Poutine Au Venezuela: Vers Une Nouvelle Syrie?
Le Venezuela se trouve embarqué au coeur d’une crise politique sans précédent depuis le début de l’année. La ré-élection en 2018 de Nicolas Maduro, au pouvoir depuis 2013, est contestée tant par la communauté internationale que par une majorité de la population vénézuélienne. Les élections frauduleuses, la corruption, ainsi que le rejet de ses politiques nationales, ont fragilisé la légitimité de Maduro en tant que président. Ce qui a véritablement fait pivoter la situation politique vers son status quo actuel, est l’auto-proclamation de Juan Guaidó, président de l’Assemblée nationale, comme président par intérim. Le soutien des forces occidentales contribue à donner de l’autorité à cette revendication. Depuis, la crise a généré la participation accrue de forces extérieures, notamment des Etats-Unis. Fin mars, la Russie a décidé d’augmenter la pression d’un cran, en envoyant des troupes russes sur le territoire vénézuélien. L’implication sur le territoire de forces militaires extérieures, ouvre la porte à une escalade potentielle du conflit en guerre civile. Le cas du Venezuela fait singulièrement écho au cas de la Syrie, et pourrait rapidement se transformer en un énième conflit par procuration entre les Etats-Unis et la Russie.
Motivations géopolitiques
La Russie n’a d’autre choix que de s’imposer de par ses forces militaires et ses interventions, souvent en réponse à celles des Etats-Unis. Le Venezuela n’échappe pas à cette tendance: c’est l’implication des Etats-Unis dans la crise qui génère le retour de troupes russes en Amérique Latine, pour la première fois depuis la chute de l’URSS. Durant la guerre froide, les troupes de l’Union Soviétique étaient présentes dans plusieurs pays de l’Amérique du sud, une région stratégique pour défendre et promouvoir l’idéologie communiste. Ces troupes se sont retirées depuis la chute de l’URSS en 1991, faisant de leur retour une intervention inédite – et sujette à de nombreux questionnements.
Si aujourd’hui il ne s’agit plus d’un affrontement de blocs idéologiques, les relations géopolitiques actuelles semblent refléter certaines dynamiques de la guerre froide. En effet, outre cette opposition directe entre les deux pays, les alliances qui orbitent autour de cette dynamique sont restées les mêmes. Là encore, les anciennes dictatures communistes, bien qu’elles ne s’unissent plus autour de cette idéologie, continuent de se prêter main forte, notamment face à l’alliance occidentale, bien qu’informelle. Non seulement la Russie soutient la gouvernance de Maduro et son maintien au pouvoir, mais également la Chine et Cuba. Presque trente ans plus tard, le spectre du rideau de fer continue de survoler la sphère géopolitique actuelle.
Accords économiques et militaires
Les motivations de la Russie ne se limitent pas à une opposition géopolitique. En effet, le Venezuela est le deuxième plus grand partenaire économique de la Russie, juste après le Brésil. Les deux pays ont un accord qui s’organise autour d’échanges d’armes russes contre du pétrole vénézuélien à des prix préférentiels. La Russie accorde aussi des prêts au Venezuela allant jusqu’à plusieurs milliards de dollars.
Outre leur étroite collaboration économique, les deux pays se prêtent également main forte à l’échelle militaire. En 2001, ils signent un accord de coopération militaire technique. Cet accord permet à la fois de partager l’expertise des deux armées, ainsi que d’établir une alliance militaire. Dans le cas présent, cet accord permet de détourner l’attention des implications politiques de la présence des troupes russes. En effet, d’après les dires de la ministre des affaires étrangères russe, il ne s’agirait nullement d’une intervention à visée géopolitique, mais simplement d’un exercice militaire dans le cadre de cet accord.
Comme un air de Syrie
La tournure des événements au Venezuela fait étrangement écho au cas de la Syrie. Dans un premier temps, les deux régimes ont un rapport similaire à leur population et aux forces occidentales extérieures. En effet, ces deux régimes sont jugés par l’occident comme non-démocratiques et autoritaires. Dans les deux cas, de nombreux membres de l’opposition politique ont été sujets à des arrestations douteuses. Également, les forces de l’armée savent intervenir lorsque cela est jugé nécessaire. Ces forces militaires sont d’ailleurs clés au maintien du pouvoir de ces gouvernements. En Syrie, Bachar El-Assad succède à son père de manière assez arrangée, puisque tout a été orchestré afin d’assurer son arrivée au pouvoir, entre autre grâce au soutien directe de l’armée. Au Venezuela, les dernières élections de 2018 ne sont pas reconnues comme légitimes et justes, mais comme frauduleuses par une majorité de la communauté internationale, notamment par ceux qui soutiennent la déclaration de Guaidó.
Par ailleurs, cette crise politique fait écho à la situation syrienne en devenant un terrain d’affrontement de forces extérieures plutôt qu’un combat vénézuélien. En effet, les jeux de pouvoir qui s’exercent actuellement se développent peu à peu en un affrontement entre la Russie et les Etats-Unis, plutôt que purement entre Maduro et Guaidó. Sans les forces occidentales, Guaidó n’a aucune autorité véritable tant que les forces de l’armée continuent de soutenir Maduro. Toutefois, Maduro risque d’ostraciser le Venezuela à l’échelle internationale, puisque la majorité des pays ne le reconnaissent pas comme président légitime.
En outre, la pays n’est pas à l’abri d’une potentielle guerre civile. Le fait que la Russie envoie des forces armées sur le territoire vénézuélien ne laisse rien présager de bon. Sans compter que les mesures “pacifiques” employées par l’Occident contre la Russie s’avèrent bien souvent inefficaces. Les tendances interventionnistes des États-Unis sont aussi à redouter dans le cas présent.
L’implication de Poutine au Venezuela se veut être une nouvelle façon de contrebalancer les forces occidentales, et surtout américaines, afin de prouver son rôle indéniable dans les interactions géopolitiques mondiales. L’arrivée de troupes militaires russes plutôt que de forces diplomatiques, suggère la possibilité d’un conflit calqué sur le modèle Syrien. Cependant, cette crise, outre ses implications politiques, est une crise qui touche un peuple et qui le place au coeur d’une situation critique, déjà considérée comme une crise humanitaire. La population subit des pannes d’électricité successives à l’échelle nationale depuis début mars, affectant la plupart des activités du pays, notamment les centres de soins. Le futur du pays semble actuellement compromis à l’échelle économique, politique, et social. La résolution de ce conflit va nécessiter de faire preuve d’un tant soit peu d’humanité, si l’on espère éviter des pertes de taille.
Edited by Laura Millo