Retrait américain de l’accord nucléaire iranien: le front uni de l’Europe
L’accord nucléaire iranien, formellement nommé le “Joint Comprehensive Plan of Action” (JCPOA), est l’aboutissement de 12 années de négociation entre l’Iran et les grandes puissances internationales (les P5+1 – USA, Royaume-Uni, France, Chine, Russie et Allemagne). L’accord stipule qu’en échange de la levée des sanctions internationales visant à paralyser l’économie iranienne, Téhéran s’engage à limiter le programme nucléaire iranien pendant au moins une décennie et à se soumettre à des contrôles renforcés d’observateurs de l’Agence Internationale de l’énergie Atomique (AIEA). Cet accord, que certains considèrent comme un point culminant de la diplomatie internationale, permet de favoriser le commerce entre l’Iran et le reste du monde dans la perspective d’une croissance positive des deux économies, et d’une diminution des tensions internationales vis-à-vis de l’Iran. Alors que les Etats-Unis se retirent de l’accord iranien engendrant ainsi l’imposition de fortes sanctions économiques envers l’Iran et les grandes entreprises possédant des liens commerciaux avec le pays, les dirigeants européens affichent un front uni face aux Etats-Unis.
Pourtant, le président Américain Donald Trump n’a jamais caché son aversion à l’égard de cet “accord désastreux”. Depuis son élection, ce dernier promet de démanteler ce qu’il qualifie de “pire accord jamais signé par les États-Unis”. Après s’être relayé auprès du dirigeant américain pour plaider le maintien du JCPOA, Emmanuel Macron, Angela Merkel et Boris Johnson, ont annoncé la possibilité de répondre aux griefs américains par un accord complémentaire. Malheureusement, contrairement aux affirmations de l’AIEA qui stipulent que cette dernière n’a “aucune indication crédible d’activités en Iran liées au développement d’un engin nucléaire après 2009”, Trump se dit être en possession de preuves affirmant que l’Iran a violé les termes du JCPOA. C’est donc sans surprise que le 8 Mai dernier, Trump annonce, par décret présidentiel, que les États-Unis se retirent de l’accord, et que la Maison Blanche établira donc progressivement des sanctions contre l’Iran.
Cette annonce est un coup dur pour les dirigeants des pays signataires de l’accord. La Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Federica Mogherini, s’est exprimée sur son “inquiétude particulière” pour le futur économique de l’Iran et des pays de l’Union Européenne. Selon elle, l’accord “a eu un impact positif sur les relations commerciales et économiques avec l’Iran, y compris en apportant des bénéfices cruciaux au peuple iranien”. La perte d’un signataire aussi considérable que les Etats-Unis déstabilise les relations internationales avec l’Iran, affaiblissant ainsi l’économie du pays.
Craintives des sanctions qui pourraient leurs être imposées, la majorité des sociétés européennes hésitent à renoncer au marché Iranien. En effet, à travers ces sanctions économiques, le gouvernement américain cherche à établir un embargo contre l’Iran, et incite donc les entreprises établies en Iran et commerçant avec le pays, à prendre leurs précautions vis-à-vis du commerce avec ce dernier. Suivant la déclaration du président américain, John Bolton, conseiller à la sécurité national de Donald Trump, a ainsi déclaré que chacun devait “décider s’ils veulent maintenir des relations économiques avec Washington ou avec Téhéran”, positionnant alors ces entreprises dans une situation à choix limités et contraints. Ce dernier a précisé que le rétablissement des sanctions américaines prendra effet de façon immédiate concernant les nouveaux contrats, et a ajouté que les entreprises étrangères n’auront que quelques mois pour “sortir” d’Iran. A l’inverse, les entreprises gardant des liens commerciaux étroits avec le pays se verront boycottées par les États-Unis. Il est tout de même nécessaire de noter, qu’après la mise en œuvre de l’accord sur le programme nucléaire iranien en 2015, beaucoup d’entreprises européennes avaient reçu des licences spéciales ou le feu vert du Trésor américain pour commercer avec l’Iran. Ces dernières se retrouvent donc aujourd’hui dans une impasse, et n’ont d’autre choix que de se retirer du marché iranien pour pouvoir garder accès au marché national de la première puissance économique mondiale.
Un des retraits européen les plus importants est celui du pétrolier français Total, qui avait précédemment signé un contrat mutuel avec le groupe chinois CNPC. Le groupe comptait investir 5 milliards de dollars, soit 4,2 milliards d’euros pour exploiter le gisement South Pars, situé en territoire Iranien. Cependant, suite aux menaces américaines contre les entreprises poursuivant toute forme de commerce avec Téhéran, Total a annoncé qu’il se désengageait du projet de gisement gazier. Son président-directeur général, Patrick Pouyanné, a déclaré n’avoir d’autre “choix”, car selon lui, “vous ne pouvez pas diriger un groupe international dans 130 pays sans accès au monde financier américain”. La proéminence et l’influence du marché américain incitent donc les entreprises à suivre davantage les règles économiques imposées par les Etats-Unis, plutôt que celles d’un pays moins influent aux niveaux politique et économique. L’abandon d’un tel projet engendre une perte de 40 millions de dollars pour Total mais M. Pouyanné assure que, pour un groupe d’une telle envergure, cela ne représente qu’une petite somme à payer pour garder les États-Unis en tant qu’allié. Toutefois, l’Iran est l’un des plus gros producteurs mondiaux de pétrole; ainsi, si ce dernier n’est plus en mesure de fournir le marché international, beaucoup stipulent que le prix du baril explosera. Un telle hausse de prix vertigineuse augmenterait les coûts pour toutes les entreprises utilisant le pétrole comme matière première et, tout comme lors du choc pétrolier de 1973, les économies occidentales seront les premières touchées, ce qui ralentirait alors la croissance mondiale.
Total n’est pas le seul à révoquer ses contrats en Iran. Après Airbus, ATR, Peugeot, Renault, BNP Paribas etc., l’Iran voit son produit intérieur brut chuter, et se retrouve de plus en plus isolé de l’économie mondiale. Le dernier retrait en date est celui du groupe européen CMA CGM. Le groupe de transport maritime français a annoncé qu’il cessait à son tour ses activités commerciales en Iran. Rodolphe Saadé, dirigeant du groupe, annonce que le groupe “applique les règles” mises en place par l’administration Trump et décide ainsi de “mettre à terme la desserte de l’Iran”. CMA CGM n’est pas le seul dans son secteur; d’autre entreprises comme l’armateur danois A.P. Moller-Maersk ont fait de même. L’élimination de l’Iran des cartes de desserte des géants du transport maritime, rend l’importation et l’exportation de biens au pays plus complexe, réduisant davantage ses échanges avec le monde.
Mises au pied du mur par un dilemme posé par Washington au détriment de Téhéran, les grandes entreprises Européennes se retirent une à une du marché Iranien. Alors que l’économie iranienne est extrêmement dépendante du commerce international, ces pertes de contrats avec des entreprises européennes et américaines contribuent à son isolement mondial. Suite aux actions américaines, l’Iran a considérablement perdu en revenue total; le pays souffre actuellement d’une période de récession. Des milliers d’iraniens ont protesté contre la hausse vertigineuse des prix, les pénuries de produits alimentaires, et le chômage de masse ou la corruption, qui fragilisent le gouvernement du Président Hassan Rohani.
Face à la détresse Iranienne, plusieurs chefs d’états européens ont déjà réaffirmer la validité de l’accord et leur appui pour l’Iran. L’Union Européenne se dit “déterminée à préserver” l’accord nucléaire et ses relations avec l’Iran. Lors d’un discours au prix européen Charlemagne, le président français Emmanuel Macron, affirme que nul ne compte laisser Donald Trump “décider” pour les européens. Au contraire, ce dernier encourage les pays européens à être proactifs : “Ne soyons pas faibles, ne subissons pas”. Ainsi, l’Europe tente de préserver ses intérêts économiques et ses investissements en Iran. Heiko Maas, le ministre allemand des Affaires étrangères, affirme, en accord avec le message du président français, qu’il “est nécessaire de renforcer l’autonomie européenne”. De ce fait, Berlin appelle l’Europe à établir “des canaux de paiement indépendant des États-Unis”, pour contourner les sanctions unilatérales américaines et inciter le maintien de relations économiques européennes avec Téhéran.
Cependant, malgré les efforts unis des chefs d’états européens, Washington semble déterminée à faire plier les pays qui tentent de maintenir des relations commerciales avec Téhéran. Jouant la carte économique, les États-Unis exercent une pression forte sur les compagnies européennes, et sont déterminés à isoler l’Iran de l’économie mondiale. Washington a ainsi annoncé qu’une nouvelle vague de sanctions visant le secteur pétrolier et le secteur bancaire serait mise en place en novembre prochain. Les intentions américaines sont claires; Mr Bolton affirme que, selon lui, il n’est qu’une question de temps avant “que les (gouvernements) européens réalisent, comme les entreprises européennes, que le choix [..] est très simple”.
Les chefs d’Etats Européens ne semblent néanmoins pas près à céder aux caprices de l’administration Trump. Réaffirmant leur soutien envers le gouvernement Iranien de Hassan Rohani, ces derniers s’unissent pour maintenir les échanges commerciaux entre l’Iran et les entreprises européennes et défendent donc la durabilité de l’accord nucléaire de 2015.
Edited by Laura Millo.