Les espoirs perdus de la réunification, 30 ans après la chute du Mur de Berlin
Une génération s’est écoulée depuis le jour de la chute du Mur de Berlin, le 9 novembre 1989, mais il semble que la promesse de se réunir dans un monde libre et démocratique a cédé la place à de nouvelles divisions politiques et montée générale des tensions. La vague populiste, loin de refluer, n’épargne ni l’Europe ni le reste du monde, et bouscule les relations internationales en menaçant le multilatéralisme et la coopération. En Allemagne, le climat politique est extrêmement polarisé suite à la poussée électorale de l’extrême droite anti-migrants, notamment dans l’ancienne Allemagne de l’Est communiste. 30 ans après la réunification, elle illustre un fossé politique persistant entre les deux parties du pays. Ainsi, les instincts nationalistes populistes portent atteinte aux espoirs d’une ère de détente, d’unité et de désarmement nés au lendemain de la chute du rideau de fer.
Force est de constater que les 30 ans de la chute du Mur se célèbrent dans un contexte politique bien différent qu’il y a 10 ans. À l’occasion du 20ème anniversaire de la chute du Mur, en 2009, des dirigeants du monde entier s’étaient déplacés, y compris ceux des quatre forces alliées de la Seconde Guerre mondiale, ainsi que de lauréats du prix Nobel pour célébrer une Allemagne réunifiée. La chancelière allemande, Angela Merkel, avait qualifié ce jour de « fête pour toute l’Europe ». Tous étaient présents afin de faire tomber un modèle de Mur devant la porte de Brandebourg symbolisant le fait que l’heure des remparts et des clôtures appartenait au passé. 1000 dominos géants avaient ainsi été alignés puis effondrés les uns après les autres sur 1 900 mètre, allant de la Porte de Brandebourg à la Potsdamer Platz; l’endroit où s’élevait le Mur de Berlin.
Pas de grand geste pour la commémoration de la chute du Mur de Berlin cette année. Selon le maire adjoint de Berlin à la culture, Klaus Lederer , « l’atmosphère de renouveau » qui dominait il y a encore 10 ans « n’est plus perceptible ». La ville de Berlin a cependant cherché à marquer l’évènement avec l’organisation d’une semaine de festival, du 4 au 10 novembre, transformant la capitale en un grand lieu d’exposition et d’événements à ciel ouvert. Le programme politique est cependant resté minimal. Le président tchèque Miloš Zeman était invité, avec les chefs d’État hongrois, polonais et slovaque, afin de souligner la contribution des États d’Europe centrale à la révolution pacifique. Cruelle ironie, les pays autrefois aux avant-postes de l’ouverture du rideau de fer sont désormais gouvernés par des populistes.
Lors de la cérémonie officielle à la Chapelle de la Réconciliation de la Bernauer Strasse, la chancelière Angela Merkel a exalté « les valeurs qui fondent l’Europe, la liberté, la démocratie, l’égalité, l’État de droit et la préservation des droits de l’Homme », qui « ne vont [pas] de soi » et « doivent toujours être défendues ». On assiste ces dernières années à une montée en puissance générale des forces populistes et des extrêmes droites nationalistes illustrant une tentative de repli sur soi, que leurs leaders définissent comme une protection aux effets néfastes de la mondialisation. L’AfD, ou « Alternative pour l’Allemagne », un mouvement né en 2013, progresse à toute vitesse, avec des candidats issus de l’aile identitaire, proches de milieux néonazis. Le parti d’extrême droite a récemment remporté un quart des voix dans plusieurs Länder d’ex-RDA. Dans un pays où, pour des raisons historiques, l’extrême-droite avait toujours été marginalisée depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, le résultat du scrutin a retenti comme une véritable menace.
L’Union européenne a été confrontée à de nombreuses crises politiques et sociales ces dernières années. Sous l’effet de la crise migratoire puis du référendum britannique sur le Brexit, la question des frontières se pose de manière incontournable et renvoie à des défis majeurs lancés à l’Union : où exercer le contrôle migratoire ? Où se situe la limite de la sécurité des Européens ? Cela a pour effet de diviser les pays européens. Face à l’affluence grandissante du nombre de migrants, la Hongrie avait opté en 2015 pour une solution radicale : la construction d’une clôture à sa frontière avec la Serbie. Le temps où les pays érigent des murs n’est donc pas une affaire du passé.
En instrumentalisant la xénophobie et en plaçant l’identité au cœur de leur discours, les mouvements nationalistes et populistes gagnent en popularité au sein de nombreux pays membres de l’Union européenne. Certains d’entres eux, libérés il y a 30 ans du glacis communiste, comme la Hongrie ou la Pologne, sont à présent accusés par Bruxelles de remettre en cause l’État de droit. Les atteintes à l’indépendance et à l’impartialité de la justice, à la liberté des ONG, ou encore à celle des établissements d’enseignement supérieur sont nombreuses et fortes. Ces phénomènes sont précisément contraires aux aspirations nées au lendemain de la chute du Mur de Berlin et du Rideau de fer : les espoirs d’un climat de détente et d’unité en Europe.
Sur le plan géopolitique international, « la guerre froide est de retour », mais avec cette fois, « une différence », mettait en garde Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU, car « les mécanismes et garde- fous qui permettaient jadis de gérer les risques d’escalade ne paraissent plus exister », a-t-il déclaré. Cette situation donne l’opportunité à chaque Etat d’accroitre sa puissance militaire pour garantir sa sécurité, ce qui est paradoxalement perçu par le reste du monde comme une menace, poussant les autres Etats à agir de la même manière. Les États-Unis sont ainsi sortis du traité de désarmement INF signé pendant la guerre froide, ouvrant la voie à une nouvelle course aux armements dirigée contre la Russie, qui en profite pour s’installer là où Washington se retire, que ce soit en Moyen-Orient ou en Chine.
Dans un tel climat politique, il est compréhensible que la célébration des 30 ans de la chute du Mur de Berlin ne se fasse pas dans la même allégresse qu’il y a 10 ans. Au niveau international, la détérioration des relations germano-américaines pèsent lourd sur le moral des Allemands. Les espoirs de la réunification il y a 30 ans sont aujourd’hui sévèrement menacés. Selon le dernier président soviétique, Mikhaïl Gorbatchev, toujours populaire en Allemagne pour avoir préparé le terrain à la chute du Mur, l’heure est grave : « La politique mondiale suit une pente extrêmement dangereuse », met-il en garde dans son dernier livre en forme de testament politique.
Image de couverture: Chute du mur de Berlin, Novembre 1989. Photo prise par Thiémard horlogerie, sous licence CC BY-SA 2.0.
Edité par Anja Helliot