De La Liberté
« La liberté nous la chérissons; l’égalité, nous la garantissons; la fraternité, nous la vivons avec intensité. Rien ne nous fera reculer, jamais. » Voilà une belle promesse du président français Emmanuel Macron que la pandémie a omis de préserver. Depuis près d’un an, le monde entier est plongé dans une sorte de torpeur, d’isolement et de solitude sans pareil. Les contraintes sanitaires exigent une restriction des libertés. Plus particulièrement, la situation des expatriés français pendant la pandémie interroge la liberté et les droits fondamentaux et remet en question le statut de la France en tant que pays des droits de l’Homme et de la liberté.
Naufragés d’une épidémie mondiale
Confinés en terres étrangères, entre isolement et éloignement, les expatriés qui ne rêvaient que d’aventures et d’évasion font face à de nombreuses désillusions. En effet, l’expatriation est un mode de vie qui a du mal à survivre aux écluses de la pandémie. La terre d’accueil est devenue une prison dorée où la montée de sentiments xénophobes se fait ressentir et où l’émerveillement et l’exaltation des étrangers ont fait place à la méfiance. Au Canada, dans la province de l’Île-du-Prince-Édouard, des incidents de vandalisme et d’intimidation ont été recensés à l’encontre des étrangers. Les expatriés ne sont plus les bienvenus dans leur pays d’accueil et se sentent confrontés à l’abandon et à l’indifférence. Au fil des saisons, des naissances et des adieux, l’éloignement et la solitude deviennent fatalité sans perspective d’amélioration. Les écueils de l’expatriation sont décuplés par la crise sanitaire. L’éloignement n’est plus choisi mais subi. Selon l’enquête menée par la société britannique Knight Frank, les principales raisons qui poussent les expatriés à vouloir rentrer chez eux sont les suivantes : des opportunités professionnelles, le souhait d’un meilleur système de santé et éducatif pour leurs enfants et le rapprochement avec les familles. Au-delà du mal du pays et du spleen, nombreuses sont les familles séparées et les étudiants qui n’ont pas vu leurs parents depuis près d’un an. Entre les quatorzaines voire trois semaines de confinement à l’arrivée, à l’hôtel ou dans son foyer, les tests PCR, les restrictions d’entrée et de sortie de territoire ou les contrôles par bracelets électroniques, se retrouver est devenu un véritable casse-tête. Pourtant, beaucoup d’expatriés n’osent pas manifester leurs afflictions et leurs peines « tant ils portent (ou tant on aime leur faire ressentir) leur choix de partir à l’étranger comme une culpabilité ».
#JeVeuxRentrerChezMoi
Et puis le 31 janvier 2021, le coup de grâce pour beaucoup de ressortissants français qui voient alors leurs minces perspectives basculer. En effet, les expatriés français apprennent qu’ils ne peuvent uniquement entrer sur le sol national sous couvert d’un « motif impérieux ». Une vingtaine de motifs sont définis tels que le décès d’un membre de la famille, la visite d’un proche dont le pronostic vital est engagé ou la convocation par une autorité judiciaire ou administrative. Selon le sénateur Damien Regnard, « vous avez des motifs qui sont légitimes mais qui ne sont pas impérieux. Par exemple, vous avez un parent qui a la maladie d’Alzheimer. Il n’est pas en fin de vie, ça n’en fait pas partie. Je reçois chaque jour une vingtaine de mails de cas plus terribles les uns que les autres ». La fermeture des frontières, jugée anticonstitutionnelle, a été portée devant le Conseil d’État, saisi par sept Français expatriés aux États-Unis. Entre colère, aigreur et accablement, ils dénoncent le mépris de leurs droits fondamentaux et de leurs libertés. Leur avocat, Me Pierre Ciric souligne ainsi que « si la loi peut restreindre, de façon strictement proportionnée aux risques sanitaires encourus, et appropriée aux circonstances de temps et de lieu, le droit d’aller et venir sur le territoire français et le droit de le quitter, il est impossible de restreindre d’aucune façon ou d’interdire à un ressortissant français de revenir en France ».
Ces revendications sont également défendues par Yan Chantrel, conseiller élu à l’Assemblée des Français de l’étranger pour le Canada. Figure de proue de cette lutte, il a lancé une pétition qui a recueilli près de 25 000 signatures et exige « le retrait de cette décision discriminatoire et contraire aux libertés fondamentales et au droit international qui énonce que toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays ». De concert, l’émergence du hashtag #JeVeuxRentrerChezMoi a fait éclore la détresse et le ressentiment des expatriés français sur les réseaux sociaux. À la colère cède le désarroi et l’incompréhension. À l’instar de Damien Regnard, ils interrogent la distinction faite entre les français expatriés hors de l’Union Européenne et ceux qui sont expatriés en son sein. Les expatriés français ne disposent plus des mêmes droits en fonction de leur lieu de résidence, un constat qui implique des difficultés juridiques et constitutionnelles. À l’exception des Antilles, le 12 mars 2021, le Conseil d’État a finalement suspendu l’obligation de faire valoir un motif impérieux pour les Français rentrant de l’étranger compte tenu de l’évolution épidémique. Si cette décision rappelle l’existence de garde-fous à la liberté, il demeure légitime de s’interroger sur l’état de cet idéal républicain à l’aune de la pandémie.
2 + 2 = 5
Pour beaucoup, la pandémie a érodé certaines fonctions de la démocratie. La France, qui exalte à « la liberté, liberté chérie », qui s’érige en fervente défenseure des droits de l’Homme et se galvanise de sa devise : liberté, égalité, fraternité, est pourtant l’un des rares pays à avoir pris de telles dispositions à ses frontières. Et si la France avait perdu de sa superbe en matière de liberté? Damien Regnard dénonce une décision prise « à la va-vite et sans la consultation des élus établis hors de France, mais surtout l’atteinte aux libertés fondamentales qu’elle entraîne ». En effet, la mise en place du « motif impérieux » est contestée car la France est signataire de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales dont l’article 4 édicte que « nul ne peut être privé du droit d’entrer sur le territoire de l’État dont il est le ressortissant ». Par ailleurs, ils dénoncent la mise en place de mesures superflues à défaut de moyens plus probants comme un meilleur contrôle des aéroports et un meilleur suivi des quatorzaines obligatoires. Cette situation interroge les limites du pouvoir que l’État peut légitimement exercer sur la société.
Fluctuat nec mergitur
Cependant, une nation ne peut pas définir la liberté comme un absolu. Liberté et contraintes s’entremêlent souvent dans une sorte de clair-obscur nécessaire à la vie civique d’un pays. L’État doit assurer la liberté de chacun tout en protégeant la sécurité de tous. Quelles situations méritent de voir la loi aménagée, les normes et valeurs établies bousculées, les droits que l’on croyait acquis, bafoués? Et qui serait en mesure d’en définir les limites et de spécifier les « motifs impérieux » dérogatoires? La crise sanitaire de la COVID-19 a marqué le début d’une période sans précédent. Le Président de la République française l’a martelé : nous sommes en guerre. La guerre peut-elle être un « motif impérieux » pour brider les libertés fondamentales ?
Jean-Baptiste Lemoyne, Secrétaire d’État auprès du ministre des Affaires étrangères a fait valoir l’importance des libertés fondamentales « mais pas à n’importe quel prix ». Le gouvernement revendique une limitation et non une interdiction. L’État conceptualise cette approche dans une démarche visant à assurer les libertés fondamentales tout en protégeant la sécurité des populations. Ne pas restreindre les entrées et sorties sur le territoire exposerait la population aux variants du virus, au risque de déclencher un nouveau confinement et de perdre des vies. Or, n’est-ce pas là une atteinte encore plus dommageable à la liberté des Français ? Le célèbre adage « la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres » acquiert alors réellement sa substance.
Par ailleurs, William Dab, professeur titulaire de la chaire d’Hygiène et Sécurité du CNAM, définit la sécurité sanitaire comme « l’idée qu’il y a des risques pour la santé dont on ne peut pas se protéger tout seul et qui demande un effort organisé de la société. Historiquement, le tournant c’est au XVe siècle avec la quarantaine de Venise. C’est une des premières fois en Europe que l’on reconnaît qu’il faut contraindre la liberté individuelle pour protéger le groupe, et on fonde ainsi la notion de police sanitaire ».
La situation des expatriés français pendant la crise sanitaire éprouve la liberté et nos idéaux. Les rêves d’aventure et de découverte sont brisés, mis en suspens, oubliés. Pour de nombreux ressortissants français, la gestion de la crise par le gouvernement ne fait qu’ajouter à leur fardeau. Ils se sentent abandonnés, exilés et voient leurs libertés bafouées. Pour l’État, un dilemme demeure : liberté ou sécurité nationale. Le choix ne peut-être manichéen, il faut trouver un équilibre et arbitrer adroitement; assurer la sécurité nationale sans pour autant renier la liberté. Les mots de la philosophe Corine Pelluchon sont rudes, impitoyables, réalistes : « ce virus nous rappelle que la santé est la condition première de la liberté ».
Édité par Driss Zhegari
Photo de couverture : La Liberté guidant le peuple. Photo de Storm Crypt, sous licence CC BY-NC-ND 2.0.