Hong Kong : le mirage d’une prison dorée
Avec un tiers des foyers employant un travailleur domestique, Hong Kong est un des territoires présentant la plus forte densité de ce type d’emploi au monde. Majoritairement des femmes étrangères, ces dernières représentent un total de 10% de la population active.
Hong Kong ouvre ses portes aux travailleurs domestiques étrangers depuis le milieu des années 1970. Si les années 1980 ont vu majoritairement des travailleuses venir de Chine continentale depuis la montée en puissance de celle-ci, ce sont les immigrées des Philippines et d’Indonésie qui les ont remplacées à partir des années 1990. Maintenant que ces populations ont un niveau d’éducation supérieur en matière légale, on assiste à l’émergence d’une immigration provenant également du Bangladesh, de Birmanie et du Népal. Celle-ci est encouragée par ces gouvernements qui y voient une solution au chômage national et une source de revenus grâce aux remises. Ainsi, au fur et à mesure que les travailleuses domestiques d’une certaine nationalité gagnent en éducation, d’autres pays bénéficiant d’une éducation de moins bonne qualité deviennent les nouveaux foyers d’émigration.
Hong Kong demeure une destination privilégiée du fait de ses nombreux avantages sociaux par rapport à d’autres pays voisins, tels que le droit à un jour de repos par semaine, et la présence de moyens légaux pour déposer des plaintes. Néanmoins, les lois en vigueur discriminent délibérément cette fraction de la population et encouragent leur exploitation en régulant d’une part les agences et d’autre part les droits et devoirs des employeurs.
En servant d’intermédiaires entre le travailleur et l’employeur, les agences de recrutement, régulées selon les lois hongkongaises et des pays d’origines, ont un rôle déterminant pour les conditions de vie des jeunes femmes.
En Indonésie par exemple, leur service est obligatoire afin d’obtenir un visa. En théorie, les frais d’agences ne doivent pas dépasser 10% du salaire du premier mois, mais en pratique, ces frais sont largement dépassés. Ainsi, les contrats peuvent emprisonner les employées dans une dette persistante, aussi appelée «servitude sous contrat». Les services et protections fournis par ces agences sont également souvent insuffisants. Enfin, les hôtels alloués avant le début du contrat témoignent de conditions de vie et d’hygiène désastreuses. Ainsi, la régulation des agences d’emploi étant insuffisante, nombreuses sont celles qui en exploitent les zones grises afin de favoriser leurs intérêts au détriment de la qualité de vie et de la santé des employées.
En dehors de sa capacité à réguler le mode de fonctionnement des agences, le gouvernement de Hong Kong a un rôle direct dans les conditions de travail et de vie de ces femmes. Afin de limiter le «job hopping» c’est à dire les changement d’emplois fréquents, pour préserver une certaine stabilité à ce secteur économique – en évitant de perturber les employeurs par la recherche d’une nouvelle employée et les frais additionnels qui l’accompagnent – le gouvernement de Hong Kong refuse de remettre en question certaines lois en vigueur. Celles-ci favorisent les potentiels abus à l’encontre des employées et les discriminent du reste de la population. Ces dernières sont donc victimes d’une inaction gouvernementale qui peut pourtant avoir des conséquences dramatiques sur leur intégrité morale et physique.
Tout d’abord, la discrimination de cette partie de population est inscrite dans la loi. En effet, le salaire minimum pour les travailleurs domestiques (qui est de HK$4,010, soit US$515) est inférieur à celui en vigueur pour le reste des travailleurs « normaux », compris entre HK$5,760 et HK$6,240, basé sur une semaine type de 48h. De plus, l’obtention du permis de résident permanent ne se fait pas non plus sous les même conditions. Selon l’ordonnance d’immigration, un étranger peut être éligible à un tel permis après avoir « résidé ordinairement » à Hong Kong pendant sept années consécutives. Il peut bénéficier ainsi du « droit de résidence ». Cependant, la définition de « résident ordinaire » exclut, entre autres groupes, ceux qui vivent sur le territoire en tant que « travailleur domestique étranger ». Ainsi, cette catégorie de la population est privée des droits inhérents au statut de « résident permanents » tels que le droit de vote, et ce, même si elles ont vécu plus de sept ans sur le territoire.
Même lorsque la discrimination de ces femmes n’est pas inscrite dans la loi, cette dernière est insuffisante lorsqu’il s’agit de les protéger et contribue de ce fait à leur exploitation.
Les contrats doivent avoir une durée de deux ans et les employées se confrontent à l’interdiction de renouveler leurs visas si elles changent plus de trois fois d’employeur en un an. Ceci les dissuade de changer d’employeur même lorsqu’elles subissent des préjudices moraux ou physiques. De plus, après la fin de leur contrat, elle n’ont le droit de séjourner que pour une période de deux semaines sur le sol hongkongais avant de retourner dans leur pays d’origine et effectuer de nouveau les mêmes démarches, coûteuses, auprès d’une agence afin d’accéder à un nouveau contrat. Les employées sont donc d’une part découragées de changer d’employeur même si celui-ci ou celle-ci les exploite, et d’autre part, encouragées à accepter des emplois toujours plus précaires afin de leur assurer une stabilité nécessaire à la construction d’une vie pérenne à Hong Kong.
Enfin, certaines lois et régulations facilitent les abus et la détérioration des conditions de vie de ces populations car leurs objectifs initiaux s’écartent bien souvent de leurs conséquences réelles. Depuis 2003 par exemple, il est obligatoire de vivre sous le même toit que ses employeurs. Ceci avait été décidé en vue de protéger les travailleurs locaux, en « gardant un marché du travail stable et ordonné », et en le protégeant des emplois illégaux. En effet, cela exige aux employeurs de n’employer des travailleurs étranger que s’ils possèdent les ressources nécessaires pour les loger dans leurs foyers. Cette mesure était donc, dans l’idée, essentiellement dissuasive envers les travailleurs étrangers. Néanmoins, les logements étant très exigus à Hong Kong du fait du prix exorbitant du loyer, les employeurs moins aisés sont incités à contourner les lois afin d’employer tout de même une travailleuse immigrée. Ainsi, cette mesure accroît la probabilité qu’elle ne soit pas logée dans une chambre privée, mais plutôt en cohabitation avec les enfants, parfois dans le même lit, ou dans un «lit» aménagé dans des espaces habituellement réservés à des placards, ou parfois même sur le sol. De plus, cette mesure inhibe les possibilités des travailleuses d’échapper au contrôle excessif des employeurs et à leur exploitation, et rend floues les limitations d’heures de travail par jour. Ainsi, selon Amnesty International, ces femmes travaillent plus de 17h par jour en moyenne. Elles disposent néanmoins d’un jour de congé par semaine, souvent le dimanche. Elles se retrouvent alors généralement sur les lieux publics de Hong Kong pour converser, chanter, danser ou se livrer à d’autres activités sociales et artistiques.
Erwiana Sulistyaningsih a donné une image et une voix à ce phénomène. Son témoignage, que j’ai eu la chance de recueillir lors de mon séjour à Hong Kong, est révélateur de l’ampleur des abus qui peuvent être commis sous ce régime pourtant légal. À l’âge de 23 ans, Erwiana a souffert de violences psychologiques et physiques de la part de son employeuse, Law Wan-Tung, pendant plus de huit mois. N’ayant pas la possibilité de consulter un médecin pour se faire soigner, l’infection de ses plaies et l’aggravation de son cas étaient alors inévitables. Lorsque son employeuse l’a renvoyée en Indonésie en lui laissant l’équivalent d’un peu moins de US$10, Erwiana était en sous-poids, ne pouvait plus marcher et avait été en privation de sommeil pendant plusieurs mois. C’est alors qu’une Indonésienne a fait sa rencontre et l’a prise en charge, l’accompagnant chez elle a Ngawi et à l’hôpital de Amal Sehat. Law Wan-Tung a finalement été inculpée en 2015 pour 18 des 20 charges qui avaient été retenues à son égard. Néanmoins, en 2019, Erwiana attendait encore la compensation qui lui était due par son bourreau.
Bien que son cas soit souvent perçu comme un événement « isolé et regrettable », il pourrait ne représenter en réalité que la face émergée de l’iceberg. Certaines statistiques montrent que l’ampleur de ce phénomène ne se résume pas au seul cas de Erwiana : l’organisation non-gouvernementale Justice Center affirme que dans 66,3% des cas, les travailleuses domestiques montrent des signes importants d’exploitation – mais pas de travail forcé. Dans 17% des cas, elles connaissent le travail forcé. A l’inverse, seulement 5,4% des cas ne présentait aucun signe d’exploitation.
Ainsi, Hong Kong est souvent critiquée pour sa position de déni face à cette situation, ce qui continue de transformer la ville en une source, destination et plateforme de transit pour le trafic d’êtres humains et le travail forcé. En 2016, le «Global Slavery Index» (l’Index Global de l’Esclavage) classait par ailleurs le gouvernement de Hong Kong comme étant l’un des gouvernements prenant le moins de disposition pour lutter contre l’esclavage moderne parmi 167 pays.
La pandémie de coronavirus affecte particulièrement cette section de la population qui dispose de peu de garanties de stabilité et de sécurité dans le territoire. Ainsi, beaucoup ont dû rentrer dans leur pays d’origine, notamment aux Philippines, suite à la terminaison de leur contrat. Leur travail étant souvent essentiel à la survie de la famille, ce retour complique d’autant plus leur situation déjà précaire. Le gouvernement philippin a également exempté ces travailleuses et leurs familles de recevoir une assistance financière. En plus de masquer médiatiquement le débat sur leurs conditions précaires, pourtant nécessaire à leur survie et à la cohésion de la société hongkongaise, cette crise vient également aggraver la situation de ces personnes vulnérables.