Europe et États-Unis: je t’aime moi non plus.

Le 31 janvier 2020, Donald Trump lève les restrictions sur l’usage de mines antipersonnelles dans l’armée américaine, en dépit des accords internationaux. Cette initiative suscite le désaveu des responsables européens pour qui « leur utilisation en tout lieu, à tout moment et par tout acteur reste totalement inacceptable ». Une rhétorique de décision-condamnation devenue désormais monnaie courante entre les deux entités pourtant alliées et culturellement proches.

Des cousins des deux côtés de l’Atlantique…

Historiquement, l’Europe et les États-Unis entretiennent un lien particulier. Du Mayflower, duquel accostent en 1620 les premiers puritains anglais à l’origine de la fondation des Treize Colonies, aux vagues d’immigration irlandaises et italiennes au XIXe siècle, les Européens ont laissé leur empreinte dans la construction de ce pays qui se dresse aujourd’hui au statut de première puissance mondiale.

Poster de l’artiste Reijn Dirksen de 1950, visant à promouvoir le Plan Marshall en Europe. Photo sous domaine public.

Les relations privilégiées perdurent et s’approfondissent au XXe siècle avec la mise en place du plan Marshall à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. Ces liquidités débloquées par les États-Unis ont permis de relever une Europe à genoux où la diffusion du communisme représentait une menace. La création d’une alliance militaire en 1949, l’OTAN, parachève l’entente en réaffirmant « leur héritage commun et leur civilisation, fondés sur les principes de la démocratie, les libertés individuelles et le règne du droit ». De fait, avec la création de l’Union européenne, le capitalisme et les valeurs démocratiques se propagent d’ouest en est et persistent aujourd’hui malgré les dérives autoritaires actuellement observées en Europe de l’est.

S’en est suivie une profonde coopération militaire entre les deux entités. De nombreux états européens, comme les Pays-Bas ou le Royaume-Uni, se sont en effet impliqués aux côtés des États-Unis dans la Première Guerre du Golfe et celles qui lui ont succédé. En bref, il fut un temps où l’Europe et les États-Unis formaient un front relativement compact et animé par les mêmes valeurs.

…secoués par des querelles récurrentes

Si des désaccords étaient d’ores et déjà  présents durant cette période « d’idylle », les dix dernières années ont vu une exacerbation des querelles entre les États-Unis et l’Union européenne. Depuis l’élection de Donald Trump notamment et sa mise en place de la politique « America First », les relations sont mises à mal, à commencer par le retrait unilatéral de Washington de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, unanimement fustigé par les dirigeants de l’UE. Cette décision, à contre-courant de la ligne diplomatique européenne, vient aussi pénaliser les entreprises européennes qui comptaient s’établir en Iran.

De son côté, l’Union européenne s’est penchée à partir de 2018 sur une taxe digitale visant principalement les GAFA américains (Google, Apple, Facebook, Amazon). Pour Bruno Le Maire, il s’agit d’une « question de justice fiscale » pour ces entreprises qui ne payeraient pas suffisamment d’impôts. Finalement non mise en place au niveau continental, cette taxe a été néanmoins adoptée individuellement par un certain nombre de pays européens comme la France ou l’Italie. La nouvelle, très mal accueillie aux États-Unis, a été contrée par une menace de taxe sur le vin français.

À ces deux exemples s’ajoutent le soutien explicite  de Trump au Brexit, encourageant ainsi un affaiblissement de l’Union, ou encore les nouvelles tensions commerciales et taxes imposées à la suite de l’affaire des subventions européennes illégales d’Airbus qui venaient désavantager le géant américain Boeing en pleine crise 737-MAX. Ainsi, ces querelles ont déjà amené Donald Trump à qualifier l’Union européenne « d’adversaire » commercial au même titre que la Chine.

Vers où l’alliance US-UE se dirige-t-elle ?

Malgré ces derniers accrochages, les fondamentaux de cette entente centenaire ne sont pas remis en cause. La coopération militaire sur le dossier syrien est toujours à l’ordre du jour et les échanges commerciaux restent conséquents. En 2019, les États-Unis sont les premiers importateurs de biens européens et les seconds exportateurs de biens en Europe (après la Chine). Ils adoptent également une position similaire sur de nombreux dossiers internationaux, comme leur soutien commun à Juan Guaidó au Venezuela ou l’opposition à Bachar al Assad en Syrie.

La Présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen et Donald Trump au forum économique de Davos en janvier 2020. Photo prise par la Maison Blanche sous domaine public.

Les fissures du bloc occidental ouvrent toutefois la voie à d’autres puissances comme la Russie et la Chine pour gagner en importance et étendre leur influence. Cette dernière a en effet d’ores et déjà lancé une vague d’investissements massifs dans le monde dans le cadre des Nouvelles Routes de la soie, y compris dans des pays européens comme l’Italie. Du financement d’infrastructures à l’aide au développement, les fonds chinois visent à impliquer la Chine dans le développement de ces pays pour accroître son rayonnement sur la scène internationale. D’autre part, face aux dissensions qui règnent au sein de  l’OTAN qu’Emmanuel Macron a récemment déclaré « en état de mort cérébrale », la Russie multiplie les provocations et s’affirme incontournable dans la résolution des conflits dans le monde.

Pour les États-Unis, il semblerait que ces conflits s’inscrivent naturellement dans la politique unilatéraliste de l’”America First”. Washington remet désormais en question de nombreux traités de coopération internationale, au-delà même de l’Europe, et fait cavalier seul sur de nombreux dossiers. À titre d’exemple, l’accord de partenariat transpacifique est lui aussi passé sous le rouleau compresseur Trump.

Alors que la mosaïque européenne s’efforce de faire du multilatéralisme sa stratégie dominante, les États-Unis s’obstinent quant à eux à agir unilatéralement. Deux attitudes antagonistes qui compromettent les relations Europe-États-Unis, pourtant « essentielles à la stabilité mondiale ». Des voix s’élèvent à Bruxelles en faveur d’un renforcement de l’Union qui doit à présent s’émanciper sans pour autant rompre avec Washington, à commencer par le volet militaire. Face aux critiques récurrentes de l’OTAN, la France se place en chef de file du projet d’« Europe de la défense » afin de promouvoir les intérêts de l’Europe dans un monde dominé d’un côté par la Chine et la Russie et de l’autre par les États-Unis. D’autre part, les  tensions ont remis à l’ordre du jour la nécessité de créer des « géants européens » afin de contrecarrer l’hégémonie économique grandissante des États-Unis et de la Chine, des ambitions relevant  plus de l’utopie que de la réalité.  Car ces projets restent, pour le moment, au stade embryonnaire. L’Europe de la défense apparaît d’une part comme « un caprice du Président français » qui peine à trouver des soutiens et donc à concrétiser son entreprise. D’autre part, la fusion d’Alstom et Siemens, qui aurait pu mener à la création d’un mastodonte mondial des chemins de fer, a été refusée par la Commission, considérant qu’elle « porterait atteinte à la concurrence sur le marché ». Peut-être s’agit-il là d’un manque de chauvinisme de la part de Bruxelles qui se cramponne corps et âme à ses lois antitrust, tandis qu’outre-Atlantique la position monopolistique de Google vient à peine d’être examinée.

L’UE et les États-Unis sont engagés dans une alliance insolite : deux entités aux passés et économies intriqués, coopérant constamment sur la scène internationale, se critiquent et se font concurrence. Ces tensions redéfinissent les contours de ce partenariat sans en changer le fond. Elles font prendre conscience à l’UE de l’urgence de s’émanciper de son partenaire outre-Atlantique afin d’être moins sujette aux fluctuations de la politique américaine. Une Europe plus forte renforcerait cette alliance occidentale qui, plus qu’une simple alliance d’intérêts, est une alliance de valeurs partagées.

 

Photo de couverture par openDemocracy sous licence CC BY-SA 2.0