Produire Plus ou Produire Vert? Une incompatibilité à revisiter
Le business et le capitalisme sont-ils réellement les pires ennemis de la cause environnementale? Oui, tel qu’on le conçoit aujourd’hui, le système capitaliste d’hyper-production et de sur-consommation semble représenter tout ce que les activistes écologistes haïssent le plus. Mais alors, comment le démanteler ou le réformer? Les théories et solutions apportées à ces problématiques sont la source de beaucoup de contentions dans un monde qui peine à s’adapter à un besoin urgent de “sauver la planète”. Néolibéralisme, capitalisme vert, socialisme ou même anarchisme; les idéologies se bousculent et se confrontent. Mais que pouvons-nous en tirer et quel modèle est à suivre? On est facilement découragé ou perdu face à la complexité de ces problématiques. Revenons donc à la source du problème et traçons nous un chemin plus éclairé pour aborder ces questions. L’exemple de certaines entreprises innovantes nous montre qu’il existe des mesures concrètes à explorer et que le monde du business peut et doit participer à leurs applications.
Capitalisme et avidité économique; le fardeau de notre génération
Les entreprises les plus puissantes du monde et le système capitaliste mondial sont bien souvent les cibles principales des critiques environnementales qui raisonnent dans le monde entier. Pour satisfaire les besoins grandissants d’une population croissante, la production agricole, entre autres, a dû s’adapter à une industrialisation qui épuise toutes nos ressources, qui contamine nos eaux et qui pollue notre air. Le résultat est effrayant; nous assistons aujourd’hui à la 6ème extinction de masse dans toute l’histoire de la vie sur Terre.
L’idée qui est au coeur des idéologies démocratiques néolibérales, dominantes dans l’économie mondiale, est la suivante; la prospérité et la liberté des peuples ne se fera pas sans le développement économique et la croissance qui permet la création de richesse et d’emplois. Les décisions politiques des dernières décennies ont donc engendré des voies de développement technologiques qui à leur tour ont développé des modèles économiques qui ont forgé et qui continuent de forger nos habitudes culturelles. Ce système a donc bien réussi une chose de remarquable; coloniser tous les facades de notre quotidien; notre façon de produire, de manger, et même de penser.
Ainsi, y mettre entièrement fin devient une ambition qui nous demanderait du temps que nous n’avons plus. L’avidité économique, moteur le plus important de ce système, nous pousse à nous poser la question suivante; peut-on continuer à produire plus de richesse et d’emplois sans détruire notre planète? Tel est donc le défi de notre temps.
Produire bien signifie aussi produire plus
La réponse est peut-être bien plus simple qu’elle ne semble: produire vert ne signifie pas produire moins. Nous ne devrions pas voir ce combat comme un affrontement polarisé entre la population et le système économique. Tout d’abord parce que ce système, dont on se désidentifie, n’existe pas sans les individus qui l’entretiennent, d’où l’importance de la responsabilité collective dans la cause environnementale. Mais aussi surtout, parce que les intérêts des plus grandes entreprises et institutions qui constituent ce système, ne sont pas en conflits avec ceux de la cause environnementale.
C’est ce que Wendy Wood avance lorsqu’elle déclare dans un Ted Talk il y a quelques mois que “le profit total des actionnaires peut et doit paralleler l’impact social total”. Elle prend l’exemple de Mars pour illustrer son point. Ce groupe multinational est l’un des plus gros groupes commerciaux dans le monde et sa croissance dépend presque entièrement d’un ingrédient bien précis: le cacao. Comme beaucoup de ressources premières, dans le contexte d’une surexploitation et sur-consommation mondiale, la durabilité et viabilité des ressources en cacao sont en danger. Pourtant, Mars ne se sent pas menacé par ce phénomène. La raison derrière cette confiance? Les partenariats qu’elle entretient avec des ONG dans le monde entier. Ces ONG accréditées travaillent avec des agriculteurs et actionnaires locaux pour s’assurer que la production de cacao se fait dans le respect du commerce équitable et de l’amélioration de la culture tout en minimisant les effets néfastes sur l’environnement. Les statistiques le montrent; produire de façon plus juste et verte peut signifier un enrichissement absolu pour les plus grandes entreprises du monde. Une entreprise de produits de consommation gagne en moyenne 11% de plus en prime d’évaluation et environ 4.8% en marge bénéficiaire lorsqu’elle applique ce genre de mode de production.
Ces chiffres prouvent que la considération sociale et environnementale dans le monde du business n’est pas un fardeau économique majeur mais au contraire, une opportunité de croissance qui peut engendrer des possibilités de réinvestissement sociaux et environnementaux de longue durée. Ces opportunités se voient développées à toutes les échelles de l’économie.
A des échelles plus petites et locales, dans les domaines de l’alimentation, de l’énergie et de la mobilité, des milliers de personnes se retrouvent et s’organisent pour mettre au jour de vrais projets de croissance économique et de développement écologique et social. Explorons un exemple saisissant.
Espoirs et Ecolonomie
Dans la banlieue de Lille, France, l’entreprise d’enveloppes Pocheco représente une lueur d’espoir. Dans le film Demain, le PDG de cette entreprise singulière, Emmanuel Druon, nous explique que tous les aspects de la production et de la croissance de son entreprise sont menés dans le respect de l’environnement. Encre à base d’eau, pigments naturels, toiture végétale produisant de l’énergie pour alimenter toute l’usine, tout est pensé pour conjuguer écologie et croissance. Dans cette usine, 80% de l’eau utilisée provient de la récupération de l’eau de pluie. Pour chaque arbre coupé, quatre sont re-plantés dans le respect de la biodiversité des espèces. Cela a abouti en la replantation de plus de 2 millions d’arbres dans des forêts en Finlande. Pocheco est ainsi, depuis 20 ans, une entreprise zéro-déchet, puisque chaque déchet est vu comme une ressource. De plus, cette entreprise ne distribue jamais de dividendes, les salaires sont d’un minimum du SMIC+15% et un maximum de quatre fois le SMIC. Toutes ces méthodes de production et de gestion engendre une baisse de la pénibilité des postes tout en baissant l’impact de l’activité sur l’environnement et en augmentant la productivité. Cette gestion des ressources et cette croissance sont fondées sur une idée toute simple mais révolutionnaire; il faut “considérer que l’argent que l’on gagne dans l’entreprise est un moyen d’entreprendre et que ca n’est pas une fin en soi”. Ce que nous montre cette entreprise c’est que face à une destruction sans précédent, nous avons les moyens de se reprendre, de se repenser et de se transformer.
Ainsi, ce système économique capitaliste, vu comme le pire ennemi de la cause environnementale, pourrait en réalité lui aussi profiter d’une transition écologique. Le but est de comprendre en quoi, plutôt qu’un obstacle insurmontable, le monde du business serait peut-être une voie vers un réel changement écologique. J’avais osé admettre dans un article précédent, le sentiment d’impuissance qui est souvent le nôtre face au pouvoir de ce système et de ceux qui en profite le plus. Cependant, j’avais aussi défendu qu’il est indispensable de comprendre le pouvoir de nos actions individuelles et collectives dans la lutte pour le climat. Cette action collective doit passer par une confiance en l’idée que l’être humain ne peut pas penser à soi-même sans penser aux autres. La volonté de développement économique et d’enrichissement qui est à l’origine des dynamiques de ce système capitaliste doit ainsi être vu comme une opportunité d’innovation si elle doit participer à la réussite des objectifs de développement durable.
Edité par Paloma Baumgartner