Mon hijab, mon choix
Lorsque des politiques opposées ont un effet commun
En 1979, l’Iran est devenue une République islamique.
En 1983, le port obligatoire du voile a été imposé aux femmes iraniennes.
En 2022, les femmes continuent de se battre pour le contrôle de leur propre corps. Encore.
Une république islamique implique que l’islam est la religion officielle du pays et que la constitution est basée sur la shari’a, le droit musulman dicté par le Coran. Plusieurs pays en Orient se servent de la shari’a comme référence juridique. Se déclarer comme république islamique est souvent un indicateur d’un régime autoritaire. Au cours des dernières décennies, la République islamique d’Iran a vu émerger une police de la chasteté. Cette milice arrête et malmène les femmes qui oseraient montrer un peu trop de peau à leur goût. Pourtant, le port du voile n’est ni évoqué dans la constitution ni dans le code civil. Le code pénal iranien en fait la mention, mais la manière appropriée de le porter reste à la discrétion des autorités.
Il va sans dire que le système de coercition iranien se «talibanise» de plus en plus avec un rigorisme sans précédent pour les femmes. Au cours de ces dix dernières années, les réseaux sociaux ont permis peu à peu plus de sensibilisation au débat du voile en Iran, mais une résistance à l’encontre de cette loi arbitraire existe depuis le tout début. En effet, des manifestations sanglantes où maintes familles ont perdu leurs filles, et où de nombreuses femmes ont vu leur honneur et leur intégrité corporelle violés, ont répétitivement marqué les rues de Téhéran. Masha Amini, morte après avoir été abusée physiquement par la police de la chasteté le 16 septembre dernier, a été le déclencheur d’une nouvelle vague de manifestations à l’encontre de l’obligation du port du voile et de la brutalité policière. Le soulèvement des femmes recommence et se poursuit, encore plus fort qu’avant.
Beaucoup de femmes iraniennes utilisent ce mouvement de rébellion pour proclamer leur liberté de choix. D’autres utilisent ce vent de protestations pour dénoncer les politiques arbitraires qui privent d’autres femmes de leur liberté de porter le voile, au nom de valeurs opposées à celles de l’Iran, comme le principe de laïcité.
Il est indéniable qu’à travers l’histoire, le corps des femmes semble causer problème. Trop déshabillées, les femmes dérangent. Trop couvertes, elles agacent. D’un côté, la société occidentale déplore les cas où des femmes sont forcées de se couvrir à cause de gouvernements autoritaires et répressifs, mais elle s’assure de les forcer à se déshabiller sous les regards jugés progressistes des nations européennes et nord-américaines. Au Moyen-Orient, multiples sont les cas où des jeunes filles se voient forcées de porter le voile par leurs familles. Cependant, ces exemples ne doivent pas servir de prétexte aux gouvernements occidentaux pour légiférer contre toutes les femmes qui revêtent le voile. On suppose à tort que toutes les femmes voilées ont été forcées de le porter. Certains conjecturent donc que les femmes n’ont aucune capacité à faire des choix, à réfléchir pour elles-mêmes, à se défendre. On présume également l’incapacité d’une femme à déterminer comment elle souhaite vivre sa foi. Il va donc de soi qu’un autre homme décide de les libérer et les force à retirer leur voile, n’est-ce pas ?
Sous couvert du principe de laïcité, les législations françaises empêchent les femmes voilées intégralement de travailler et d’accompagner leurs enfants aux sorties scolaires. Elles interdisent aux jeunes femmes d’étudier et de participer à de simples activités de la vie publique comme la baignade à la piscine publique. Au Québec, la loi 21 a pour but premier d’empêcher les fonctionnaires publics de montrer quelconque appartenance religieuse au nom de la laïcité de l’État. En revanche, la minorité visible qui est le plus affectée par une telle législation sont les femmes musulmanes. Le hijab étant un signe beaucoup plus ostentatoire, il est plus aisé de le traquer que les médailles, à moins que nos sociétés ne soient pas aussi progressistes et ouvertes qu’on ne le pense. En contraste, le régime iranien empêche les femmes de participer à la vie publique à moins d’être couvertes de manière appropriée. Dans les trois cas de figure, on observe le contrôle répété du corps de la femme. Les opinions de ces gouvernements divergent sur le port du voile, mais elles se rejoignent au final sur la régulation continuelle du corps de la femme.
Forcer une femme à se couvrir ou à se déshabiller est analogue. Toute loi dictant la manière dont une femme devrait se montrer en public viole son intégrité corporelle et renforce le système patriarcal de nos institutions politiques, que ce soit au nom de la laïcité ou de la religion. Jamais une loi similaire ne serait adoptée pour atteindre la liberté d’un homme. En revanche, au diable la liberté des femmes au nom de leur « protection » et de la préservation de leur « libertés ». Pourtant, la réelle liberté réside dans le pouvoir de sortir de chez soi sans avoir peur de se faire arrêter ou renvoyer à la maison pour la longueur jugée trop courte d’une jupe ou pour un voile qui couvre les cheveux. Le voile est le résultat d’un cheminement personnel et spirituel. Bien que cela semble invraisemblable pour certains, beaucoup de femmes font le choix de le revêtir. Elles décident de contrôler l’accès à leur corps en se couvrant, de la même manière que d’autres choisissent de se dévêtir. Le choix de porter le voile peut arriver plus tôt dans la vie. Souvent, plus tard. Parfois, jamais. Dans tous les cas, ce choix n’implique que la personne concernée. La réelle autonomie est de pouvoir pratiquer ou quitter sa foi sans qu’un gouvernement n’intervienne. La réelle autonomie est de pouvoir s’habiller comme on le désire, sans que l’on questionne notre légitimité et notre capacité à raisonner, simplement parce que nous sommes femmes.
Il est primordial, maintenant plus que jamais, de déconstruire les structures sociales qui permettent aux individus qui détiennent le pouvoir de légiférer de la sorte. Toutefois, il est encore plus urgent de changer les mentalités des populations qui délèguent ce pouvoir à travers leurs votes. La misogynie n’a pas besoin de la religion pour exister. Les deux se manifestent dans l’absence d’équité salariale, dans les cas de violence conjugale, dans la discrimination contre les femmes de couleur ou encore dans la faible représentation des femmes en politique. La religion n’est qu’un autre moyen parmi tant d’autres de dominer le sexe féminin, que ce soit en forçant les femmes à la pratiquer ou en les forçant à l’abandonner. Une femme est bien plus que juste son corps. Une femme est bien plus que sa robe trop courte. Une femme est bien plus que son hijab.
En couverture : « Iran Protests » par Taymaz Valley sous licence CC BY 2.0.
Édité par Cassiopée Monluc