE.
De plus, des contradictions au sein même du FPÖ lève subtilement le rideau sur un parti dont l’unité et la puissance est encore à consolider. Alors que Vilimsky refuse toute collaboration avec des puissances hors-européennes, revendiquant une idéologie isolationniste, rejetant la main tendue de Steve Bannon (USA) et se distançant de la Russie, la ministre des affaires étrangères autrichiennes Kneissl, FPÖ, créé la polémique en dansant au bras de Poutine, invité d’honneur à son mariage la semaine dernière. En contrepartie de leur présence inéluctable au gouvernement, le FPÖ remet également en cause certains aspects de son populisme extrémistes. Les propos antisémites et racistes se font moins entendre, et le parti rejeta même son association avec le journal d’extrême droite Aula, qui disparut de la presse. En plus de cela, le FPÖ fut contraint de reconsidérer ses positions sur différents traités de libre-échange. En tolérant l’AECG (Accord Economique et Commercial Global) qui unit l’Europe et le Canada, ainsi qu’en acceptant le prolongement des budgets de financement pour l’UE, le parti extrémiste glisse vers une acceptation du libéralisme économique voulue par Kurz.
En conséquence, on peut se demander si la collaboration affichée de Kurz ne dissimule pas une tentative de maîtrise du parti. Le chancelier actuel a pu défendre des idées de droite légèrement plus radicales que la norme lors des élections, dans le but de diviser les votes des extrémistes, et se montrant prêt à travailler avec le FPÖ, qui perd alors de son statut de marginal contestataire renforcé. Par un double jeu , Kurz récupère ainsi les voix et approbations de membres de différents partis, et parvient à faire conserver en Autriche un gouvernement mené par un parti plus modéré: être proche de ses amis et encore plus de ses ennemis. Ainsi, Kurz se révélerait fin stratège de proposer une alliance qui lui permet en réalité de garder la mainmise sur les grandes décisions sans nourrir l’étincelle populiste nationaliste qui semble enflammer l’Europe.