Brexit: La saga prend (presque) fin
Trois ans après le référendum, le Brexit devient finalement une réalité.
C’est enfin acté. Le 31 janvier dernier, le Royaume-Uni a quitté l’Union Européenne. Retour sur des évènements qui ont ponctué l’actualité internationale depuis près de trois ans et demi.
D’une promesse électorale au divorce européen
Tout commence par une promesse électorale. Le 23 janvier 2013, le Premier Ministre britannique David Cameron promet de « donner au peuple britannique un référendum avec un choix simple, celui de rester ou de quitter l’Union Européenne». Le référendum se tient alors le 23 juin 2016 et enregistre une participation exceptionnelle puisque avec 72.21% le vote dépasse celui des élections générales de 2015 (66.1%). Le résultat est serré mais clair : les Britanniques votent pour une sortie de l’UE à 51,9%. David Cameron, instigateur du vote, pourtant opposé à la sortie, démissionne dans la foulée. C’est sa ministre de l’Intérieur, Theresa May, qui est choisie pour lui succéder et mener à bien ce Brexit .
« Reprendre le contrôle de notre argent, de nos frontières et de nos lois, » martèle la Première Ministre à chaque interview. Son cabinet négocie un accord de retrait avec les 27, dont le premier jet publié en novembre 2018 suscite l’incompréhension des députés britanniques. L’accord est soumis trois fois au vote des parlementaires. Trois fois, il est rejeté. Désavouée, Theresa May s’avoue vaincue et quitte le 10 Downing Street en mai 2019.
Le principal point de contentieux portait sur l’Irlande du Nord. En effet, pour empêcher le retour d’une frontière disparue depuis 1998 entre les deux Irlandes, Theresa May laissait planer l’éventualité d’un maintien du Royaume-Uni dans l’union douanière européenne. Seulement, cela l’aurait empêché de conclure ses propres traités commerciaux: une situation inacceptable pour les élus britanniques.
En octobre 2019, le successeur de May, Boris Johnson, soumet à Westminster une version modifiée de l’accord. Mais une fois de plus, les députés s’y opposent. Face à la menace d’un nouveau blocage politique, le Premier ministre convoque des élections générales anticipées en décembre 2019. L’écrasante victoire conservatrice témoigne de la lassitude d’une population qui souhaite en finir avec une épopée vieille de trois ans et demi. L’accord final est enfin ratifié par le nouveau Parlement britannique le 20 décembre 2019 et le Parlement européen l’approuve à son tour le 29 janvier 2020. Le 31 janvier à 23h00 GMT, l’Union Jack ne flotte plus à Bruxelles.
Le cas écossais
Le Brexit a fait ressurgir les velléités indépendantistes en Écosse. Lors du référendum de 2016, les Écossais ont voté à l’inverse de leurs pairs anglais et gallois, en se prononçant massivement pour le maintien dans l’UE (62% contre 38%). La Première Ministre, Nicola Sturgeon, a d’ailleurs exprimé le 31 janvier une « tristesse teintée de colère ». Le Brexit lui a fourni le casus belli nécessaire pour promettre à son tour un référendum au peuple écossais : rester ou quitter le Royaume-Uni afin de se maintenir dans l’UE. Une requête d’ores et déjà éconduite par Johnson.
Un futur économique incertain
Une page se tourne pour l’UE et le Royaume-Uni. Mais vers où se dirigent alors les deux entités ?
« Récession », « risque financier considérable », « réduction des investissements »: les premières prédictions sur les conséquences économiques du Brexit sont alarmantes. Et pour cause : l’Union européenne représente 49% du commerce du Royaume-Uni tandis que les accords de libre-échange dont il bénéficiait au sein de l’UE en comptent pour 11%.
Pour pallier à cette perte commerciale, Londres commence dès à présent à signer des accords commerciaux avec d’autres pays dont le Maroc, le Liban ou Israël. Seulement, ces accords ne représentent que 8% des échanges britanniques, une part infime par rapport à l’UE. Entrant en vigueur dès la fin de la période de transition en décembre 2020, ils ne seront que la réplication des accords de libre-échange que ces États ont signé avec l’UE.
Les inquiétudes se portent également vers l’attractivité du Royaume-Uni. En effet, la City de Londres, deuxième place financière mondiale, risquerait selon le gouverneur général de la Banque d’Angleterre de perdre jusqu’à « 75 000 emplois » à long terme. De grandes banques d’investissements ont également annoncé le transfert d’actifs vers d’autres capitales européennes dont Paris, Dublin ou Francfort. Parmi elles UBS, qui a annoncé en 2019 le déplacement de 36,5 milliards de dollars d’actifs vers l’Allemagne. Elle s’assure ainsi l’accès au marché unique européen mais prive l’économie britannique de ressources supplémentaires.
Le Brexit pourrait ainsi déstabiliser économiquement le Royaume-Uni qui a pourtant jusque-là réussi à maintenir le cap. Mais si la prééminence de la City reste avérée, que le transfert des activités ne représente qu’une fraction minime des opérations et que la livre Sterling se maintient, reste à attendre la fin de la période de transition d’ici fin 2020 pour pouvoir pleinement évaluer les conséquences.
Un isolement et affaiblissement diplomatique
Séparé des 27, Londres tente désormais de renouer avec le Commonwealth et les États-Unis. Dès janvier 2017, Theresa May s’est rendue à Washington et réaffirme aux côtés du Président Trump « la relation spéciale » qui unit les deux pays. C’est depuis par l’intermédiaire de Steve Mnuchin, secrétaire d’État au Trésor américain, que les États-Unis ont exprimé le désir de signer un accord commercial « avant la fin de l’année ».
Seulement, en optant pour une voie solitaire, dissociée des 27, le Royaume-Uni se retrouve en position de faiblesse. Il doit dorénavant entreprendre les négociations avec une marge de manoeuvre réduite et faire face à des exigences plus strictes de la part de ses partenaires commerciaux. À titre d’exemple, Washington fait actuellement pression sur Londres pour abandonner le géant chinois Huawei a récemment autorisé à développer la 5G sur son territoire. Ainsi, le Royaume-Uni, se retrouve pris en étau dans la guerre technologique qui oppose Beijing à Washington. Il est certes intéressé par une proposition chinoise financièrement abordable et technologiquement avancée, mais s’opposer frontalement aux États-Unis met en danger ses perspectives commerciales. Si Londres n’abandonne pas complètement le géant des télécoms chinois, probablement se pliera-t-il en partie aux exigences américaines : un haut responsable britannique ayant déjà parlé d’un plafonnement de la part de marché de Huawei.
Une Union européenne fragilisée…
Au cours des trois dernières années, les autorités européennes n’ont cessé de répondre avec fermeté à cette transition afin de masquer la réalité d’un affaiblissement. Assurément, l’Union européenne ne sortira pas indemne du Brexit. Avec le deuxième Produit Intérieur Brut du continent, le Royaume-Uni laisse un vide dans le bloc des 27 puisque l’UE cède désormais sa place de première puissance économique aux États-Unis. À cela s’ajoute la perte de grands noms industriels britanniques comme Rolls Royce ou du géant pétrolier BP qui porte également un coup à l’influence et au prestige économique de l’Union.
Au delà du volet économique, le Brexit ébranle la légitimité de Bruxelles. « Nous avons fait de l’Union Européenne un bouc émissaire » déplore Emmanuel Macron. En effet, blâmée par la Hongrie d’Orban pour sa politique migratoire, par l’Italie pour sa politique budgétaire et maintenant amputée du Royaume-Uni, l’Union européenne se trouve plus que jamais fragilisée. Le Brexit est l’expression retentissante d’un euroscepticisme rampant sur le Vieux Continent et d’une tendance au repli sur soi. D’autres pourraient à leur tour être tentés de suivre le même chemin.
… ou l’occasion d’un nouvel élan?
A l’inverse, le Brexit peut potentiellement raviver cette Union européenne morose. Le Royaume-Uni entretenait en effet une relation tumultueuse avec l’UE en faisant souvent valoir son pragmatisme individuel. Le Royaume-Uni s’est notamment toujours tenu à l’écart de politiques communes telles que la monnaie unique ou l’espace Schengen et semblait par ailleurs hostile aux idées fédéralistes avancées par Jean-Claude Juncker. En bref, le Royaume gardait un pied des deux côtés de la Manche.
Londres s’opposait donc corps et âme à des avancées qui nuisaient aux souverainetés étatiques en faveur d’une souveraineté européenne. Sa sortie pourrait donc non seulement libérer la voie aux réformes nécessaires pour l’Europe mais aussi constituer un signal d’alarme autour duquel s’uniraient les 27. Face au Brexit et aux menaces de Donald Trump, l’Union européenne se doit d’être cohésive et unie.
La difficulté avec laquelle a été menée la séparation a aussi démontré aux yeux des citoyens européens l’intrication complexe et profonde des États membres avec l’UE. Certes le Brexit crée un précédent mais un précédent qui pourrait paradoxalement dissuader un pays d’entreprendre les mêmes démarches. L’UE bénéficie également d’un regain d’intérêt auprès de peuples qui, s’ils cherchent parfois à faire sécession (comme la Catalogne ou l’Écosse), désirent se maintenir au sein de l’Union.
Le Brexit sonne le glas d’une Europe à 28 et les échos continueront de raisonner bien au-delà de la période de transition. Un avenir brumeux se dresse désormais devant le Royaume-Uni et l’Union européenne. Si les deux entités sortent mutuellement affaiblies du Brexit, leur divorce signe le début d’une nouvelle ère qui n’est pas dénuée d’opportunités. Le Royaume-Uni, dont l’histoire a démontré qu’il a toujours su faire valoir ses atouts et se relever des difficultés, s’engage sur une voie risquée mais autonome. Quant à l’Union européenne, elle est diminuée, contestée, mais plus prête que jamais à reprendre sa construction.
Photo de couverture: Par Cristoph Scholz sous licence CC BY-SA 2.0