#GandhiMustFall
Il ne reste plus qu’un socle vide. En décembre dernier, étudiants et professeurs de l’université du Ghana ont démonté une statue de Gandhi qui se trouvait au milieu du campus de Legon depuis 2016. On reproche à l’icône de la non-violence d’avoir tenu des propos racistes contre les Africains Noirs lors de son séjour en Afrique du Sud de 1893 à 1914; une facette méconnue du Mahatma que l’Inde continue d’ignorer au profit de son agenda diplomatique.
La statue avait été offerte à la prestigieuse université ghanéenne par l’ancien président indien Pranab Mukherjee. Ce dernier avait fait le déplacement jusqu’à Accra pour l’inauguration. Dès lors, un professeur de l’université avait lancé une pétition pour le déboulonnement de la statue, soutenant qu’un Gandhi raciste ne méritait pas d’être honoré sur le campus. Bien que l’ancien gouvernement ghanéen ait déclaré qu’elle allait être relocalisée, craignant que la controverse ne nuise aux relations amicales entre l’Inde et le Ghana, le retrait de la statue fait suite à deux années de revendications de la part de professeurs et d’étudiants. «This is a victory for black dignity and self-respect. The campaign has paid off. » (« C’est une victoire pour la dignité et l’estime de la communauté noire. La campagne a payé. ») a déclaré Obadele Kambon, directeur du département de littérature de l’institut des études africaines à l’Université du Ghana.
Des événements similaires sont survenus ailleurs en Afrique: le Malawi a suspendu la construction d’une statue de Gandhi à Blantyre en octobre dernier, après qu’une pétition ait recueilli plus de 3500 signatures. De même, en 2015, une sculpture en l’honneur du Mahatma avait été vandalisée en Afrique du Sud.
Pourquoi des activistes de certains pays Africains s’insurgent-ils contre une figure historique si adulée, reconnue pour sa tolérance et son pacifisme ? Des indices se trouvent dans les mémoires de son séjour en Afrique du Sud de 1893 à 1914. À cette époque, Gandhi venait de s’établir à Bombay en tant qu’avocat et peinait à trouver des clients, quand un proche de sa famille lui propose de le suivre en Afrique du Sud pour l’aider à régler un litige financier. Gandhi accepte cette proposition, qui lui permet enfin de gagner sa vie.
L’ouvrage de deux professeurs sud-africains, Ashwin Desai (Université de Johannesburg) et Goolam Vahed (Université de Kwazulu-Natal), The South African Gandhi: Stretcher-Bearer for Empire (Gandhi le Sud-Africain ; brancardier de l’Empire), publié en 2015, révèle une facette méconnue du Mahatma ; celui d’un homme convaincu de la supériorité de la « race » indienne sur celle des Africains. Ce dernier aimait particulièrement désigner les populations locales d’Afrique du Sud par le terme péjoratif et méprisant de « kaffirs » ou « cafres », largement utilisé pendant l’ère coloniale.
Le livre révèle d’ailleurs que l’un de ses premiers combats était d’obtenir une entrée séparée des Sud-Africains noirs pour les Indiens, au bureau de poste de Durban. « Nous jugions cela indigne, écrit Gandhi, et nous avons demandé aux autorités de mettre fin à cette aberration. Désormais, il y a trois entrées séparées, pour les indigènes, les Asiatiques et les Européens ».
En 1903, il affirme même ceci: « Nous estimons également que la race blanche en Afrique du Sud doit être la race prédominante ».
Ainsi, tout au long de son séjour, Gandhi s’appuie sur des préjugés raciaux contre les Noirs afin de prouver aux dirigeants britanniques que la communauté indienne d’Afrique du Sud est supérieure aux Africains locaux. Plutôt que l’obtention de l’égalité raciale, Gandhi aspirait en fait au maintien de la domination européenne, à condition qu’elle inclue la race indienne. Cette facette surprenante du Mahatma est peu connue en partie parce que celui-ci a souvent cherché à en occulter les preuves, notamment lors de l’écriture de ses mémoires à la fin de sa vie. Ramachandra Guha, auteur du livre Gandhi avant l’Inde, soutient que « son mépris pour les Africains fait tache dans sa mythologie de saint ».
Cette controverse remet en question la canonisation internationale et unanime de Gandhi. Le sujet est d’autant plus délicat que plusieurs grandes figures noires de l’indépendance postcoloniale, à l’instar de Nelson Mandela et Martin Luther King Jr., ont souvent crédité l’ancien avocat indien d’avoir été pour eux une source d’inspiration majeure. Toutefois, à la lumière de cet aspect plus sombre du personnage, il semble nécessaire de remettre en question l’héritage de Gandhi, notamment en matière de diplomatie. En effet, l’Inde instrumentalise volontiers la popularité de son héros national afin de renforcer ses liens diplomatiques. Elle a ainsi offert à de nombreux partenaires des bustes, portraits, et autres monuments à l’effigie du Mahatma. La ville de Québec s’est ainsi vu offrir son propre buste en 2006 par la République indienne.
Le nouveau contexte géopolitique mondiale a poussé l’Inde dans les dernières années à intensifier ses rapports diplomatiques en Afrique. Bien que son rival chinois le supplante de loin en matière d’investissement sur le continent – surtout par l’entremise de l’initiative « One Belt One Road » – l’Inde compte bien renforcer la coopération indo-africaine, à l’aide notamment de sa marque « Gandhi ». C’est dans cette perspective que la République indienne avait offert la statue, dorénavant démontée, à l’Université du Ghana.
Pendant ce temps, le Centre International de Conférences Mahatma Gandhi, financé par le gouvernement indien, est en pleine construction à Niamey, capitale du Niger. Ce centre devrait recevoir la trente-troisième conférence de l’Union Africaine en juillet 2019. Considérant l’ampleur de cette approche diplomatique et son caractère contradictoire, de par les propos racistes de Gandhi, il est urgent que l’Inde reconnaisse son faux-pas. Offrir un monument à l’effigie d’un homme profondément raciste envers les Noirs à un pays africain afin de constituer les bases d’une relation diplomatique peut sembler absurde, indélicat, voire hypocrite.
Edited by Charles Lepage