Aux Antilles françaises, la crise sociale provoquée par l’obligation vaccinale soulève la question de l’autonomie
Depuis le début du mois de novembre, la Guadeloupe et la Martinique sont le théâtre de violents mouvements de contestation suite à l’obligation vaccinale récemment imposée par le gouvernement français aux soignants et aux pompiers.
Aux origines de la crise
En désaccord avec ces nouvelles mesures et le passe sanitaire, un appel à la grève générale est lancé le 15 novembre en Guadeloupe par un collectif d’organisations syndicales et citoyennes. Une semaine plus tard, ce mouvement gagne la Martinique, où les manifestants mettent en place des barrages routiers afin d’exprimer leur mécontentement, bloquant les principaux axes de l’île. Sur les deux territoires d’outre-mer, la contestation de l’obligation vaccinale dégénère rapidement en une succession de barrages, pillages, incendies, et violences, où pompiers et forces de l’ordre sont pris pour cible. Préoccupées par l’intensification des violences nocturnes, les préfectures locales des deux îles instaurent alors un couvre-feu de 18h à 5h du matin. Celui-ci a récemment été prolongé jusqu’au début du mois de décembre, compte tenu de la reprise de la pandémie dans les deux régions.
La perturbation de l’ordre public provoquée par le sujet de la vaccination a par ailleurs révélé des contestations structurelles déjà présentes avant l’explosion de cette crise sociale. En effet, lors de l’appel à la grève générale, les organisations guadeloupéennes impliquées ont réclamé une hausse des salaires et des minima sociaux ainsi qu’une baisse des prix du gaz et des carburants.
La Guadeloupe comme la Martinique connaissent toutes deux une pauvreté et un taux de chômage supérieurs à ceux de la France métropolitaine. En 2017, le niveau de vie moyen des habitants de Guadeloupe et de Martinique était 20% plus faible que celui des habitants de la métropole, provoquant de sérieuses préoccupations en Outre-mer, notamment chez les jeunes. Ces inégalités et cette précarité ont contribué à développer un sentiment d’abandon et de négligence de la part du gouvernement français chez les habitants des Antilles françaises, et ce depuis de nombreuses années.
Le scandale du chlordécone est considéré par certains comme l’un des éléments déclencheurs de la défiance des populations d’outre-mer envers le gouvernement français. Ce pesticide hautement toxique fut interdit dès 1990 en France métropolitaine, mais resta autorisé jusqu’en 1993 aux Antilles par dérogation ministérielle. Condamnant les sols, les eaux et les habitants de ces territoires à un empoisonnement durable, le chlordécone aurait contaminé plus de 90% des populations de Guadeloupe et de Martinique. Suite à ce traitement différentiel à l’égard de la métropole et des outre-mers, le gouvernement n’a jamais reconnu ses torts devant la justice. Aux Antilles françaises, des collectifs et des organisations locales continuent, aujourd’hui encore, de lutter pour rétablir la vérité et obtenir des réparations de la part de l’État.
Endiguer les violences ne sera donc pas suffisant pour résoudre cette crise, car cette dernière s’inscrit dans un contexte historique où le gouvernement français a manqué à plusieurs reprises de rassurer et protéger ses populations d’outre-mer.
La réponse du gouvernement français
Le 26 novembre, à la suite de discussions avec les élus locaux, le ministre des Outre-mer Sébastien Lecornu s’est adressé aux Guadeloupéens et Guadeloupéennes pour exposer des solutions à ce qu’il considère être trois crises distinctes. La première, « la question de l’obligation vaccinale des soignants et des pompiers » – point de départ des évènements de ces dernières semaines. La deuxième, elle, réside dans l’expression d’un « malaise structurel, particulièrement dans la jeunesse guadeloupéenne », faisant référence au taux de chômage et au niveau de vie particulièrement préoccupants pour les générations futures. Et, la troisième, avec « ses actions violentes, des voyous, des pilleurs et des casseurs » que le ministre a pris soin de dissocier des deux précédentes.
Pour faire face à cette dernière, au-delà du renfort apporté par le gouvernement aux forces de l’ordre locales, le ministre est intransigeant: « ceux qui basculent dans la violence devront en répondre devant la justice ». Cependant, comme il le rappelle, ces personnes ne doivent pas être systématiquement confondues avec celles défendant leur refus de l’obligation vaccinale, votée puis validée par le conseil constitutionnel.
Bien que voulant rétablir l’ordre public en Guadeloupe, Lecornu dit refuser d’accorder à ce territoire un traitement différent de la métropole concernant l’application de la loi sur l’obligation vaccinale. « La Guadeloupe n’est pas un sous-département » et il n’est pas envisageable que sa population soit confrontée à un risque accru de contamination. Pourtant, pour répondre aux 1400 personnes concernées par le refus de l’obligation vaccinale, il a été convenu d’un système d’accompagnement personnel et individualisé, fonctionnant au cas par cas. Fastidieux, ce long processus a mené le gouvernement à reporter l’obligation vaccinale au 31 décembre 2021, laissant ainsi le temps aux soignants et aux pompiers guadeloupéens de se conformer à la loi. Ils sont déjà 87% à y avoir concédé et à pouvoir poursuivre leur activité professionnelle. Pour les 13% restants, ils ont la possibilité de se réorienter ou se reconvertir – levant ainsi la suspension de leurs salaires – mais, s’ils refusent de rentrer dans une instance de dialogue pour clarifier leur situation, une suspension définitive sera imposée.
Ainsi, malgré la volonté exprimée par Sébastien Lecornu de faire appliquer l’obligation vaccinale de la même manière en Guadeloupe et en métropole, on constate que les moyens mis en place et le temps accordé à chaque territoire pour y parvenir sont pourtant nettement distincts.
Par ailleurs, le ministre des outre-mer souhaite répondre à la crise structurelle rencontrée par la Guadeloupe en faisant de la jeunesse une priorité. Compte tenu du coût élevé de la vie et de tous « les défis de l’insularité », la population guadeloupéenne se sent menacée, et la jeunesse craint pour son avenir. La difficulté du parcours de nombreux jeunes vers l’emploi a été exacerbée par le coup d’arrêt porté à l’activité économique depuis le début de la crise sanitaire. Pour tenter de pallier à cette insécurité, Sébastien Lecornu a décidé en commun accord avec les élus locaux de co-financer la formation de 1 000 emplois destinés à la jeunesses dans le secteur non-marchand. Le ministre souhaite de cette manière relancer l’activité économique et touristique de l’île, via l’accompagnement de profondes transformations dans les domaines agricole, énergétique et numérique. Cependant, pour y parvenir des changements durables discutés avec les élus locaux doivent être mis en place dans ces domaines afin de trouver une solution réaliste au déclin économique et touristique rencontré par la Guadeloupe depuis de nombreuses années. Il ne s’agit pas uniquement de rassurer les populations d’outre-mer, mais de leur proposer des transformations concrètes et réalisables, qui doivent être considérées indépendamment de la crise sociale actuelle.
L’autonomie de la Guadeloupe?
Afin de résoudre les problèmes quotidiens des habitants, Sébastien Lecornu annonce que le gouvernement serait « prêt à parler » de la question de l’autonomie de la Guadeloupe. Certains élus locaux réclament moins d’égalité avec l’Hexagone pour conférer plus de liberté de décision aux décideurs locaux, comme en bénéficient déjà certains territoires d’outre-mer tels que la Nouvelle-Calédonie. Cependant, cette hypothèse a eu l’effet d’une bombe parmi les Français, en outre-mer comme en métropole. En Guadeloupe, les grévistes jugent cette initiative « à côté de la plaque », et voient en cette proposition un moyen de faire diversion: « l’urgence, c’est le vaccin, nos salaires, l’avenir de nos jeunes… Le reste, on en discutera plus tard », exige l’une d’entre eux. La population guadeloupéenne se sent une fois de plus abandonnée et perçoit en cette demande d’autonomie une stratégie de fuite de leurs élus.
Au sein de la classe politique, cette annonce n’est pas non plus passée inaperçue et a enflammé la toile. Anne Hidalgo, maire de Paris, s’est exprimée le 28 novembre sur le sujet en critiquant le comportement du gouvernement français en Guadeloupe: « Vous croyez vraiment que les outre-mer, ce qu’ils réclament, c’est moins d’État ? Ils veulent plus de justice ! ». Sur Twitter, cette question de l’autonomie a également rallié la droite autour d’une même objection: l’abandon et le manque de protection de la population guadeloupéenne par le gouvernement.
Photos des réactions au discours de Sébastien Lecornu postées par Marine Le Pen, Eric Ciotti, et Xavier Bertrand sur le réseau social Twitter.
En réponse à ces accusations, le ministre des Outre-mer s’est défendu en rappelant que ce débat de l’autonomie était né de la demande des élus antillais de pouvoir traiter localement certaines questions, notamment sanitaires. Cependant, les contestations locales et nationales provoquées par une tel projet semblent entraver l’obtention d’un compromis mettant d’accord les élus locaux et la population française. Bien que le débat soit amené à évoluer dans les prochains mois, une consultation du peuple guadeloupéen est indispensable pour rendre compte de sa volonté à acquérir plus d’autonomie. En 2003, ainsi qu’en 2010, cette proposition avait déjà été rejetée par référendum en Guadeloupe, et semble une fois de plus en décalage avec l’hostilité et la défiance exprimées par les populations des Antilles françaises. Bien que la Guadeloupe reproche au gouvernement sa politique d’outre-mer, pour beaucoup, l’autonomie n’apparaît pas pour autant comme une solution adaptée. Elle condamnerait l’île à administrer par elle-même les lourds problèmes sociaux et économiques qu’elle traverse, et ce dans un contexte actuellement instable ne lui permettant pas de mettre en place des mesures adaptées.
En couverture: photo prise par Christian Emmer , sous licence Creative Commons.
Édité par Cassiopée Monluc