L’action climatique: un combat individuel, une lutte systémique
“Vous avez volé mes rêves et mon enfance avec vos paroles creuses”, voici les paroles émouvantes prononcées par l’activiste de 16 ans, Greta Thunberg, devant Le Sommet sur le Changement Climatique à New york le 23 Septembre 2019. Ces paroles sont bien plus qu’une accusation déchirante lancée aux dirigeants les plus puissants du monde, elles révèlent aussi une question importante sur la responsabilité de chacun face au changement climatique et ses conséquences dramatiques. L’action individuelle est-elle réellement nécessaire ou même suffisante pour combattre les effets du changement climatique? S’il semble difficile pour chacun d’assumer sa part de responsabilité c’est parce que l’on oublie trop souvent que vivre en société signifie que l’action individuelle travaille pour et avec l’action collective.
Les conséquences des phénomènes de réchauffement climatique, de pollution des eaux ou d’extinction d’espèces animales, qui prennent des envergures sans précédents, paraissent distantes, dans le temps et dans l’espace. On entend souvent que si on ne change pas notre mode de vie et de consommation, le futur de la planète et des nouvelles générations seront irrémédiablement affectés. On développe ainsi l’idée selon laquelle les répercussions de nos actions se feraient ressentir dans un futur plus éloigné et on omet de penser à ces conséquences comme un phénomène non seulement présent mais accélérant depuis des décennies. Cette distance dans le temps permet une dé-dramatisation qui entraîne ainsi une désidentification par rapport à cette véritable crise.
Similairement, on nous parle des effets de ces transformations sur des populations géographiquement lointaines par rapport aux régions développées d’Europe ou d’Amérique du Nord. Ce que l’on appelle depuis quelques années les “migrants climatiques”, qui fuient la production agricole affaiblie, les pénuries d’eau et la hausse du niveau de la mer, se trouvent principalement dans des régions du monde en voie de développement (soit, 86 millions de déplacés en Afrique subsaharienne, 40 millions en Asie du Sud et 17 millions en Amérique latine). Il est donc souvent difficile pour chaque individu de s’identifier à ces ravages et de s’en sentir responsable. Ce que l’on doit comprendre avant tout, c’est que ces conséquences n’affectent pas seulement des communautés distantes ou futures, chose qui d’emblée devrait nous pousser à agir, mais qu’elles ont déjà un impact sur nos sociétés. C’est ce que de nombreux activistes et dirigeants mondiaux ont voulu faire comprendre en parlant de l’Amazonie comme le “poumon” de notre planète, lors des incendies tragiques de cet été. Pour ne prendre qu’un exemple, la pollution de l’air a un effet néfaste sur notre santé et la pénurie d’eau saine nous affecte à un niveau mondial. La cause de l’environnement est donc le problème de tous et chacun.
Cependant, notre prise de conscience sur l’impact du changement climatique et sa relation avec nos propres actions ne semble pas suffisante pour provoquer un réel changement. En effet, elle révèle la question de savoir en quoi la transformation de nos modes de vie individuels peut réduire ou ralentir les effets de ces phénomènes destructeurs. D’ailleurs cette question prend souvent la forme d’arguments tels: “A quoi cela sert-il que de marcher à l’école si tout le reste du monde utilise sa voiture?” ou encore “A quoi cela sert-il de réduire ma consommation de viande, si l’industrie agricole de viande continue à produire en masse?”. Une certaine impuissance est ressentie lorsque que l’on essaye de lutter contre des pratiques institutionnelles et systémiques sur lesquelles repose le système économique mondial. Une étude de Reuters montre que si un nombre grandissant (70% environ) d’Américains demandent une action climatique plus agressive de la part de l’administration de Trump, seul un tiers serait prêt à donner $100 pour la cause. Ainsi, la question de la place de l’individu dans ce système est précisément celle sur laquelle nous devons nous pencher.
Tout d’abord, ce n’est pas sans raison que l’on parle d’”empreintes carbones”. Cette notion qui parcourt toutes les discussions et discours sur le climat fait appel à une responsabilité individuelle. Cette image implique que chacune de nos actions laisse une marque visuelle sur le monde, celle d’une empreinte destructive et salissante. Plus que de la rhétorique, cette image est représentative de l’impact que nos actions individuelles peuvent avoir lorsqu’on les pense en terme de totalité. De la même façon, nos efforts individuels doivent aussi être pensés en terme de totalité. Chaque coup de pinceau constitue un tableau. Mais encore une fois, il est facile de croire, en suivant cette image, que le coup de pinceau seul est insignifiant s’il n’est pas accompagné par d’autres traits, par d’autres empreintes. Toutefois, j’aimerais mettre en avant l’idée selon laquelle chaque coup de pinceau inspire le prochain.
En effet, l’action individuelle est le premier outil pour enclencher un cercle vertueux de sensibilisations et de collaborations, indispensables au combat contre le réchauffement climatique. L’exemple le plus représentatif est l’histoire de Greta Thunberg, adolescente suédoise qui, outragée par l’inconscience écologique d’une grande partie de la population, a décidé de changer ses propres habitudes et de manifester pour combattre l’inaction de son gouvernement et des grandes institutions mondiales. Il y a environ deux ans, elle devient vegan, refuse d’aller à l’école en manifestant devant le parlement suédois, et encourage d’autres enfants et adolescents à la suivre dans son mouvement. En conséquence, elle est devenue, aujourd’hui, la figure publique la plus importante de la cause environnementale . En décidant de faire sa part individuelle d’efforts et de la partager avec le monde, elle a rendu l’action écologique l’un des mouvements les plus médiatisés et discutés de notre temps. Cela montre l’importance des choix et des actions individuels quand il s’agit de créer un mouvement politique et social international. Lors d’une interview avec un journaliste de la BBC elle déclare d’ailleurs que l’objectif de ses choix et actions est de “créer une opinion” et “d’envoyer un signal”.
Ce n’est pas pour autant que nous devrions ou même pouvons tous devenir des personnages publics symboliques et universels. Greta Thunberg admet elle-même qu’elle est “une personne spéciale” avec “une plus grande plateforme”. Tout de même, nous étions près d’un demi-million à Montréal à nous déplacer et à marcher Vendredi 27 Septembre lors de la Grève Internationale pour le Climat. Ce demi-million est impressionnant. Mais il est encore plus saisissant lorsque l’on s’imagine 500.000 individus, 500.000 consciences, 500.000 voix distinctes qui peuvent déclencher 500.000 échos à résonner dans le monde entier. Depuis un an, ce genre de manifestations ne résonne pas seulement chez les étudiants et dans les écoles, leurs voix atteignent les gouvernements, les grandes entreprises et les institutions les plus puissantes au monde. Leur outrage se fait entendre et la demande de changement d’habitudes se transforme ainsi en une demande de changement systémique. L’action climatique est maintenant le 13ème Objective de Développement Durable (ODD). La cause de l’environnement est désormais un facteur signifiant de toutes élections politiques et elle est souvent en première page de tous les organes de presses.
Ainsi, on peut voir que l’action individuelle entraîne l’action collective et que leurs existences réciproques sont entièrement interdépendantes. La lutte pour la protection de l’environnement permet de révéler des problématiques importantes et plus générales quant aux méthodes d’activisme et de philanthropie les plus efficaces. La compréhension de l’interdépendance entre action individuelle et collective, dans un monde lui-même de plus en plus interdépendant, représente pour moi le défi moral le plus important du 21ème siècle.
Edited by Salomé Moatti