Lula peut-il sauver l’Amazonie?
Le 30 octobre 2022, les élections présidentielles brésiliennes ont été remportées par Luiz Inacio Lula Da Silva, candidat de centre gauche, vainqueur face à Jair Bolsonaro, président sortant d’extrême droite. Lula a ainsi debuté un troisième mandat présidentiel, ayant déjà été président de 2003 à 2011. Le transfert de pouvoir fut compliqué entre les deux hommes politiques. En effet, Jair Bolsonaro n’a d’abord pas reconnu sa défaite, bien qu’il ait promis de « respecter tous les commandements de la Constitution ». Dans l’espoir d’inverser le résultat des élections, Bolsonaro demanda le 22 novembre au Tribunal supérieur électoral d’invalider les votes électroniques de 280 000 urnes, sous prétextes de « dysfonctionnements ». Les résultats du scrutin ont alors été vivement contestés par bon nombre de ses partisans, qui ont organisé plusieurs manifestations. Le 8 janvier, des milliers d’entre eux envahirent le palais présidentiel, le Congrès et la Cour suprême.
Cette passation de pouvoir compliquée est annonciatrice d’un mandat de défi pour Lula. Pour gouverner le pays, le nouveau chef d’État devra négocier et construire des alliances domestiques. 14 des 27 gouverneurs du pays sont dans l’opposition, dont les États de Sao Paulo, de Rio et du Minas Gerais, qui abritent plus du tiers de la population. Au Congrès, les partis alliés à Bolsonaro sont majoritaires avec 36 pour cent des sièges contre seulement 21 pour cent pour Lula.
L’élection de Lula est néanmoins très bien accueillie sur la scène internationale, notamment par les Américains et les Européens, qui voient son retour au pouvoir comme une victoire pour la démocratie. Par dessus tout, son triomphe face à Bolsonaro, climato-sceptique, est très positif pour l’environnement. Le mandat du président d’extrême droite a été caractérisé par le saccage de l’Amazonie. La déforestation annuelle a augmenté en moyenne de 75 pour cent par rapport à la décennie précédente. Les surfaces déboisées sont passées de 7 500 km2 à 13 000 km2 entre 2018 et 2021.
Lula a quant à lui promis durant sa campagne d’aller « encore plus loin » que les engagements pris par le Brésil pour réduire ses émissions lors de l’Accord de Paris sur le climat, avec une politique de tolérance zéro contre la déforestation. Le nouveau chef d’État a engagé le Brésil à réduire la déforestation de 80 pour cent, c’est-à-dire de près de 4,8 milliards de tonnes de CO2. Il a aussi pris position pour la protection des peuples indigènes. Lula a participé à la COP27 en Égypte la semaine du 14 novembre, alors que son prédécesseur les boycotte depuis quatre ans. À Sharm El Sheikh, Lula a déclaré qu’il « n’y aura pas de sécurité climatique dans le monde sans une Amazonie protégée ». Le Brésil est le quatrième principal émetteur de gaz à effet de serre de la planète et la déforestation représente près de 60 pour cent de ses émissions. Lula a aussi demandé une aide climatique renforcée des pays développés pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans les pays plus pauvres. Il a également proposé d’organiser en 2025 la conférence annuelle de l’ONU sur le climat en Amazonie. Mais les promesses de Lula sont-elles crédibles? Lula peut-il et va-t-il réellement sauver l’Amazonie?
Pour préserver l’Amazonie aujourd’hui, Lula devra renverser l’héritage de Bolsonaro et « remettre sur pied les agences gouvernementales de protection de l’environnement et des territoires indigènes, qui ont été complètement démantelées », explique Sarah Shenker de Survival International. Lula pourra commencer par remettre en place les réglementations environnementales assouplies et les amendes réduites par son prédécesseur. Les promesses de Lula semblent crédibles puisque celui-ci n’aura ensuite qu’à appliquer de nouveau la politique environnementale de ses anciens mandats, marqués par un recul sans précédent de la déforestation. Si en 2004, sous sa présidence, celle-ci a atteint son plus haut niveau (la forêt a perdu près de 28 000 km2), la déforestation n’a ensuite cessé de baisser jusqu’en 2012, son plus bas niveau historique, établi à 4600 km2 défrichés. Le gouvernement de Lula a augmenté les aires protégées, renforcé les systèmes de surveillance et, en 2008, a créé le Fond Amazonie. Géré par la Banque nationale de développement économique et social (BNDES), ce fond permet l’appui financier de sponsors afin de soutenir la lutte contre la déforestation dans la forêt amazonienne.
La réduction de la déforestation sous la présidence de Lula a permis au Brésil de diminuer ses émissions de gaz à effet de serre de 3,2 milliards de tonnes de CO2 entre 2005 et 2013, ce qui fait de lui le champion du monde en la matière. De plus, le nouveau président a tout intérêt à préserver cette forêt, notamment pour obtenir des appuis financiers et s’assurer la confiance des peuples autochtones, qui l’ont plébiscité lors de l’élection. La Norvège a déjà annoncé le déblocage de ses financements suspendus depuis 2019, et l’Allemagne s’est dite prête à reprendre son aide financière massive pour protéger l’Amazonie. Refaire du Brésil un acteur de premier plan de l’hémisphère Sud dans la diplomatie de la gouvernance climatique donnerait des atouts incomparables à Lula dans les négociations internationales.
Cependant, cette tâche ne sera pas facile. La protection de l’environnement n’est pas une priorité pour les Brésiliens, dont plus de 33 millions souffrent de la faim et dont le pouvoir d’achat est très impacté par l’inflation. De plus, la protection de l’Amazonie va à l’encontre de la croissance économique du pays. Le Brésil est un leader agricole mondial, et il est difficile de restreindre les zones d’exploitation en forêt. Le Brésil est notamment le deuxième plus grand producteur de soja, qui est en demande croissante dans le monde. Frédéric Louault, professeur de sciences politiques et Marc Lenaerts, anthropologue à l’Université Libre de Bruxelles, expliquent que « les Brésiliens ne semblent pas avoir conscience de l’urgence de la situation parce qu’ils ont l’impression que l’Amazonie sera toujours là. Le pays réagit donc très lentement, alors que la déforestation atteint des points de non-retour ». En plus de la population, Lula devra convaincre le Congrès, où il n’a pas la majorité. Le Congrès est puissant et fragmenté, et le lobby agricole y est très influent.
Malgré tous ces défis, le nouveau président semble réellement déterminé à mettre ses promesses en œuvre. Selon une étude menée par les chercheurs de l’université d’Oxford, la réélection de Lula « permettrait d’éviter la disparition de 75 960 km2 de forêt amazonienne d’ici 2030, soit une superficie équivalente à celle du Panama ». Si Lula s’est engagé à protéger l’Amazonie à l’échelle de l’État, les autres pays, notamment ceux de l’Union Européenne, doivent aussi prendre leurs responsabilités et interdire l’importation de produits issus de la déforestation et des violations des droits humains. La Commission, le Conseil et le Parlement européen statuent d’ailleurs actuellement sur un règlement européen anti-déforestation.
Édité par Cassiopée Monluc
En couverture : Vue aérienne de la forêt amazonienne, près de Manaus. Photo prise par Neil Palmer sous licence CC-BY-SA 2.0.