Un peuple condamné
Le conflit syrien a causé plus de 370 000 morts, 5,6 millions de réfugiés et 6,6 millions de déplacés internes. Déclenchée par la répression violente de manifestations populaires pro-démocratie en 2011, la révolution ratée devenue guerre civile, est aujourd’hui un conflit complexe impliquant de nombreux acteurs internationaux. Après des années de déchirement interne, le régime syrien de Bachar al-Assad contrôle à nouveau la majorité du pays. La fin de la guerre approche, mais quel avenir pour la Syrie et son peuple, alors qu’al-Assad est toujours à la tête du gouvernement? Depuis 2014, des pourparlers de paix menés par l’ONU tentent de dessiner un futur politique à cet État détruit. Cinq ans plus tard, ils aboutissent à un premier résultat : la formation d’un comité constitutionnel. Est-ce une véritable voie de solution politique? Une chose est certaine : la reconstruction s’annonce effroyablement complexe.
Le comité constitutionnel
Le comité constitutionnel a été annoncé le 23 septembre par le secrétaire général des Nations Unies. Il regroupe 150 personnes : 50 représentants de la société civile choisis par l’ONU, 50 représentants du régime et 50 représentants de la rébellion. Son but est d’établir une nouvelle constitution pour la Syrie, conformément à la résolution 2254 de l’ONU. Cette résolution dicte un processus de résolution de conflits en trois étapes : d’abord, l’établissement d’une nouvelle gouvernance, puis le changement de constitution, et enfin des élections libres. Mais en Syrie, aucune nouvelle gouvernance ne sera établie, sous la forte influence de la Russie, grande alliée du régime. Le processus syrien commence donc seulement à la deuxième étape.
Au sein du comité: al-Assad en position de force
À l’évidence, les rebelles et le régime, qui ont passé les dernières années à s’entretuer, ne partent pas du bon pied. Leur désaccord est fondamental : les rebelles veulent qu’al-Assad ne soit plus au pouvoir tandis qu’al-Assad veut bien entendu y demeurer. Les rebelles souhaitent également la fin des violences. Depuis des années, ils sont réprimés violemment par le régime et le dernier bastion rebelle d’Idleb, au nord-ouest du pays, est si sanglant que l’ONU parle de « catastrophe humanitaire ». L’alliance russo-syrienne attaque sans pitié cette zone habitant 3 millions de personnes, affirmant lutter contre la rébellion, mais touchant aussi des civils et les infrastructures qui leur sont vitales. Ils ont ainsi « bombardé 20 structures médicales, dix-sept écoles et trois camps de déplacés. » Le régime, qui est en position de force sur le terrain, sera en position de force à la table des négociations. En outre, les rebelles souffrent d’une perte de légitimité, car à travers le conflit, nombreux ont dû s’allier avec des groupes djihadistes : en effet, Idleb est maintenant principalement contrôlée par Hayat Tahrir Al-Cham, ancienne branche syrienne d’Al-Qaeda.
Enfin, bien que le comité soit entièrement syrien afin d’éviter l’apparence d’une influence étrangère, les puissances internationales sont dans les faits des acteurs clés pour la reconstruction syrienne, et ont le pouvoir de redessiner le futur du pays d’une multitude de façons. Dans les faits, le peuple syrien se retrouve encore dépossédé de sa souveraineté.
Des intérêts divergents à l’international
Russie, Turquie, Union européenne, États-Unis, Iran, Israël… Les acteurs internationaux dominent en Syrie, et leurs intérêts entrent perpétuellement en conflit. Cette lutte de pouvoir influencera inévitablement le futur du pays.
La Russie est l’allié numéro un d’al-Assad. C’est bel et bien le Kremlin qui a causé un revirement de situation en 2015, permettant au régime de regagner un territoire qui était majoritairement passé aux mains des rebelles. Il a soutenu al-Assad encore et encore avec son armée et au sein du Conseil de sécurité. Malgré cela, le maintien du régime ne semble pas être leur priorité absolue. Maintes fois, des officiels russes se sont prononcés contre la personne d’al-Assad : le Premier ministre Dmitry Medvedev a même déclaré en 2015 que le prochain gouvernement ne devrait pas être dirigé par al-Assad. Dans les faits, le Kremlin veut avant tout se positionner comme leader incontournable sur la scène internationale. L’allégeance de la Russie à al-Assad n’est donc pas inconditionnelle, mais il serait préférable que son allié dans lequel elle a tant investi l’emporte.
Pour sa part, la Turquie, bien qu’opposée au régime d’al-Assad, a une priorité plus importante : assurer la fin du conflit pour ralentir l’afflux de réfugiés sur son territoire. Ces dernières années, elle en a déjà accueilli 3,6 millions. Soutenir al-Assad et la Russie dans leurs démarches leur semble aujourd’hui la façon de garantir une stabilisation de la situation syrienne. De plus, Ankara a intérêt à ce que le régime regagne l’entièreté du territoire syrien. En effet, le nord-est de la Syrie, à la frontière turque, est présentement administré par un groupe kurde. Toutefois, ces Kurdes sont considérés comme terroristes par la Turquie, puisqu’ils réclament la formation de l’État-nation du Kurdistan, ce qui menace l’intégrité territoriale de la Turquie. Ce pays serait donc malgré elle satisfaite par le maintien d’al-Assad au pouvoir.
Quant aux États-Unis et à l’Union européenne, en principe opposés au régime, comprennent qu’avec son appui de la Russie, il est pratiquement impossible de déloger al-Assad. Ils ont donc modéré leur position et réclament plutôt des changements politiques. Les chances d’une véritable transformation politique à travers le comité constitutionnel sont toutefois plutôt minces, l’indique entre autres Julien Barnes-Dacey, expert à l’Europan Council on Foreign Relations : « Il ne faut pas s’attendre à un règlement politique équitable ou à des réformes substantielles de [la] part [du gouvernement]. »
Enfin, les Kurdes ne veulent pas délaisser le territoire qu’ils contrôlent et le pouvoir que cela leur procure. Les Kurdes ont été précédemment armés et entraînés par les États-Unis pour lutter contre l’État islamique, éradiqué du territoire en 2019.Il serait donc étonnant que ce groupe se plie au régime et abandonne sans lutte. Reste à voir de quelle façon le pouvoir syrien abordera ce problème et les répercussions que cela entraînera.
Moscou mène le bal
De ces intérêts divergents naissent plusieurs conflits. Moscou est en position de leadership, mais le régime commence à insister sur un règlement « syro-syrien » de la question. Bachar al-Assad tournerait-il le dos à son collègue russe? Cela ne semble pas être dans son intérêt. Dans cette complexe conjecture, un fait est certain : le régime ne pourrait survivre s’il s’isole. La Syrie est détruite et les coûts de la reconstruction sont déjà énormes: les estimations s’élèvent à 400 milliards de dollars. Or, les États-Unis et l’Union européenne refusent d’accorder toute aide si la reconstruction ne s’accompagne pas de changements politiques. Ils misent sur leur capacité d’apport financier pour influencer la situation, assumant que le poids de la reconstruction « pourra difficilement être pris en charge par les seuls alliés de Damas ». Les alliés du régime s’adapteront-ils à ces demandes pour obtenir l’aide des Américains et Européens? Ils pourraient peut-être prendre le risque de s’en passer, ou bien ils pourraient tenter d’embarrasser les puissances occidentales à l’international. Celles-ci pourront-elles justifier le fait de refuser de l’aide à un pays en ruine pour la seule raison que son chef ne se plie pas à leurs demandes?
Il semble que le régime n’aurait d’autre choix que de s’incliner devant le leadership russe, malgré ses protestations récentes. Bachar al-Assad a besoin des ressources de Moscou et de son influence internationale. Entre Russes et Occidentaux, c’est ce lui qui est le plus favorable au maintien de sa domination politique. Que le régime reprenne officiellement le contrôle de toute la Syrie satisferait bien des acteurs : Bachar al-Assad, bien sûr, aura eu ce qu’il voulait, le contrôle du territoire en entier; la Russie aura cémenté son image de joueur international dominant qui détermine l’issue d’un conflit important; et la Turquie s’évitera l’influx de nouveaux réfugiés tout en s’assurant de l’élimination de la menace kurde. D’autres acteurs régionaux s’en verraient aussi ravis, tel que l’Iran, pays allié du régime syrien. Par conséquent et malheureusement pour le peuple syrien, il est fort probable que le régime de Bachar al-Assad persiste.
Tout ça pour ça
Ainsi, après des années de tragédie, de désordre et de violence, tous les acteurs impliqués dans le conflit veulent en finir une fois pour toute. Grâce à l’aide militaire colossale de la Russie, le régime d’al-Assad se présente aujourd’hui comme la seule option qui permettrait un retour à la stabilité. Le comité constitutionnel nouvellement annoncé ne ravive que des espoirs réticents. « Le gouvernement syrien va sans aucun doute continuer à faire obstruction à ce processus », affirme Julien Barnes-Dacey. Malheureusement, ce comité est l’unique aboutissement des nombreuses années de négociations. Difficile de discuter équitablement entre dominants et dominés. Les chances paraissent minces pour un changement de régime ou pour de véritables réformes politiques.
Le futur de la Syrie s’annonce alors comme un retour vers le passé, un retour au statu quo qui régnait précédemment au conflit. Une guerre débutée par une insurrection contre un État autoritaire, un État policier, un État régressif. Le peuple syrien ressort de ce périple grande victime. Évidemment, cela fait longtemps qu’il n’y a plus de bonne solution pour la Syrie : tous s’empressent donc de trouver une solution, une voie de sortie du conflit, coûte que coûte. Il semble que le coût sera l’indépendance des Syriens… alors que le conflit avait débuté par leur quête de liberté.
Edited by Paloma Baumgartner