La tourbière du Congo: une alliée majeure contre le réchauffement climatique aux allures de bombe à retardement
Depuis plusieurs décennies, la communauté scientifique n’a eu de cesse d’exhorter les gouvernements à mettre en place des mesures pour protéger les écosystèmes constituant des puits carboniques. Néanmoins, les activités humaines et polluantes n’ont pas diminué et les incendies dûs au réchauffement climatique se sont multipliés. Depuis plusieurs mois, certaines zones en Amazonie émettent plus de CO2 qu’elles n’en absorbent, renversant son statut de puits de carbone à source de gaz à effet de serre. La forêt du bassin du Congo, deuxième forêt tropicale mondiale après l’Amazonie, et en particulier la tourbière vivant en son corps, sont aujourd’hui considérées comme « le dernier poumon du monde », d’après la réalisatrice Yamina Benguigui.
Le rôle des tourbières dans la régulation du climat est, aujourd’hui encore, méconnu du grand public. Véritables bombes environnementales, alliées majeures dans la lutte contre le réchauffement climatique, les tourbières constituent des écosystèmes aux vertus considérables, que les gouvernements ne peuvent se permettre de menacer à travers des projets industriels. Les forêts du Bassin du Congo, abritant la grande tourbière de Lokolama, sont en danger. La surexploitation du bois et des minerais déstabilisent l’équilibre de ces écosystèmes et perturbent leur fonctionnement. Les gouvernements d’Afrique centrale, en partie sous l’impulsion du président congolais Denis Sassou Nguesso, ont déjà lancé de nombreuses initiatives visant à rediriger leurs économies vers un modèle plus vert. Cependant, l’économie de ces pays dépend largement de l’exploitation des ressources naturelles et l’abandon de ces activités engendrerait une perte de richesse significative. Ainsi, la survie des écosystèmes du bassin du Congo repose en partie sur le soutien financier et stratégique de la communauté internationale.
La tourbière de Lokolama: Un thermostat naturel
Dans le bassin du fleuve du Congo, au cœur de l’immense forêt primaire, se trouve la tourbière de Lokolama, à cheval sur les deux Congo. Elle représente le plus vaste environnement tourbeux au monde, avec plus de 30 milliards de tonnes de carbone réparties sur une superficie de 145 500 km carrés. Une tourbière est un écosystème humide, caractérisé par la présence de sphaignes, mousses s’accumulant jusqu’à former de la tourbe. Les sols tourbeux ont une forte teneur en matière organique d’origine végétale en lente décomposition. Une tourbe est donc un amas de déchets végétaux, constituant une sorte de sol humide et spongieux. Ces écosystèmes ont une très forte capacité de stockage carbonique. Ils emprisonnent des quantités astronomiques de carbone et l’empêchent de se libérer sous forme de CO2 dans l’atmosphère. De ce fait, ils jouent un rôle essentiel dans la régulation du climat.
Le Bassin du Congo est aujourd’hui la proie des industries forestières et minières peu scrupuleuses. Ces projets industriels ont des impacts dévastateurs: ils déstabilisent les écosystèmes en polluant l’eau des fleuves et en entravant l’accumulation de tourbe. L’établissement de projets agricoles dans les zones tourbeuses représente également un risque. En Indonésie, des dizaines de milliers d’hectares de forêts et de tourbières partent en flammes chaque année à cause de plantations de palmiers à huile – une activité soutenue par les grandes multinationales alimentaires et cosmétiques. Un des risques principaux de l’exploitation de la tourbière de Lokolama serait notamment que sa capacité de stockage carbonique soit réduite ou devienne nulle, et qu’elle libère le carbone qui y est accumulé depuis plus de 10 600 ans, soit l’équivalent de trois ans d’émission mondiale.
Sa préservation est ainsi essentielle à la survie de notre environnement. Si elle est aujourd’hui intacte, elle n’en demeure pas moins en péril. Des exploitations de pétrole et de bois autorisées et approuvées par la République du Congo et la République démocratique du Congo, ainsi que des exploitations illégales, la menacent. Le dérèglement climatique ne connaît pas de frontières, et l’ensemble de la communauté internationale se doit donc de coopérer pour faciliter la survie de ces zones stratégiques. Les dirigeants des pays hébergeant cet écosystème ont tous les droits de faire appel à la communauté internationale et à la solidarité générale afin de réclamer des compensations pour la perte des gains que représenterait l’arrêt des activités industrielles dans la région.
Concilier croissance économique et préservation de l’environnement: le défi de Denis Sassou Nguesso
Les gouvernements des pays frontaliers du bassin du Congo ont déjà mis en place plusieurs mécanismes visant à rediriger leurs économies vers d’autres secteurs que le bois, l’extraction de pétrole et des matières premières. Néanmoins, conscients du défi que représente une telle entreprise, les dirigeants africains n’ont eu de cesse de tenter d’attirer l’attention de la communauté internationale sur le rôle essentiel des forêts du Congo. À l’occasion de la COP 22 au Maroc, dans le cadre de la Convention de Ramsar, le sujet des tourbières avait été abordé, et les besoins des pays abritant un domaine tourbeux significatif avaient été débattus. Les pays signataires de l’accord de Paris en 2015 avaient reconnu la nécessité d’établir des plans stratégiques, ainsi que de mobiliser des ressources à travers des organisations internationales, des fondations et des gouvernements. La coopération représente ainsi un « dessein essentiel » selon la secrétaire générale de la Convention, Martha Rojas-Urrego, qui dénonce le manque de reconnaissance au niveau international du rôle majeur des tourbières. La transition économique congolaise est un sujet qui concerne particulièrement les pays dont la demande en matière première et en pétrole soutient l’industrie extractive en République du Congo et RDC, notamment l’Europe et la Chine: leurs principaux partenaires commerciaux. De ce fait, ces pays ont une responsabilité particulière, et seront tenus complices si la forêt et la tourbière venaient à s’effondrer.
Les initiatives lancées par les dirigeants des pays d’Afrique centrale lors de la COP 22 se sont concrétisées en 2018. La signature de la Déclaration de Brazzaville, organisée par les présidents des deux Congo, Denis Sassou Nguesso et Félix Tshisekedi, met en avant deux points principaux : la nécessité d’accroître les connaissances sur le fonctionnement des tourbières et le besoin de diversification économique des États. Trop peu d’États africains peuvent compter sur une économie multi-sectorielle et la majorité d’entre eux continue de dépendre très largement de l’exploitation de leurs ressources en bois et en minerais. En RDC, les secteurs agricole et extractif sont l’un des piliers principaux de l’activité économique du pays, représentant 45,1% du PIB national en 2018. L’ensemble de la population vit en milieu rural où de nombreuses terres arables sont disponibles pour l’activité agricole des ménages, ce qui explique en partie pourquoi l’industrie du pays est encore fragile. La République du Congo, quant à elle, est largement dépendante du secteur pétrolier, qui représente plus de la moitié de son PIB et 80% de ses exportations, faisant de ce dernier l’un des plus gros producteurs de pétrole du continent. Le pays possède également de nombreuses ressources en minerais, principalement du cuivre.
La Déclaration de Brazzaville a permis de créer le projet de Fonds Bleu pour le Bassin du Congo, le premier mécanisme financier qui soutient les programmes socio-économiques dans la région. Sa fonction est de développer une économie s’appuyant davantage sur les ressources issues de la gestion des eaux, notamment celles des fleuves, afin de réduire les dépendances des pays d’Afrique centrale à l’exploitation forestière. Il est aujourd’hui opérationnel, et dirigé par la Banque de Développement des États de l’Afrique centrale (BDEAC), depuis septembre 2021. Le Fonds Bleu est un instrument de gouvernance transparent, dans lequel les bailleurs et partenaires à l’aide financière peuvent avoir confiance pour accompagner les pays de la Commission du Climat du Bassin du Congo dans leur transition. Ainsi, puisqu’il existe aujourd’hui un organe de financement transparent, les gouvernements du monde entier n’ont plus d’excuse et doivent prendre leurs responsabilités face à la hauteur de l’urgence. Les pays de la Commission sur le climat du Bassin du Congo sont déterminés à préserver cet écosystème mais exhortent le reste de la communauté internationale à les aider car ils perçoivent pour le moment seulement 0,5% des financements climatiques mondiaux.
Une implication internationale superficielle?
Ainsi, l’implication de la communauté internationale manque de cohérence et demeure trop faible face aux besoins de la région. La plupart des initiatives sont prises et financées par les gouvernements et institutions d’Afrique centrale et les actions des pays développés sont dérisoires. L’une des démarches essentielles des États-Unis contribue à la préservation des paysages régionaux en finançant le projet régional d’Afrique centrale pour l’environnement (CARPE). Des ONGs et des fournisseurs de services des agences fédérales travaillent auprès des organisations locales à la protection de ces environnements. Un autre organisme financier, le Fonds pour les Forêts du Bassin du Congo (FFBC), initiative lancée par les gouvernements britannique et norvégien, finance la mise en place de nouvelles technologies hautement sophistiquées servant à surveiller la déforestation par caméra satellitaire, afin de mettre un terme à l’exploitation illégale de bois qui foisonne dans la région. Les projets mis en place voient le jour de manière ponctuelle, et ne s’attaquent pas à la racine du problème: une économie qui peine à se diversifier par manque de moyens. Ces initiatives mettent ainsi en lumière le manque de reconnaissance dont souffrent la République du Congo et la RDC. Afin d’allier développement économique et préservation de l’environnement, ces pays ont besoin d’un soutien durable, à travers des actions répondant directement au dilemme auquel ils sont confrontés. La COP 26 représentera un enjeu majeur pour l’Afrique, qui au travers du Fonds Bleu, devra mobiliser les pays du monde entier sur les enjeux climatiques en Afrique. Le président Denis Sassou Nguesso sera le porte parole de la Commission Climat du Bassin du Congo, et tâchera de faire entendre leurs revendications. L’Afrique est le continent qui sera le plus durement touché par les effets du réchauffement climatique tout en étant celui qui émet le moins de pollution, étant responsable de seulement 3,8% des émissions globales de gaz à effet de serre. Cette injustice a aujourd’hui un prix, et cette réalité ne peut plus être ignorée par la communauté internationale, en particulier les pays industrialisés. Des mécanismes de compensation doivent être mis en place, afin que les forêts et la tourbière du Congo soient préservées, dans un élan collectif. Comme l’a souligné Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations-Unis, le réchauffement climatique représente « un code rouge pour l’humanité ». Nous sommes tous liés face à cette menace.
Édité par Cassiopée Monluc.
En couverture: Le fleuve du Congo, photo officielle du International Rivers, sous licence CC BY-SA 4.0.