La reconquête de la Francophonie : Le néocolonialisme français en Afrique se poursuit
Les 19 et 20 novembre derniers, nous assistions au premier Sommet de la Francophonie à Tunis depuis la crise sanitaire de la COVID-19. Les principaux enjeux soulevés lors de cette rencontre relevaient du statut socioéconomique du français par rapport à l’anglais et de l’importance de renforcer son rôle dans l’éducation, le marché du travail, les médias et les institutions gouvernementales. Cela incluait aussi les institutions internationales dont les fonctionnaires seront maintenant obligés de maîtriser plusieurs langues, y compris le français, pour pratiquer leur métier. Ces aspirations sont normales compte tenu du souci de la préservation de la culture, directement rattachée à la préservation de la langue. D’ailleurs, François Legault, premier ministre du Québec, en a profité pour vanter les mesures de sa loi 96 qui a reçu l’approbation du président français et des autres dirigeants présents. À travers celle-ci, le premier ministre québécois assure une meilleure intégration des immigrants et un marché du travail presque entièrement régi par le français malgré la position de la province au sein d’un pays anglophone.
« 18e Sommet de la Francophonie, Djerba, 19 novembre 2022 » par Paul Kagame, sous licence CC BY-NC-ND 2.0.
Un froid s’est rapidement jeté sur le sommet lorsque Macron a déclaré l’importance de promouvoir le français en Afrique et plus particulièrement au Maghreb, là où il constate un déclin et une résistance à l’usage du français pour des motifs presque politiques. Il a même ajouté que le français est « la langue du panafricanisme », commentaire auquel le président tunisien a répondu : « l’arabe est ma patrie », en référence à la célèbre phrase d’Albert Camus, qui percevait en la langue française un symbole de liberté et d’appartenance. Kais Saied a en effet manipulé cette déclaration historique en réaffirmant plutôt son appartenance à sa langue natale. En réponse, Macron ne s’est pas présenté à la seconde séance du sommet du dimanche, un geste exceptionnel de la part du principal contributeur de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Certains diront que sa réponse est appropriée, d’autres noteront l’hypocrisie énorme du geste.
Il pourrait sembler ironique pour un État cherchant à protéger sa nation et sa langue de se rebiffer lorsqu’un autre tente de faire de même. En effet, les pays africains actuellement membres ne feraient pas partie de l’OIF si l’histoire avait été écrite différemment. Le français ne soutient pas la même valeur historique à travers le globe. Alors qu’il est synonyme de culture, de développement économique et d’unité à certains endroits, il est symbole d’assimilation, de désindustrialisation et de division ailleurs. Il est en effet symbole de colonialisme, de racisme et de guerre en Afrique. D’ailleurs, le sentiment anti-français est de plus en plus commun et partagé, notamment au Mali et au Sénégal, puis plus récemment au Tchad. Les jeunes de ces pays manifestent contre les différents symboles de la France sur le continent, que ce soit à travers l’enseignement de la langue ou l’exploitation des ressources africaines par les multinationales françaises. L’ancien ministre de l’Éducation nationale et de la Culture et de la Recherche scientifique du Mali qualifie d’ailleurs cette omniprésence comme « une sorte de tutelle qui ne dit pas son nom et qui consiste à faire prévaloir les intérêts de la France, [et] les intérêts des multinationales françaises sur celui des populations africaines. »
Chercher à imposer sa langue quasiment de force c’est refuser de reconnaître cette forme de néocolonialisme qui persiste dans toutes les facettes de la vie publique africaine. Le colonialisme de jure n’existe peut-être plus, mais de facto les systèmes sont toujours bel et bien en place. Et bien qu’on ne veuille le reconnaître, cette langue a cessé d’être une langue que l’on est fier de parler dans les pays en développement. Le détachement du français est de plus en plus commun, notamment au Maghreb. Refuser de parler français et diminuer l’enseignement de cette langue afin de prioriser sa propre culture indigène, tel qu’il est mit en avant par le président tunisien, est une forme de décolonisation et de liberté. Demander aux anciennes colonies d’assurer la survie de la langue d’administration coloniale à travers les nouvelles générations et, par conséquent, de reproduire d’anciennes structures coloniales au prix de leurs cultures indigènes est désolant. Le français ne devrait survivre que là où il tire ses origines.
La protection du français au Québec
Si l’on prend le cas du Québec comme exemple, la majorité de sa population provient de France et parle français depuis l’établissement des colons en 1608. Dans le cas de la province canadienne actuelle, l’assimilation linguistique et culturelle s’est produite lors de la conquête britannique de 1763 lorsque l’empire français décide de céder ses territoires américains à la conclusion de la guerre de Sept Ans. Depuis, des tentatives d’assimilation claires ont été entreprises par la majorité anglophone pour faire disparaître l’héritage francophone de la communauté établie sur le territoire depuis des centenaires. La distance avec l’ancienne métropole française et la proximité aux cultures américaine et anglo-canadienne transforment le français et la manière dont les Canadiens-Français à cette époque s’identifient et forment leur culture. La protection de la langue contre son anglicisation et son déclin est donc devenue une préoccupation grandissante qui se reflète notamment dans les politiques linguistiques adoptées au fil des années, telles que la loi 101 en 1977 et la loi 96 en mai 2022.
Dans le cas distinct du Québec, le déclin de l’usage du français marquerait l’extinction de l’un des seuls foyers francophones en Amérique du Nord. Dans le cas des anciennes colonies africaines, ce sont leurs identités indigènes qui ont été effacées pour laisser place à la culture et à la langue colonisatrice qui n’y avait pas de place en premier lieu. Si le commentaire du président français avait été fait par un représentant de la Grande-Bretagne par rapport au Québec, déplorant le déclin de l’usage de l’anglais dans la province, il aurait exactement la même connotation controversée compte tenu du rapport colonisateur-colonisé entre ces deux territoires. Toutefois, il générerait sans doute beaucoup plus de réactions et d’indignation à l’international. Ce deux poids, deux mesures est simplement ridicule.
« Autocollant Québec français, 18 juin 2014 » par A Disappearing Act, sous licence CC-BY-SA 2.0.
Le français réapproprié
De nos jours, les pays africains avec un passé colonisé utilisent le français, mais de leur propre manière. Certaines expressions indigènes ont été transformées, reflétant cette histoire partagée, tels que « je suis enjaillé de toi », signifiant « je t’apprécie vraiment », « enjailler » venant du nouchi, le dialecte ivoirien. Il ne s’agit pas d’un déclin de l’usage « propre » du français, mais une manière de se réapproprier sa culture et son passé.
L’enjeu de la préservation du français est certes préoccupant, mais uniquement dans les nations qui l’ont historiquement maintenu comme langue nationale. Les pays décolonisés qui ont subi l’imposition forcée du français ne devraient avoir aucune obligation de le préserver dans leurs sociétés. Plus encore, son déclin serait un bon signe. Nous devrions chercher à reconnaître et à réparer les séquelles laissées par l’impérialisme plutôt que de maintenir les nations africaines dans une forme de néocolonialisme culturel. Également, peut-être serait-il plus important de s’attaquer aux problèmes dont la langue française fait face là où elle est parlée. Le franglais, le verlan et le déclin de la qualité de la langue dans le système d’éducation, autant en France qu’au Québec, ainsi que son statut socio-économique par rapport à l’anglais au sein même des territoires francophones est bien plus pressant. Délaisser la géopolitique et le maintien de la « Françafrique » pour se concentrer sur les enjeux locaux serait utile, pour tous.
Édité par Joseph Abounohra
En couverture : « 18e Sommet de la Francophonie | 19 novembre 2022 » par Paul Kagame, sous licence CC BY-NC-ND 2.0.