Le Gazoduc Coastal GasLink Face Aux Populations Autochtones Wet’suwet’en : Un Conflit à Plusieurs Niveaux
Le projet de gazoduc Coastal GasLink, ayant pour but de relier Dawson Creek à Kitimat sur la côte de la Colombie-Britannique, a suscité de nombreux mécontentements. Le projet Coastal GasLink, long de 670 kilomètres, renforcerait l’export de ressources naturelles vers l’océan Pacifique, répondrait à la demande énergétique du transport maritime, et ouvrirait par la même occasion un marché à long terme vers les pays asiatiques. Toutefois, des projets visant l’instauration d’un canal d’une telle longueur implique des conséquences considérables sur l’environnement, comme la désintégration de l’écosystème, la migration de certaines espèces, et la pollution des rivières. En effet, le projet pourrait nécessiter des autorisations fédérales concernant La Loi fédérale sur les pêches, La Loi fédérale sur la protection des eaux navigables, mais aussi le Heritage Conservation Act, la loi de Colombie-Britannique sur la préservation du patrimoine.
Le cas de la pipeline Coastal GasLink suscite également une polémique puisqu’elle touche principalement les populations autochtones, déjà marginalisées de la société canadienne et dont l’influence dans les décisions politiques reste limitée. Bien que certaines nations supportent l’établissement de pipelines, la grande majorité des populations autochtones, notamment les Wet’suwet’en, défient aujourd’hui – physiquement et idéologiquement – la mise en place du projet. En effet, ce conflit n’est pas seulement matériel, il est aussi symptomatique d’un profond clivage idéologique. Alors que les manifestants fondent leur révolte sur la question de la propriété privée, il s’agit d’un problème plus profond : la dichotomie des visions entre les populations autochtones et la compagnie Coastal GasLink semble compromettre de manière irréparable la collaboration entre ces différents groupes.
L’opposition au projet par la communauté Wet’suwet’en se fonde principalement sur le non-respect de la propriété privée. Si aucun traité n’a été signé en Colombie-Britannique entre le gouvernement provincial et les populations autochtones, on se doit de noter qu’en 1997, l’Affaire judiciaire Delgamuukw a joué en faveur des populations autochtones. Au cours de celle-ci, plusieurs chefs autochtones Wet’suwet’en ont fait appel à la cour pour le droit de gouverner leur territoire, en appelant au « titre aborigène non éteint ». La Cour Suprême du Canada a plaidé en leur faveur et a déclaré que « le titre autochtone est aussi un droit à la terre, qui se couple avec les droits de chasser, pêcher et de récolter »[1]. Ainsi, l’affaire judiciaire Delgamuukw est aujourd’hui utilisée par les Wet’suwet’en, qui défendent leur droit de veto sur la mise en place d’une pipeline traversant leur territoire.
En plus des revendications territoriales, les Premières Nations combattent aussi pour leur propriété culturelle, c’est-à-dire le respect de leurs traditions, de leur culture, de leurs lois, et de leur religion, souvent en relation à la terre et l’environnement . Ainsi, la destruction du paysage et du territoire que le projet du gazoduc Coastal GasLink implique, entrave les pratiques culturelles des Wet’suwet’en.
Dès lors, une route délaissée dans le nord de la Colombie Britannique s’est transformée en un front de conflit politique entre représentants de l’industrie énergétique et les Wet’suwet’en. La médiatisation du conflit a mené de nombreux membres d’autres communautés autochtones et d’autres citoyens canadiens à soutenir ceux-ci. À l’entrée du territoire, un camp a été établi, empêchant la compagnie d’accéder au projet. L’emplacement du « blocus », a été créé il y a déjà plusieurs années par un des clans situés sur le territoire Wet’suwet’en, les Unist’ot’en, mais d’autres chefs de nations autochtones se sont joints à eux pour protester contre la mise en place de la pipeline. L’endroit, appelé Gidimt’en Checkpoint, situé au sud-ouest de Houston, est fortement surveillé par la gendarmerie royale, qui dit se dit « impartiale », « respect[ant] les droits des individus à des manifestations pacifiques, légales et sécuritaires ». Toutefois, la Cour de la Colombie-Britannique a dénoncé l’illégalité du « blocus », appelant tous les manifestants à rouvrir le passage. Le non-respect de cette décision a conduit à l’arrestation de certains individus. Par ailleurs, les violences commises par la gendarmerie royale et l’arrestation de 14 personnes le 8 janvier 2019 ont contribué à l’escalade du conflit.
Comme le mentionne John Borrows, professeur étudiant la question autochtone à l’Université de Victoria, nous avons beaucoup à apprendre des populations autochtones, notamment au niveau de leur compréhension et de leur respect de l’environnement. Du point de vue occidento-centrique, la terre est un espace exploitable, qui peut nous fournir des ressources.
Depuis le 19ème siècle, les gazoducs, essentiels pour répondre à la demande accrue en pétrole, alimentent notre pays en énergie, comme le souligne Chris Bloomer, président et chef de la direction de l’Association canadienne de pipeline d’énergie: « Nous sommes une nation de pipelines. Le moteur économique canadien s’est développé grâce à notre capacité de transporter de l’énergie d’un océan à l’autre». En revanche, la manière dont ces projets sont mis en place ne prend pas en compte un respect minimum de l’environnement ni des populations situées sur les terres. Malgré un dédommagement financier pour les personnes situées sur le lieu du projet, la destruction de la terre ne peut pas être remboursée matériellement. Malgré l’unicité de chaque nation, pour la plupart des populations autochtones la terre fait partie intégrante de la religion, de l’apprentissage, du respect. Cependant, certains membres autochtones soutiennent le projet du gazoduc TransMoutain dans l’idée de recevoir une part des bénéfices. En effet, si une partie des revenus était redistribuée aux populations autochtones, dont les revenus économiques demeurent limités, le projet pourrait être en lui-même avantageux. Ainsi, ce conflit a créé de nouveaux mécontentements et des conflits au sein même de la communauté autochtone.
Bien qu’un chef héréditaire ait annoncé le 8 janvier « They can go anywhere they want, except for on Wet’suwet’en territory » (« ils peuvent aller où ils veulent, sauf sur le territoire des Wet’suwet’en »), il semblerait que plus récemment, les chefs aient conclu un marché avec la gendarmerie royale, autorisant l’accès à la compagnie d’extraction. En revanche, ils maintiennent qu’ils ne supportent en aucun cas le projet et n’approuvent pas de sa mise en place: ils ne font qu’exécuter la décision de la Cour. Les tensions demeurent majeures, mais il semblerait qu’un compromis soutenu par la justice soit en construction.
Edited by Charles Lepage