La Suisse et l’Union Européenne: un concubinage complexe
Depuis 25 ans, la Suisse et l’Union Européenne entretiennent des relations complexes et relativement obscures pour la plupart d’entre nous. Hors de l’Union et de la zone euro, mais intégré aux accords économiques et à l’espace Schengen, ce pays au cœur de l’Europe est constamment contraint de renégocier des accords bilatéraux.
Les raisons de cette non-adhésion à l’UE, qui relève pourtant d’un renforcement des liens commerciaux, économiques et sociaux autour des deux puissances, restent pour beaucoup relativement floues. Petit flashback historique : en 1992, le peuple suisse avait d’abord voté contre son entrée à l’Espace Économique Européen lors du fameux « dimanche noir », puis, face à une nation divisée avait finalement concédé aux négociations des premiers accords bilatéraux en 1999. Ceux-ci mettent alors en place un premier contrat de libre-échange, qui ouvre à la Suisse les portes du marché intérieur de l’Union Européenne, et forment un premier terrain d’entente économique. Toujours pas de succès du côté des europhiles suisses pour une entrée dans l’UE, mais malgré le scepticisme dominant, les accords se multiplient et en 2004, la Suisse entre dans l’espace Schengen. Puis, « coup de théâtre » en août dernier, avec l’Union Syndicale Suisse qui refuse d’assouplir des mesures de libre circulation avec les pays de l’UE. Fort heureusement, cette affirmation se retrouve également contestée par une grande partie du peuple suisse, et aboutit finalement à la possibilité de négociations autour d’un nouvel « accord-cadre » entre les peuples helvétiques et européens. Celui-ci remet en cause l’importance et la valeur des relations entre une Suisse fière de son autonomie – en vérité assez relative – et une Union en pleine crise, qui redéfinit à nouveau les rapports de force entre ces deux unités interdépendantes.
Il est important de rappeler la volonté de co-entente entre la Suisse et l’UE. Malgré leur retrait de demande d’adhésion à l’UE en 2014, qui, selon les institutions suisses était hors-propos depuis le « dimanche noir » de 1992, la Suisse met en place des mesures qui réaffirment des liens cordiaux. En effet, ce sont deux économies interdépendantes qui entretiennent des liens inéluctables. La Suisse et l’UE partagent l’emploi de trois langues (allemand, français et italien), la chaîne de montagnes si convoitée par touristes et locaux des Alpes, et une volonté d’action tournée vers l’innovation avec leurs adhésions au projet Horizon 2020. La Suisse gagne un franc sur trois grâce à ses échanges avec l’UE et est le pays tiers avec qui l’Union a conclu le plus grand nombre d’accords (plus de 120). Les hauts salaires de la Suisse attirent également une grande partie de travailleurs étrangers et leur structure financière est réputée pour concentrer plusieurs comptes off-shore personnels ou professionnels. Ainsi, plus de 322 000 frontaliers de l’Union Européenne viennent travailler chaque jour en Suisse.
De plus, le pays du chocolat œuvre afin de préserver et d’entretenir la multiplicité des échanges entre ses citoyens, ses entreprises et l’Union. De nombreuses mesures et de grands projets sont mis en place afin de favoriser la circulation des biens. Ainsi, en 2016, le tunnel ferroviaire du Saint-Gothard, le plus long du monde avec ses 57 km, permet une accélération des trajets au sein de l’Etat Fédéral et avec ses pays frontaliers tels l’Allemagne ou l’Italie. La Suisse présente son investissement dans le projet comme « une immense contribution de la Suisse aux infrastructures européennes de transport et le symbole des valeurs helvétiques ». Plus récemment, la population Suisse réaffirme également son attache à l’Union : face au référendum sur son « autodétermination » prévu en 2019, concernant la réaffirmation de sa puissance en coupant court aux principaux accords bilatéraux avec l’UE, les premiers sondages montrent clairement une domination du « non » qui révèle la solidité des liens entre les différentes nations.
Cependant, la Suisse est régulièrement sujet de critiques vis-à-vis des avantages dont elle bénéficie en restant en dehors de l’Union Européenne. La nation helvétique se retrouve de nouveau en pleine polémique alors qu’une loi récente de la Commission Européenne supprime le paiement d’allocations d’aides sociales aux non-résidents de l’Union. En effet, les citoyens qui résident dans un pays extérieur à l’UE n’auront plus à payer d’impôts d’aides sociales, qu’ils aient un passeport européen ou non. Ainsi il y aurait un net avantage pour les nationalités européennes de venir habiter dans un des pays de la zone de libre-échange européenne non adhérente à l’UE, comme la Suisse. Cette exemption pourrait alors provoquer une vague d’immigration fiscale et un boost économique supérieur chez les pays adjacents à l’UE.
Dans l’optique de consolider les attaches européo-suisses, la négociation d’un accord-cadre a été engendrée dans le courant du mois de septembre afin de renégocier les principaux termes régissant les marchés des deux zones. Ce contrat a pour objectif de redéfinir les régulations encadrant les différents échanges commerciaux traversant les frontières, tout en clarifiant la normalisation et l’équilibre de la compétition des marchés. Pour ce nouvel accord-cadre, les principaux points de débat portent « sur l’entraide et, surtout, sur les mesures d’accompagnement visant à empêcher le dumping social et salarial ». La volonté suisse d’entretenir cette alliance commerciale s’illustre dans les sondages prélevés début septembre sur le « pour et contre » de ce nouvel accord-cadre. La grande majorité des citoyens de tous partis a opté sans hésitation vers le « pour ». La seule exception concerne les partisans de l’UDC (l’Union Démocratique du Centre), qui se rapproche le plus des idéaux de l’extrême droite: ils ont voté à 4 votes sur 5 en faveur du « contre ». De leur point de vue, la Suisse repose trop sur l’Union Européenne et serait presque exploitée par elle. Les partisans de l’UDC argumentent que la Suisse devrait se réaffirmer en tant que puissance indépendante. Fort heureusement, l’ensemble de la population suisse ne partage pas cet avis et l’accord-cadre est aujourd’hui en cours de négociation.
Néanmoins, alors que ces nouvelles mesures devaient être discutées et établies avant la mi-octobre, le dialogue semble stagner, sans connaître encore de véritable percée. Le 16 octobre dernier, après 4h de réunion entre Berne et Bruxelles à la Commission Européenne belge, les négociateurs suisses se sont tus à tout commentaire. La capitale européenne a affirmé connaître peu de progrès, tout en soulignant qu’avec le Brexit, cet accord institutionnel n’est clairement pas leur priorité majeure. Cela reflète la complexité de ce rapport de force entre un pays isolé qui tente de s’affirmer face à 27 pays, certes en crise, mais unis.
Trouver un équilibre entre ces deux puissances reste compliqué. Cependant, l’amitié entre elles est toujours présente. Lorsque le journal national Le Temps interroge Ignazio Cassis, ministre suisse des affaires étrangères, sur la possibilité de l’aboutissement d’un accord-cadre avant la fin de l’année, celui-ci résume ce dialogue intereuropéen complexe : « Nous faisons un pas en avant, puis un pas en arrière, puis deux pas en avant, c’est un peu tout le temps comme ça […] L’espoir est toujours là. Mais il reste encore des obstacles à surmonter ». Il rappelle la principale volonté de la Suisse, pour une Europe solide et alliée, de « consolider un concubinage avec l’UE ». Pas de mariage donc, mais une cohabitation et un lien inéluctable qui renforcent l’entente et les relations entre la Confédération Suisse et les institutions Européennes.
Edited by Salome Moatti