Chercher, trouver, recommencer : une introspection identitaire
Alors que je m’installe, j’entends mon prénom résonner à travers les conversations agitées. Ayant calmé le tumulte qui régnait dans la salle, le professeur me demande de me présenter. Je réponds mécaniquement : « Je suis Franco-Libanais, j’aime voyager et prendre des photos. Et j’ai grandi dans huit pays différents. »
« Mais d’où viens-tu vraiment? » me demande mon voisin aux traits asiatiques, d’un accent québécois fort prononcé. Ayant fait connaissance avec de nombreuses personnes durant cette première semaine à l’université, et m’étant chaque fois présenté de cette même manière, j’ai senti qu’encore une fois, je ne savais plus qui j’étais.
À force d’essayer de se définir, on finit par ne plus se reconnaître. Lorsqu’on a été exposé à différents milieux culturels, on apprend à s’identifier à chacun d’eux. En effet, si les expatriations permettent indéniablement de nous enrichir, ces expériences peuvent néanmoins alimenter un flou identitaire. Ainsi, nous ne savons plus à quel lieu, à quelle langue, à quelle culture nous appartenons. Afin de de se retrouver, il faut chercher, reconstituer son parcours, et trouver les éléments clés du fondement de notre personne.
Houston, États-Unis : réflexion naissante
Janvier 2017. Ce jour-là, je suis rentré dans mon cours de littérature américaine sans me douter que j’allais en ressortir en ayant appris un nouveau concept, un concept qui marquerait le début d’une réalisation profonde de mon être conscient.
« Identité. Identité », répétait l’enseignante. « Quelle est votre identité? Quelle est-elle pour vous? 60 ans sur cette planète et je suis toujours à sa recherche! » s’exclamait-elle d’un ton énigmatique. Ce concept m’était alors complètement inconnu. L’identité était pour moi une simple catégorisation administrative associée à une nationalité ou à des caractéristiques physiques. L’interrogation grandissante sur le sens fondamental de ce nouveau terme me plongea dans une réflexion intense et indéterminée: la crise identitaire.
Le substantif « identité » provient du latin identitas, tiré d’idem, qui signifie « le même ». Le même quoi? Les dictionnaires offrent diverses définitions. Mais c’est celle du Petit Robert qui retient mon attention. Dans son édition 2021, l’identité est le « caractère de ce qui demeure identique à soi-même. » Soi-même, c’est ce moi, c’est la personne que je suis dans mon individualité. Mais qu’est-ce qui fait que je reste moi, que je peux me définir en tant que moi de manière intemporelle? L’identité demeure-t-elle identique dans le sens qu’elle reste inchangée à travers les différentes expériences ou doit-elle simplement assurer la singularité de ma personne? Grâce à ce cours de littérature, à ma découverte et compréhension du mot « identité », j’arrivais enfin à définir ce que je n’avais jamais réussi à définir : je saisissais enfin la notion de la quête de soi, qui pesait depuis longtemps dans mon inconscient. Et pour la première fois, je ne savais plus qui j’étais.
N’étant ni entièrement libanais aux yeux des Libanais, ni entièrement français aux yeux des Français, il me fallait pourtant pouvoir me caractériser. En grandissant sur quatre continents différents, j’ai appris à reconnaître la diversité culturelle que chaque région avait à offrir tout en m’accoutumant aux mentalités variées et parfois contraires. « Si tu es à Rome, vis comme les Romains », dit-on souvent, surtout aux expatriés, qui mènent un mode de vie quasi nomade. Mais est-il nécessaire de se dissocier de ses origines afin de pouvoir s’acclimater à de nouveaux environnements sociaux? Quel est le prix de l’adaptation aux yeux de l’identité? Risque-t-on, dans un contexte multiculturel, de se perdre soi-même, ou peut-on aboutir à une harmonie qui concilie l’essence de notre individualité et les variables de la vie?
Al-Khobar, Arabie Saoudite : faut-il choisir?
Avril 2012. L’enseignante de CM1 était absente ce jour-là; la surveillante du lycée se chargea d’assurer le cours de la matinée. Chaque matin, la routine était la même : l’appel, la dictée, puis les exercices de mathématiques.
Arrivée à mon tour, après avoir prononcé mon nom de famille, elle ajouta : « Toi, tu es Arabe », à quoi je répondis instantanément, « Non, je suis Français. » Presque offusquée par ma réponse, la surveillante posa la feuille sur la table et prit une longue pause. Ensuite, s’adressant à moi et au reste de la classe, elle expliqua la différence, selon elle, entre nationalité et origine. « Toi, tu as le passeport français, c’est une nationalité, mais sinon tu es Arabe, ça se voit à ton nom. Tu ne peux pas être les deux. »
Au Lycée français comme dans mon village libanais, je ressentais souvent un manque d’appartenance. Bien que mon attachement pour la culture française était aussi fort que pour la culture libanaise, je n’étais jamais entièrement ni l’un ni l’autre. Constamment sous la pression de devoir faire un choix entre ces deux origines, j’étais plongé dans un réel conflit identitaire. Mais c’est à travers ce conflit que je compris que choisir serait abandonner une partie de moi, ce que je refusais. Je serais donc les deux.
Puis, une partie de moi certes se sentait arabe, mais il m’était important de distinguer que j’étais Libanais avant tout. Il m’était insupportable que quelqu’un d’autre m’attribue une caractérisation que je ne considère pas comme mienne. Je n’avais pas à faire le choix entre Français ou Libanais; au contraire, ce n’était qu’ensemble que ces deux variables me constituaient dans mon entièreté. Je conclus alors que la définition de mon individualité par les autres, donc de mon identité, ne serait jamais fidèle à la représentation de ma personne; seul moi peut me sentir moi : je suis celui que je choisis d’être.
Le Caire, Égypte : réalisations du départ
Juin 2007. Mes parents nous annoncèrent à mes sœurs et à moi que nous allions quitter l’Égypte. Mon père était muté, et notre prochaine destination serait Singapour. « Sing-ah quoi?! » je m’étais exclamé, m’efforçant de trouver la cité-État insulaire sur la mappemonde de mon atlas.
Après avoir vidé ma dernière boîte à jouets, je rejoignis ma mère dans la voiture. Sortant de ma chambre presque vide, je pris conscience de l’approche du départ; tous mes souvenirs allaient être embarqués avec les cartons. Une page allait inévitablement être tournée, comme tant d’autres par la suite. Il faudrait tout recommencer : l’adaptation, les rencontres, l’habituation, puis un jour, le départ. Certains départs sont certes vécus comme un déchirement. Mais la richesse de ce mode de vie fait que l’on développe un sens d’adaptation qui permet d’apprécier la diversité du monde; un caractère qui s’est révélé être au cœur de mon identité.
Retrouvant ma mère dans la voiture, nous partîmes à mon ancienne école. Sur la route, on discuta de Singapour. Elle me raconta que les rues y étaient très propres et la gomme à mâcher, interdite, pour éviter qu’elle ne les salisse. En regardant par la fenêtre, je pouvais constater à quel point Singapour serait différent du Caire et de ses ruelles chaotiques pleines de vie. Allais-je pouvoir m’y retrouver dans ce nouveau pays si différent? Risquais-je de me perdre à travers de tels contrastes?
Arrivés à l’école, je courus jusque dans la cour où je retrouvais mes amis pour faire mes adieux. Je quittais ceux avec qui j’avais partagé mes trois dernières années. Sur le moment, je ne le réalisais pas, mais ces amis que j’allais laisser derrière moi étaient ceux avec qui j’avais grandis, découvert, appris. Ces liens que l’on crée avec autrui, ces liens qui nous unissent à ceux qu’on apprécie, finissent par constituer la personne que nous sommes. Ces relations que nous entretenons servent de modèle pour des relations futures, et jouent alors un rôle clé dans la construction de notre identité.
C’est donc par le biais des relations nouées, et par le développement de capacités d’adaptation tout au long de notre parcours, que nous parvenons à dépasser les contrastes culturels et identitaires.
Montréal, Québec : retour à la case départ?
Octobre 2021. Les feuilles tombent lentement des arbres, laissant apparaître leurs branches nues. Les feuilles qui, dès la fin de l’été, commencent à rougir et s’envolent à l’approche de la première brise. Les arbres restent à leur place, immobiles, mais tout au long de l’année, ils grandissent, changent de couleurs, perdent leurs feuilles, ou donnent des fruits. Comme l’arbre, l’essence de l’identité est fixe. L’essence qui fait que nous nous reconnaissons, que nous restons fidèles à nous-même. Mais l’identité en soi n’est pas une constante; elle varie tout au long de la vie. Je sais qui je suis mais je continue d’être, de grandir, d’évoluer.
Ce constat est l’aboutissement d’une profonde réflexion pareillement mise en place par Amin Maalouf, grand écrivain libanais, qui nous assure que « l’identité n’est pas donnée une fois pour toutes, elle se construit et se transforme tout au long de l’existence. » La quête universelle de l’identité est un cycle infini : je me cherche, je me trouve, et je recommence.
Image de couverture : « Voyage » sur le Mont-Sannine, Liban. Photographie par l’auteur.
Édité par Maria Laura Chobadindegui.