L’Amérique, l’ex toxique de l’Europe

L’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche en tant que 46e président des États-Unis a été accueillie avec un certain soulagement auprès de différents dirigeants, notamment européens. En effet, après plusieurs années de frictions diplomatiques avec Donald Trump, certains clivages se sont accentués entre les États-Unis et l’Europe. Biden contraste largement avec son prédécesseur et laisse présager un renouveau pour les relations transatlantiques, mais les différends avec le Vieux Continent ont peu de chance de s’effacer pour autant. La gouvernance Trump semble avoir éclairé la dépendance néfaste de l’Europe aux États-Unis – une situation que l’Union européenne devrait s’efforcer de changer. Ainsi, l’arrivée de Biden est-elle véritablement annonciatrice d’un nouveau jour pour les relations transatlantiques? 

Biden, le renouveau diplomatique

Sous Trump, beaucoup de prises de position politiques ont fait basculer les relations dans un rapport plus tendu avec l’Europe. Connu pour ses méthodes diplomatiques peu conventionnelles, ses passages en force, et ses actes impulsifs, le président sortant a notamment retiré les États-Unis de nombreux accords internationaux:  un des premiers étant celui des accords de Paris, encourageant la coopération internationale pour répondre au changement climatique. 

Ce retrait fut le marqueur des divisions qui allaient suivre avec l’Europe, comme cela avait été confirmé d’abord avec le retrait de l’accord sur le nucléaire iranien; puis avec celui de l’OTAN – l’alliance militaire transatlantique. Le retrait des États-Unis d’une zone syrienne convoitée par les Turcs, également membre de l’OTAN, a servi de feu-vert informel au président Recep Tayyip Erdogan pour entreprendre une intervention contestée par les autres membres de l’alliance. Suite à ce virage géopolitique, Emmanuel Macron a déclaré la « mort cérébrale » de l’OTAN, entérinant de facto les divisions au sein de l’alliance. Ainsi, Trump n’a cessé de démontrer tout le long de son mandat qu’il préférait s’imposer à ses homologues européens plutôt que de travailler avec eux.

Sous Biden, cette tendance devrait sensiblement s’inverser. En effet, la présidence de Trump a été parsemée d’actions exécutives plutôt que législatives, qui font d’une partie de son héritage politique une dune de sable susceptible d’être entraînée par un vent nouveau. Biden a d’ailleurs exprimé son intention de renouer avec les alliés des Américains négligés par la présidence précédente. Cette volonté de fortifier la coopération internationale s’est déjà matérialisée par le retour au sein des accords de Paris, le jour même de son inauguration. 

Le nouveau président américain compte revenir autant que possible à l’ordre de l’après Guerre froide, au sein d’un Occident uni pour faire face aux puissances montantes. Joe Biden est donc de bonne augure pour les relations transatlantiques et l’Occident devrait pouvoir retrouver une certaine unité. Pourtant, cela ne saurait voiler l’asynchronisme croissant entre l’Europe et les États-Unis, ainsi qu’un désir d’autonomie et d’émancipation de la part de l’UE. 

La masculinité toxique de l’Oncle Sam

Si l’ère de Trump a été néfaste pour les relations transatlantiques de diverses manières, elle aura au moins permis à l’Europe d’en tirer une leçon centrale : sa dépendance à son partenaire américain est toxique. En effet, les actions du président républicain ont mis en lumière les faiblesses géopolitiques de l’UE et lui ont fait prendre conscience des risques encourus en demeurant éternellement dans l’ombre des États-Unis. 

Depuis la fin de la Guerre froide, l’Occident, dirigé fièrement par les États-Unis, est pratiquement au point mort. S’étant laissée convaincre par l’idée d’une hégémonie occidentale incontestable, l’Europe s’est retrouvée tributaire des États-Unis en matière de sécurité et de représentation de ses intérêts à l’échelle internationale. Alors, à mesure que l’ordre mondial évolue, l’Occident stagne pendant que d’autres pays comme la Chine et la Russie se démènent sur la scène politique internationale. Pendant longtemps aveuglés par leur confort post-Guerre froide, les États-Unis commencent désormais à se sentir de plus en plus menacés par la Chine. Pour combler le retard accusé, ils se concentrent sur leurs intérêts, abandonnant une Europe dépendante sur le bas-côté.

Le fait est que les rapports géopolitiques d’aujourd’hui ont été métamorphosés par la mondialisation, les innovations technologiques, la prévalence de l’ordre économique et financier, ainsi que les nouveaux défis énergétiques liés à la menace climatique. En d’autres termes, les intérêts des État-Unis ne vont pas s’aligner avec ceux de l’Europe simplement par l’arrivée d’un nouvel homme dans le bureau ovale. Les rapports seront sans doute plus courtois avec, de nouveau, un recours possible à la diplomatie et la négociation mais les États-Unis restent adeptes du realpolitik et continuent de voir les relations internationales comme un jeu à somme nulle. Si les tendances protectionnistes de Trump étaient un cas extrême, avec ses retraits successifs de traités internationaux et sa guerre commerciale avec la Chine, elles reflètent néanmoins des tendances domestiques sous-jacentes qui visent à toujours placer l’Amérique avant tout. 

Le président ukrainien Petro Porochenko (gauche), la chancelière allemande Angela Merkel (centre) et le président américain Joe Biden (droite), lors de la Conférence de Munich sur la Sécurité, en 2015. Par Müller / MSC, sous licence CC BY 3.0 DE.

Autonomie stratégique de l’Europe : la faible marge de manoeuvre

Alors que les dynamiques changent, l’Europe cherche à trouver sa place dans le nouvel ordre mondial et à s’affranchir de son ancien statut dans l’ombre des États-Unis. La chancelière allemande Angela Merkel a d’ailleurs indiqué qu’il ne fallait pas s’attendre à un simple retour à l’harmonie, sans considération des intérêts européens. Biden sait donc que l’un de ses plus grands défis sera de renouer une relation de confiance avec les Européens.

L’Europe a déjà entrepris plusieurs mesures qui marquent son affranchissement. Fin 2020, l’Europe a choisi de redéfinir ses rapports avec la Chine, son deuxième partenaire économique après les Américains, avec un accord global sur les investissements (AGI). Cet accord a pour but de faciliter et de réguler les Investissements Directs à l’Étranger (IDE) entre l’Europe et la Chine, et de coopérer plus étroitement en matière de transferts de technologie et de régulations environnementales. Offrant à la Chine une fenêtre d’interposition entre les États-Unis et l’UE, ce rapprochement a été vu d’un mauvais œil par la nouvelle administration Biden avant même qu’il n’entreprenne de renouer avec son allié historique.

La récente relance des débats sur la sécurité en Europe suggère également une intention de se défaire de la protection accordée par la puissance américaine et un désir de développer une force de frappe aux couleurs européennes. S’il n’est pas encore question de formellement contester l’existence ou l’utilité de l’OTAN – une alliance à ce jour parfaitement essentielle au maintien de la dissuasion russe – il n’est plus question de devoir en dépendre pour maintenir la sécurité européenne. L’alliance ne représente plus aujourd’hui des intérêts en symbiose avec ceux de l’Europe et doit se limiter à son statut coopératif lorsque les situations appellent à une intervention commune.

Toutefois, l’Europe fait face à de nombreux défis internes qui ne cessent de la déstabiliser. À l’heure où le populisme éclot en son cœur et fragilise sensiblement sa légitimité et ses institutions, l’UE doit parvenir à sortir de l’entre-deux dans lequel elle se retrouve emprisonnée, à mi-chemin entre l’union politique transnationale, et la simple zone de coopération économique et de libre-échange. Sans résoudre ses propres contradictions et s’affirmer auprès des citoyens européens, elle ne pourra pas assumer pleinement le rôle qu’elle a l’occasion d’incarner à l’heure d’un rééquilibrage des puissances.

 

Ainsi, il est question pour l’UE de reprendre les reines et de s’affirmer vis-à-vis des États-Unis. Les deux régions demeurent indéniablement liées, d’un point de vue culturel, stratégique et commercial mais l’Europe, à présent plus clairvoyante quant à ses faiblesses, doit se sortir des sables-mouvants post-Guerre froide et se battre pour sa place dans l’ordre mondial.

Édité par Apolline Bousquet

Photo de couverture: Le 46e président des États-Unis, Joe Biden. Par Gage Skidmore, sous licence CC BY-SA 2.0.