Équateur: manifestations anti-austérité ou tentative de coup d’état?
L’Équateur a connu de fortes manifestations de rue en début de ce mois d’octobre 2019. À première vue, les manifestations semblent faire partie d’un scénario classique. Une crise générée par un décret économique, qui affecte particulièrement une partie de la population et fait naître des manifestations. Dans ce cas précis, c’est un ensemble de mesures d’ajustement adoptées dans le cadre d’un accord de crédit de 4000 millions de dollars avec le FMI et qui entraînait une hausse du prix de l’essence qui a provoqué les manifestations. Le plan d’ajustement du FMI exigeait une série de mesures impopulaires, dont l’élimination de la subvention aux carburants ainsi que la réduction des vacances de 30 à 15 jours pour les travailleurs du secteur public. De plus, cet accord de crédit est perçu par beaucoup comme non nécessaire étant donné que le taux de dette du pays n’atteint pas les 50%.
Les manifestations s’ancrent dans une longue histoire d’influence du mouvement indigène à contrer les mesures économiques prises par le gouvernement. L’Équateur se souvient encore de la vigueur du mouvement indigène à la fin des années 90, et de son rôle dans les manifestations qui ont entraîné les renversements des présidents Abadala Bucaram, Jamil Mahuad et Lucio Guitérrez. En 1997 par exemple, après l’annonce d’une série de mesures économiques, des milliers d’indigènes ont manifesté et bloqué les rues de Quito. Quelques jours plus tard, le président Bucaram a été destitué et a quitté le pays. En 2000, deux jours après la dollarisation de l’Équateur, plusieurs leaders indigènes aidés par des militaires réussirent à s’emparer du Congrès National et à renverser le président Mahuad.
Les manifestations du 2 au 13 octobre 2019 ont cependant connu une violence sans précédent en Équateur, faisant au moins sept morts, 1340 blessés et 1152 arrestations. Le président du pays, Lenín Moreno s’est même vu obligé de déplacer le siège du gouvernement de Quito, la capitale du pays, à Guayaquil pour une durée de 30 jours et à décréter l’état d’exception. Selon la constitution du pays, l’état d’exception peut être déclaré en cas “d’agression, de conflit armé international ou interne, de troubles internes graves, calamité publique ou catastrophe naturelle”. Il donne à l’Etat le “droit de suspendre ou limiter l’exercice du droit à l’inviolabilité du domicile, inviolabilité de la correspondance, liberté de transit, liberté d’association et de réunion, et liberté d’information”, ce qui ne fait qu’augmenter l’indignation des manifestants. Après douze jours de manifestations violentes et de chaos, le président Lenín Moreno a fini par annuler l’ensemble des mesures.
Néanmoins, le retour en arrière du gouvernement est loin de garantir le retour au calme. En effet, ces manifestations s’ancrent également dans l’histoire de concurrence politique entre Moreno et son prédécesseur Rafael Correa. Celle-ci débute en 2017 lorsque Moreno, alors élu président, se distance radicalement de la politique plus à gauche de Correa, dont il avait pourtant été le vice-président lors de ses dix années de mandats à partir de 2007. Cette rupture marque le début d’une inimitié entre les deux anciens alliés et leurs partis, qui n’a cessé de grandir depuis. Bien qu’à première vue les manifestations semblaient être un énième regroupement majoritairement indigène en réponse à une mesure économique, il s’avèrerait en fait d’une probable tentative de déstabilisation organisée par l’opposition politique ‘correísta’ (les supporters de Correa), par ailleurs alliée au gouvernement de Nicolás Maduro au Venezuela.
Plusieurs facteurs appuient cette hypothèse politique. Membre important du mouvement ‘corréiste’ Movimiento Revolución Ciudadana (MRC), Virgilio Hernández a encouragé les siens depuis son compte Twitter à radicaliser la mobilisation et à #GénéraliserLaLutte. Quant au dirigeant historique de ECUARUNARI (Movimiento de los Indígenas del Ecuador), Salvador Quishpe, a déclaré à la radio: “A ce stade, je crains que la mobilisation ne soit plus sous le contrôle du mouvement indigène, mais sous le contrôle du ‘corréisme’”. Par ailleurs, le soulèvement a été organisé à une vitesse sans précédent, alors que la CONAIE (Confederación de Nacionalidades Indígenas del Ecuador) a dans d’autres occasions mis plus de deux mois à édifier des marches et manifestations de cette ampleur, allant jusqu’à Quito.
De plus, des sociétés de production de produits floricoles et laitiers ont été pillées au sud de la capitale, un évènement très inhabituel dans l’histoire des mobilisations indigènes et qui s’associe plutôt à l’anticapitalisme des supporters de Correas, soutenus par le gouvernement vénézuélien de Maduro. Ces actes montrent que les manifestations ont un objectif qui va au delà de manifestations indigènes contre l’austérité, un objectif politique plus grave. Lourdes Tibán, bras politique de CONAIE, s’est exprimée sur le vandalisme des manifestations dans une interview: “Je savais que le correísmo allait continuer à détruire Quito (…) Quand est-ce que le vandalisme a-t-il été pratiqué par les peuples indigènes? Jamais! Le mouvement indigène est sorti dans la rue pour faire tomber un décret, pas le gouvernement, car si nous renversons le gouvernement, ceux qui applaudissent sont les ‘corréistes’, un gouvernement corrompu contre lequel je me suis battu”. Enfin, la prise d’assaut du siège de la Contraloria, unité chargée de l’audit de l’administration publique centrale et de l’application du droit disciplinaire aux fonctionnaires, renforce l’hypothèse que les manifestations vont au delà d’une opposition à des mesure économiques. Un autre facteur marquant: la permissivité de la force publique. Alors que le pays est censé être en plein état d’urgence, des manifestants ont réussi avec une facilité déconcertante à faire irruption dans l’Assemblée Nationale en signe de contestation.
D’après une interview de la BBC à l’actuel président, Moreno a accusé l’ex-président et Maduro d’avoir activé un “plan de déstabilisation” et une “tentative de coup d’État” à son encontre. En effet, Correa est proche du gouvernement de Maduro, et admet gagner sa vie en tant que consultant pour le gouvernement vénézuélien. Suivant cette piste, le gouvernement de Moreno a arrêté lundi 14 octobre Paola Pabón, préfet de Pichincha et proche de Correa. Le bureau du procureur a par la suite ordonné des perquisitions d’équipements technologiques, de téléphones, sans réellement préciser le motif de son arrestation. Il semblerait donc bien que Moreno commence à agir sur les soupçons d’une intervention ‘corréiste’ et vénézuélienne dans les mobilisations. Du côté de l’opposition, Gabriela Rivadeneira, membre du Parlement et figure importante du ‘correísme’ a quant-à-elle demandé une “protection” à l’ambassade du Mexique. L’ancien président Correa, auto exilé à Bruxelles, impliqué dans une douzaine de procédures judiciaires, a quant-à-lui accusé les autorités “d’inventer des faux positifs pour atténuer sa défaite”.
Bien que la CONAIE, dans ses communiqués, se soit éloignée des prétentions ‘corréistes’ et des actes de violences, la réalité reste que ces actes ont servi de soutien à sa cause en menant à l’annulation des mesures économiques du gouvernement. L’offensive dans laquelle les partisans de l’ancien président sont intervenus pour la réappropriation du projet politique connaît en effet peu d’opposition. La réalité est celle d’un pays où la population ferme les yeux devant des actes violents, convaincue que ces actes soutiendront sa cause, alors qu’ils rapprochent dangereusement l’Équateur d’un pays qui accepte la militarisation de l’opposition politique et le règne de la terreur dans le but de prendre (ou reprendre dans ce cas) le pouvoir.
Photo de couverture: “Manifestations en Équateur – octobre 2019″
Edité par Paloma Baumgartner