La Chine coincée entre ses partenaires commerciaux occidentaux et son allié russe
Deux géants géopolitiques, la Russie et la Chine, jouent des rôles de plus en plus différents sur la scène internationale. La Russie a été appelée par Georges Sokoloff « une puissance pauvre »: elle bénéficie d’une armée puissante, dispose de l’arme nucléaire, mais depuis la chute de l’URSS sa croissance est fragile et son développement inégal, son PIB à peine supérieur à celui de l’Espagne. La Chine, quant à elle, est aujourd’hui la première exportatrice mondiale et joue un rôle essentiel sur la scène internationale. Tout semble séparer ces deux puissances, et pourtant Beijing et Moscou ont en commun leurs régimes autocratiques, et surtout la haine des États-Unis et du modèle de démocratie occidentale. Lors de leur rencontre en février dernier aux Jeux olympiques de Beijing, les deux chefs ont signé une déclaration commune qui célèbre « l’amitié sans limites » entre les deux pays. C’était exactement 20 jours avant le début de la fameuse opération militaire spéciale en Ukraine, qui n’a pas connu le triomphe espéré par Moscou. Quelle est la position de la Chine vis-à-vis de la Russie depuis le début de la guerre? La Chine pourrait-elle chercher à améliorer ses rapports avec les États-Unis et l’Europe?
Depuis le début de la guerre, la Chine apporte un soutien mitigé à son allié. La Russie s’est engagée dans une guerre contre l’Ukraine en pensant qu’il s’agirait d’une opération éclaire. Voilà pourtant huit mois que le conflit est en cours et que la Russie ne parvient pas à asseoir une domination totale. Alors que l’armée russe connaît des difficultés, la Chine oscille entre neutralité de façade et appui ambigu. « Depuis le début du conflit, on ne voit pas une grande alliance russo-chinoise se mettre en place », écrit François Bousseau. Effectivement, la Chine s’est notamment abstenue à l’ONU lors du vote contre l’invasion de l’Ukraine le 2 mars et n’a donc pas pris de position officielle vis-à-vis du conflit. Beijing n’a également envoyé ni troupes ni matériel en soutien à Vladimir Poutine. Le président américain Joe Biden avait par ailleurs averti son homologue chinois Xi Jinping de potentielles conséquences en cas de soutien à la Russie.
Si l’appui militaire est faible voire inexistant, la Chine refuse d’appliquer les mêmes embargos que les occidentaux et a même augmenté ses achats d’hydrocarbures russes de 55 pour cent par rapport à 2021. Xi Jinping, qui a rencontré son homologue russe le 15 septembre à Samarcande en Ouzbékistan pour le sommet annuel de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), a affirmé vouloir approfondir la coopération avec la Russie malgré les événements en Ukraine. En cause : l’opposition et la rivalité commune à l’impérialisme occidental. Beijing a d’ailleurs blâmé l’attitude occidentale pour le déclenchement des hostilités en Ukraine et a affirmé que le sentiment d’encerclement de la Russie est légitime. Les sanctions contre Poutine seraient donc injustifiées.
Malgré leur désir partagé de faire face à l’occident et aux États-Unis, la Chine et la Russie ont une alliance très déséquilibrée. Pékin ne peut pas s’aligner pleinement à Moscou parce que l’économie chinoise est beaucoup plus globalisée : la Chine ne peut se contenter de la Russie comme seule partenaire commerciale. Xi Jinping sait pertinemment que des sanctions occidentales contre son pays seraient dévastatrices, surtout avec la croissance ralentie que connaît la Chine du fait de sa politique zéro COVID. Beijing joue un jeu d’équilibriste et se garde de sacrifier sa propre pérennité pour soutenir une guerre lointaine. L’alliance entre les deux pays est donc plutôt stratégique : si les deux puissances sont sur la même longueur d’onde en termes de mépris de la démocratie occidentale et d’hostilité envers les alliances dirigées par les Américains, cela ne fait pas de la Chine et de la Russie des alliées au sens strict. Cette position ambigüe ouvre-t-elle toutefois la voix à un réchauffement relatif des relations sino-occidentales? Rien n’est moins sûr.
D’une part, les relations sino-européennes ont notamment été affectées par la COVID : l’Europe ne pardonne pas les mensonges chinois et n’a pas oublié la manière dont la Chine a pris avantage de la dépendance des autres pays de son matériel médical. Un autre sujet de fortes tensions est la violation des droits humains dans la région du Xinjiang, où la minorité ouïghour est persécutée. Le lancement du projet des « nouvelles routes de la soie » en 2013 est également controversé. Devenue premier créancier du monde, la Chine est souvent accusée d’entreprendre une forme de néocolonialisme, surtout en Afrique, que l’UE cherche à contrebalancer avec le Global Gateway.
Quant aux relations Chine—États-Unis, elles sont tout aussi tendues, sinon davantage, tant au niveau économique que diplomatique. Un événement récent notable est la visite de Nancy Pelosi à Taïwan cet été, et la colère de Beijing après que Joe Biden ait affirmé, le 23 mai, que les États-Unis défendraient militairement Taïwan en cas d’invasion par la Chine.
Beijing, dans les relations internationales et économiques, ne cesse cependant de souligner un besoin de stabilité. Or, la stabilité, ce n’est pas ce que Moscou lui apporte en ce moment. Lors de l’inauguration du nouveau Center for China Analysis de l’Asia Society en début octobre, Henry Kissinger a fait remarquer que les conséquences diplomatiques et politiques de la guerre en Ukraine pourraient pousser Beijing à chercher temporairement à stabiliser ses relations avec les États-Unis et l’Occident. Plusieurs éléments récents pourraient soutenir cette hypothèse. Le Yucheng, diplomate ouvertement prorusse qui avait jusqu’alors toutes les chances de devenir ministre des affaires étrangères, a été soudainement écarté de ce fauteuil sans explication. La Chine a également nommé en septembre un nouvel ambassadeur auprès de l’UE, Fu Cong, qui cultive de solides liens avec l’Europe. Dans un contexte de retenue dans son soutien à l’égard de la Russie, il semble effectivement possible que la Chine entreprenne des efforts diplomatiques pour désintensifier sa politique d’intimidation envers les démocraties occidentales.
Tout réchauffement avec l’Europe et les États-Unis aura toutefois vocation à rester temporaire. Joe Biden a confirmé le 12 octobre sa stratégie face à la Chine et à la Russie : s’imposer dans la compétition à long terme avec la Chine et contrer la « menace immédiate » de la Russie. Les tensions autour de Taïwan ne sont notamment pas prêtes de s’apaiser. Lors du congrès du Parti communiste chinois, le 16 octobre, Xi Jinping a déclaré que la Chine ne renoncerait jamais à la force à l’égard de Taïwan si une « réunification pacifique » s’avérait ne pas être possible. Les divergences sont telles que chaque prise de parole envenime la situation. D’un côté, les Américains accusent régulièrement les Chinois publiquement, tant au sujet des droits humains que de pratiques déloyales, ce qui éloigne les deux pays de la coopération et encourage l’hostilité. De l’autre côté, la Chine s’obstine à mettre tous les maux du monde sur le dos des États-Unis diabolisés. Pour Xi Jinping, « l’idéologie l’emporte sur l’économie », comme le soulignait récemment le président de la Chambre de commerce de l’UE, Jörg Wuttk.
De fait, les deux pays sont engagés dans une lutte pour la suprématie mondiale, et même la guerre en Ukraine ne saurait les en détourner. De nombreux experts font des parallèles entre la guerre froide entre l’URSS et les États-Unis et la guerre économique et idéologique que se livrent maintenant ces deniers et la Chine. À la seule différence que la Chine est fortement imbriquée dans l’économie mondiale et qu’il s’est instaurée une interdépendance entre elle et les États-Unis. Au-delà, c’est même le monde qui a besoin de sa collaboration pour limiter le réchauffement de la planète. Enfin, la Chine joue un rôle important dans toutes les organisations internationales, contrairement à l’URSS pendant la guerre froide. Son objectif est clair : devenir la première puissance mondiale d’ici au milieu du siècle.
En couverture : Les drapeaux chinois et russe. Photo du Ministère de la Défense russe sous licence CC BY 4.0.
Édité par Driss Zeghari