Perdu en Translation
Qui ne connaît pas la fameuse formule de JFK « ich bin ein berliner » ? Me croiriez-vous si je vous disais que sa réelle traduction est « je suis un beignet » (1). Petit cours de langue rapide l’ajout de l’article ‘ein’ transforme le sens du nom Berliner, berlinois, à ‘berliner’, un beignet, spécialité de la capitale. Anecdote amusante qui montre néanmoins un laxisme certain de la part de l’auteur du discours.
L’usage d’internet semble avoir accentué une forme de dégradation dans la rigueur journalistique. En s’implantant digitalement, les journaux mais aussi la télévision, proposent leur service ‘gratuitement’ en se faisant financer par la publicité présente sur leur site/chaine télévisé. La compétition nouvelle fait la part belle au « racolage », mariant sensationnalisme et provocation afin d’attirer le plus de consommateurs. Il n’est pas surprenant d’observer une telle dérive puisque les médias sont, après tout, des entreprises ayant besoin de générer du capital pour subsister. Le problème se pose cependant lorsque la course aux vues prime sur la course à l’information. De plus en plus de cas de journalisme bâclé, d’informations non vérifiées et de traductions approximatives se font observer, problème inquiétant pour ces institutions capitales de la démocratie.
Il s’agit là d’un problème multidimensionnel pouvant être abordé sous différents angles. L’une des facettes les plus négligées est celle de la traduction. Internet et le libéralisme ont permis de baisser les frontières et d’accroître l’importance des relations internationales. Mais, qui dit international dit barrière linguistique. C’est là que prend toute l’importance du traducteur, il arrive parfois qu’un mot, si insignifiant soit-il, dicte le sens d’une déclaration complète.
Juin 2014, Vladimir Poutine donne une entrevue exclusive à TF1 et Europe1. Il lui est demandé de réagir aux propos d’Hillary Clinton ayant comparé auparavant ses actions à celles d’Adolf Hitler. Ses propos sont alors traduit par: « (…) il est préférable de ne pas débattre avec les femmes » Or le sens du verbe qu’il emploi, « sporitsya » vari selon le contexte de son utilisation. Il aurait été possible de traduire la phrase par « il est préférable de ne pas se disputer avec les femmes », une nuance certes légère mais non négligeable. Le traducteur enchaîne alors avec : « Quand les gens dépassent les limites, ce n’est pas parce qu’ils sont trop forts, mais parce qu’ils sont trop faibles. Mais peut-être que la faiblesse n’est pas vraiment un défaut pour une femme » or la phrase originelle se traduirait plutôt part « la faiblesse n’est pas vraiment la pire des qualités chez une femme » (2). Certes, monsieur Poutine ne se fait pas avocat des droits de la femme, mais est-ce réellement surprenant? Le problème de cette mauvaise traduction est l’engouement qui s’ensuivit. Le débat s’est alors concentré autours du machisme du leader éclipsant certains sujets clés comme l’annexion de la Crimée.
Un cas similaire de traduction approximative est celui de l’intervention d’Anne Hidalgo sur la chaîne télévisée CNN. La maire de Paris réagissait à l’affaire des ‘no-go-zones’ couvertes par Fox News (3). La journaliste de la chaîne lui demande alors si elle compte riposter, ce à quoi elle répond qu’elle envisage de faire intervenir une cours de justice. Ces mots sont alors traduit par « i think we’ll have to sue » (4). Passant alors d’un terme nuancé ‘j’envisage’ énoncé comme une possibilité; à une obligation ‘have to’, nous devrons. Se retrouve alors une détermination dans la traduction absente de la déclaration originelle. Suite à cette entrevue les propos de la mairesse sont repris sur multiples médias, des théories évaluant les chances de gagner ou perdre ce procès sont échafaudées et la politicienne se retrouve ridiculisée. Bien que les intentions réelles de la maire ne puissent être vérifiés il est indéniable que suite à la déformation de ses propos elle ait été poussée dans la direction du procès. Cette faute de traduction a donc eu un potentiel impact sur l’action de la figure publique ainsi que sur son image.
Autre exemple moins médiatisé, l’interview donnée à CNN par Didier François, ancien otage de Daech, dont un extrait suit:
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Ils faisaient une sorte de prêche, ils essayaient de nous enseigner…
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Ils vous enseignaient le Coran?
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Ouais, mais ils essayaient plus de marteler ce qu’ils croyaient que de nous enseigner ce que dit le Coran. Parce que ça n’a rien à voir avec le Coran, on n’avait même pas le Coran, ils ne voulaient même pas nous donner le Coran, donc ça n’a rien à voir avec le Coran.
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Donc ce ne sont pas des fanatiques religieux?
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.. Ce qu’ils croient, ce qu’ils pensent, ils essayaient de nous le marteler parce que c’est ce qu’ils croient, ça n’a rien à voir avec le Coran, c’est leur vision du monde.
Jusqu’ici tout vas bien, mais les traducteurs de la chaîne furent visiblement confus par les propos de l’ex-otage, traduisant « we didn’t even have the Quran, they would not give it to us » par « they didn’t even have the Quran» (5) Le récit du français est alors déformé au profit d’un Tweet très alléchant. Contacté par les journalistes de Slate, l’ex otage explique qu’en effet ses propos avaient été mal retranscrits. CNN a véhicule donc de la désinformation grave puisqu’il serait question qu’un groupe se proclamant Islamiste ne soit en réalité pas attaché aux textes religieux.
Un dernier cas de désinformation effrayant remonte à Octobre 2005, où lors d’une conférence, le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, s’exprimait sur le cas d’Israël. Les média dénoncent les propos supposés d’Ahmadinejad, une volonté de « rayer de la carte » Israël. Le pays en question se proclame en état de
danger réel et imminent. Tohubohu en politique internationale, le Secrétaire d’État aux affaires politiques américaines de l’époque, R. Nicholas Burns s’exclame qu’après une déclaration telle il était inconcevable d’accorder le droit de développer le nucléaire à l’état Perse. Mais après vérification, il s’avère que le président iranien n’avait jamais tenu ces propos. De fait, puisque l’Iran ne reconnait pas l’Etat d’Israël il serait impossible de vouloir le ‘rayer de la carte’. Le président avait en fait dit souhaiter l’effondrement du régime sioniste à la tête du pays (6). Une faute dans l’interprétation des propos du président qui avait alors mené à des tensions diplomatiques graves.
Qu’ils soient plus ou moins importants, les cas de traduction bâclée semblent s’être multiplier ; une tendance inquiétante pour une institution dont le rôle est d’informer les populations. Comme le disait Emile Cioran “Une traduction est mauvaise quand elle est plus claire, plus intelligible que l’original. Cela prouve qu’elle n’a pas su en conserver les ambiguïtés, et que le traducteur a tranché : ce qui est un crime.” (7)
(1) http://www.independent.co.uk/voices/comment/errors-and-omissions-how-a-wrong-translation-became-the-great-berlin-bakeoff-8631377.html
(2) http://www.liberation.fr/monde/2014/06/05/poutine-traduction-imprecise-ou-veritable-goujaterie_1034276
(3) https://www.mironline.ca/?p=3892
(4) http://www.canalplus.fr/c-divertissement/c-le-petit-journal/pid6515-le-petit-journal.html?vid=1207363
(5) http://www.slate.fr/story/97571/didier-francois-coran
(6) http://www.nytimes.com/2006/06/11/weekinreview/11bronner.html?_r=1&
(7) Cioran, Emil. Cahiers, 1957-1972. Paris: Gallimard, 1997. Print.