Affaire Barbarin: l’onde de choc qui secoue l’Eglise catholique
Ces derniers mois l’Eglise connaît des ondes de chocs qui heurtent son image et révèlent un indéniable dysfonctionnement interne. Cela fait quelques années que des dénonciations d’actes pédophiles commis par des prêtres, représentants d’une autorité à la fois humaine et ecclésiastique, refont surface après une période de long silence coupable. Après le scandal américain du diocèse de Boston, brillamment mis en scène par Tom McCarthy dans le film oscarisé Spotlight, c’est maintenant la France qui se retrouve à déterrer les racines d’affaires douloureuses, notamment autour de celle du cardinal Philippe Barbarin.
Un retour en arrière s’impose. Entre les années 1970 et 1990, le père Bernard Preynat exerce à Lyon, où il accompagne fréquemment les activités des groupes scouts. Certains d’entre eux seraient alors devenus de malheureuses victimes d’attouchements et d’actes sexuels forcés par l’homme d’Eglise, des faits terribles qui seraient restés dissimulés jusqu’à récemment, à la fois tus par ces enfants traumatisés, mais aussi voilés par les autorités religieuses. En 2016, l’affaire resurgit avec des révélations de la part des victimes qui trouvent le courage de se faire entendre. En 2015, le prêtre Preynat avait été retiré de ses fonctions. Vraisemblablement, ses supposées tendances pédophiles auraient déjà été discutées au sein de la communauté religieuse locale, notamment avec le cardinal Barbarin, à la tête du diocèse de Lyon. Un procès se met rapidement en place contre le prêtre, mais peine à avancer à cause de la prescription des faits: les actes pédophiles ne sont condamnables que jusqu’à 20 ans après la majorité de la victime. Mais l’histoire se complique et les acteurs se multiplient. En effet, il apparaît que le cardinal Barbarin aurait été mis au courant de soupçons autour de Bernard Preynat à des dates bien antérieures : les dernières enquêtes font remonter ces premières alertes à 2007, alors que le temps de prescription n’est pas encore écoulé. Cependant, la tête du diocèse n’a jamais pris l’initiative de dénoncer ni publiquement, ni à la justice, les présumés actes délictueux du père Preynat. Il a fallu attendre la prise de parole d’une présumée victime du prêtre, Jérôme Billioud, pour que Barbarin reconnaisse avoir eu une certaine connaissance des faits, tout en justifiant son silence par la prescription d’une révélation trop tardive. Mais les dates du cardinal et des témoins ne correspondent pas. Un nouveau procès est alors ouvert contre le cardinal français, pour “non-assistance à personnes en danger”. En 2016, le procès est classé sans suite, face à un Barbarin qui nie avoir couvert le délit.
Cependant, les présumées victimes, à juste titre, continuent de réclamer justice. Le procès est donc rouvert et le cardinal de nouveau confronté aux nombreuses accusations: confusion sur les dates, manque de réactivité face aux révélations des victimes, tentatives d’excuses trop faciles… Les reproches proviennent non seulement des premiers concernés, mais également du sein même de la communauté religieuse: aussi bien des fidèles pour qui Barbarin manque de crédibilité, que de certains prêtres comme le père Pierre Vignon qui invoque le recours à l’article 21 des Normes Substantielles de Delicta Graviora. Il s’agit d’une règle interne à l’Eglise catholique qui permet un recours direct à l’autorité papal, pour soumettre directement à la congrégation la demande pour défroquer (ctd. exclure de l’institution ecclésiastique) le prêtre en question. “Attendons les conclusions de la justice” scande Barbarin dans les débuts de son jugement. C’est ici l’homme qui est jugé, au-delà de son statut, en tant que citoyen qui n’a pas su protéger ceux qui lui accordaient leur confiance.
Le 7 mars 2019, le verdict du procès révèle une “condamnation historique” qui marque la structure ecclésiastique, d’apparence si inébranlable. En effet, le cardinal est condamné à une peine de 6 mois de prison avec sursis. C’est le troisième représentant de l’Eglise à être condamné depuis 2014, mais le premier en France qui soit si haut placé dans la hiérarchie religieuse. Ce n’est pas sans rappeler, dans une moindre mesure bien sûr, la dernière onde de choc qui a beaucoup secoué la communauté catholique: fin février dernier le cardinal George Pell, un proche du pape en fonction, est “tombé en disgrâce” en étant condamné à 6 ans de prison pour pédophilie, en Australie. Enfin, justice semble être faite, quand bien même le juge de Melbourne souligne à quel point les répercussions de ces actes sont à la fois “profondes” et “durables”. Toutefois, il insiste également sur l’objectivité du procès et la volonté de punir un crime, et non pas une institution. Mais, si sa volonté n’est pas de faire de Pell un “bouc émissaire”, la condamnation reste certainement un exemple fort, qui rappelle que personne n’est au-dessus des lois.
A sa condamnation, le cardinal Barbarin a ensuite annoncé qu’il comptait remettre sa démission au pape d’ici la fin du mois de mars. Pour François Devaux, co-fondateur de l’association “La Parole libérée” dédiée à l’aide aux victimes des actes pédophiles au sein de l’Eglise, cette démission est une “évidence” dans la démarche que mène l’institution catholique pour regagner un peu de crédibilité. De plus, il dit espérer que désormais l’Église “entende davantage”, en rétablissant une transparence nécessaire et en endossant ses responsabilités. Aujourd’hui, c’est la seule façon pour l’Eglise de reconstituer les valeurs en lesquelles ses fidèles ont foi, dit-il. L’affaire Preynat a eu un retentissement mondial et a provoqué l’émoi de catholiques du monde entier. Elle a d’ailleurs fait l’objet d’un film sorti cette année, sous la direction de François Ozon: “Grâce à Dieu”, qui fût récompensé par le Grand prix du jury au 69eme festival du cinéma de Berlin. Quand à la remise de démission du cardinal, le journal chrétien “La Croix” montre que cette apparente prise de conscience de la part du cardinal apparaît nécessaire afin de regagner une crédibilité trop entamée “auprès des laïcs comme des consacrés”. Malgré le fait que les avocats de Barbarin aient fait appel, l’ensemble de la communauté laïque et religieuse voit ce premier verdict comme une victoire de la protection de l’enfance et un pas vers une remise en question nécessaire de la part de l’institution catholique.
Pourtant, le pape François a annoncé quelques jours après avoir reçu Barbarin, qu’il refusait sa démission. Ce dernier restera donc archevêque de Lyon. Il invoque la “présomption d’innocence”. Par cette prise de position, le pape risque d’“accroître le désarroi des catholiques français” qui voient ce procès entacher leur institution religieuse depuis 3 ans. Ne perdons pas non plus de vue le non-aboutissement du procès du père Preynat, qui épargné par les limites de la prescription, n’a jamais répondu de ses actes devant la justice. Peut être y a-t-il également un dysfonctionnement, tout aussi bien dans la justice canonique que citoyenne, dans les délais d’expiration des faits. Les actes pédophiles, aussi violents que traumatisants ne devraient sûrement pas pouvoir être effacés sans conséquences pour le criminel. D’autant que nous savons pertinemment que le processus de prise de parole pour une victime de violence sexuelle est très long. Il appartient à l’Église de restaurer son image dégradée, à travers ces procès canoniques et par la reconnaissance de ses torts, si elle espère reconstruire sa crédibilité, surtout auprès de ceux qui ont pu prendre leurs distances vis à vis de la religion, face aux scandales. “La douleur n’est pas le droit”, affirme l’avocat de Barbarin, mais elle est très certainement l’élément qui ébranle la foi aussi bien dans la croyance religieuse que dans la justice humaine.
Edited by Lou Bianchi