Allemagne-Russie: la passivité de l’Ouest face aux violations des droits de l’Homme
Pendant son temps au pouvoir, Angela Merkel a maintenu des liens diplomatiques avec Poutine, poursuivi des projets énergétiques entre la Russie et l’Allemagne, et réduit ses dépenses en défense. Ces politiques ont créé une relation d’interdépendance avec la Russie, qui a bien servi les intérêts domestiques de l’Allemagne mais a en même temps affaibli l’Europe et l’OTAN face à la crise en Ukraine. Ces critiques à l’égard des politiques allemandes sont-elles justifiées, ou les décisions de Merkel ont-elles simplement révélé qu’elle accordait la priorité aux intérêts de l’Allemagne dans un environnement politique européen déjà non conflictuel et passif envers la Russie?
Merkel était vue comme un modèle de force et de leadership en Europe, et donc sa politique envers la Russie n’était pas questionnée mais plutôt présentée comme un exemple pour les autres leaders du continent. Mais depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement de la SDP en décembre 2021, la politique de Merkel est vue sous un jour critique. De plus, la guerre en Ukraine nous emmène aussi à réanalyser une politique diplomatique semblant favorable pour la Russie.
Merkel est critiquée pour les relations économiques et diplomatiques qu’elle a maintenues avec la Russie malgré les actions répréhensibles de Poutine. Quand il était clair que Poutine se dirigeait vers le conflit, Merkel a décidé de prioriser les relations économiques de l’Allemagne avec la Russie, mettant les intérêts économiques de son pays avant les préoccupations internationales concernant la paix et les droits de l’Homme. Mais cette passivité, coïncidant avec l’inaction du reste de l’Europe, a beaucoup impacté la direction des affaires européennes, donnant le feu vert à Poutine pour intervenir plus dans les affaires intérieures de ses pays voisins, aboutissant à l’annexion de la Crimée et à la guerre civile en Ukraine en 2014.
Après avoir eu son héritage diplomatique critiqué, Merkel a justifié sa politique à l’égard de l’Ukraine et de la Russie dans son premier entretien depuis son départ du pouvoir. Elle maintient qu’elle a fait « tout [son] possible » pour prévenir une guerre entre l’Ukraine et la Russie et, répondant aux critiques adressées aux Accords de Minsk visant à ralentir le conflit dans l’est de l’Ukraine, elle affirme que « si la diplomatie a échoué, cela ne signifie pas que ça n’était pas la voie à suivre ». L’Allemagne et la France ont toutes les deux signé cet accord de cessez-le-feu, mais il n’a que ralenti le conflit inévitable et les deux côtés continuent à se disputer sur les interprétations des points alambiqués et contradictoires dans les accords.
L’Allemagne n’était pas entièrement inactive en termes de punitions contre la Russie après ses actes d’agression envers d’autres pays souverains. Merkel était bien en faveur des sanctions économiques contre la Russie après l’annexion de la Crimée en 2014, et elle a veillé à ce que Navalny, un opposant politique de Poutine, soit bien soigné à Berlin après avoir été supposément empoisonné par des agents du FSB. Mais les sanctions ne furent pas suffisantes pour affaiblir Poutine et reflétaient une politique de passivité en Europe. L’intention d’annexer la Crimée a clairement montré les objectifs impériaux de Poutine, et aurait dû provoquer une réponse accablante de la part de l’Allemagne et d’autres pays, vu que les sanctions n’ont jamais eu un effet considérable sur le comportement de Poutine et n’ont fait que approfondir l’antagonisme entre la Russie et l’Europe. Le fait que Poutine ait pu annexer la Crimée en 2014 et ait toujours eu le pouvoir d’envahir l’Ukraine huit ans plus tard montre l’échec de l’OTAN et de l’UE à trouver une voie vers la coopération en matière de défense et de sécurité.
Merkel insiste qu’elle a toujours soutenu l’Ukraine, mais son gouvernement s’est opposé à l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN en 2008, et a été hésitant à fournir des armes à Kiev après l’invasion russe cette année. Merkel ne regrette pas ces décisions, prétendant que l’Ukraine n’était pas assez democratique, et que Poutine aurait vu ça comme une « déclaration de guerre ». Merkel a démontré qu’elle n’était pas prête à sacrifier sa bonne relation avec Poutine si cela risquait de menacer les intérêts économiques de l’Allemagne. Donc, l’Allemagne a continué à poursuivre des relations relativement apaisantes avec la Russie, malgré les atrocités qui se sont passées en Crimée et en Georgie en 2008, ce qui a contribué à l’agression militaire croissante de Poutine. La Russie a envahi la Georgie en août 2008 avec une campagne militaire qui a duré seulement quelque jours, mais avec des conséquences immenses pour la géopolitique en Europe. La réponse muette de l’Ouest a été cruciale pour façonner le comportement de Poutine plus tard en Ukraine. Notamment, l’administration d’Obama a décidé de réinitialiser les relations avec la Russie et de commencer une politique de coopération avec Poutine, tandis que le cessez-le-feu, dicté par l’UE, était largement en faveur des intérêts russes.
Merkel ne regrette pas d’avoir maintenu des relations commerciales entre Berlin et Moscou, notamment sur le plan énergétique, qui risquait d’entraîner une dépendance considérable à la Russie. La décision de construire le Nord Stream 2, un système de deux gazoducs entre la Russie et l’Allemagne, a été prise après l’annexion de la Crimée et le conflit dans l’est de l’Ukraine, ce qui montre les priorités de Merkel. En gardant des liens économiques forts entre les deux pays, Merkel prétend qu’elle essayait de changer l’attitude de Poutine et d’encourager un passage au libéralisme et à des valeurs démocratiques à Moscou. Merkel espérait avoir plus d’influence sur Poutine avec une stratégie de diplomatie et de coopération économique, mais elle était peut-être trop sûre d’avoir raison. Cette stratégie a été critiquée pour avoir rendu Poutine plus confiant face aux sanctions européennes : elle l’a motivé à poursuivre sa politique étrangère agressive.
L’influence de Merkel sur la politique allemande est évidente avec l’initiale continuation de passivité sous le nouveau chancelier, Scholz. Après avoir travaillé comme vice-chancelier sous Merkel, Scholz était initialement d’accord avec ses politiques et s’est présenté comme un deuxième Merkel, bien qu’il soit membre du SDP de gauche, contrairement au parti de centre-droite de Merkel, l’Union chrétienne. De cette façon, il a montré une continuité avec sa prédécesseure et a gardé le soutien des électeurs. Conscient de la popularité de Merkel, Scholz a naturellement hésité à faire un changement drastique par rapport à la politique étrangère du gouvernement précédent dès son arrivée au pouvoir. Néanmoins, après l’invasion de l’Ukraine, Scholz a été obligé de changer le cours de sa politique en raison de la pression internationale et domestique. Le projet de Nord Stream 2 a été abandonné et Scholz a exprimé son objectif de mettre fin à la dépendance allemande à l’énergie russe d’ici 2024, puis l’Allemagne a aussi permis l’envoi d’armes en Ukraine.
Merkel a toujours pensé que la continuation de dialogue avec Poutine était la priorité, malgré les violences qu’il montrait en Europe de l’Est et contre son propre peuple. Mais l’examen approfondi de la politique de Merkel ne fournit pas une justification suffisante pour la blâmer pour la guerre en Ukraine en 2022. Même si elle a toujours été vue comme un étendard de la politique européenne, il est important de remarquer que cette passivité reflète l’immobilité et la paralysie de l’Ouest en général envers les atrocités commises par la Russie. Le Royaume-Uni, par exemple, avait un système de « visas dorés » réservé pour les riches investisseurs, notamment les oligarques russes. Ce système a été mis en place en 2014, malgré l’intervention russe en Ukraine, et a seulement été arrêté après avoir été fortement critiqué après l’invasion en février 2022.
Par contre, malgré ses atouts en tant que l’une des figures de proue de la politique européenne, Merkel aurait dû reconnaître les ambitions impériales de Poutine, considérant l’assaut contre la Tchétchénie dès son arrivée au pouvoir, la guerre avec la Géorgie en 2008, les huit ans de guerre par procuration dans le Donbass, ainsi que sa répression de la société civile et les assassinats d’opposants politiques en Russie. Les sanctions économiques contre la Russie n’étaient pas suffisantes; Merkel aurait dû tout de suite arrêter les projets économiques avec Poutine qui ont rendu l’Europe dépendante au gaz russe. Cependant, la posture de Merkel n’est pas, en soi, isolée : il s’agit d’une illustration du climat de non-confrontation en Europe, d’une timidité de l’UE face à la politique russe par peur d’une possible escalade de conflit. L’absence de réaction de l’Ouest après la tragique annexion de la Crimée aurait donné voie-libre à Poutine pour envahir l’Ukraine, avec des conséquences néfastes pour l’Europe.
En couverture : Angela Merkel et Vladimir Poutine se serrent la main au sommet du G20 en juillet 2017. « Angela Merkel and Vladimir Putin (2017-07-07) » est une photo site de la Présidence de la Fédération de Russie, sous licence CC BY 3.0.
Édité par Thierry Prud’homme