Droits fondamentaux remis en question aux États-Unis
Anxiété nationale aux États-Unis suite au décès de Juge Ruth Bader Ginsburg
Suite au décès de la juge à la Cour suprême des États-Unis, Ruth Bader Ginsburg (RBG), une inquiétude nationale s’est répandue au sein du pays depuis que le président Trump a proposé la juge Amy Coney Barrett pour la remplacer, et ce, un mois seulement avant la présidentielle. Si cette nomination représenterait un basculement de la Cour suprême américaine à une majorité de juges conservateurs, elle soulève également de nombreuses interrogations sur l’intégrité de la démocratie américaine et sur le futur du « Affordable Care Act » (ACA) appelé communément « Obamacare. »
Grande icône féministe, RBG a consacré sa carrière à la défense de l’égalité entre les hommes et les femmes. Parmi ses grands combats, RBG a lutté contre la discrimination salariale sur le lieu du travail, à l’accès des femmes à l’Insitut Militaire de Virginie (1996), ainsi qu’à la préservation du droit à l’autonomie corporelle, stipulant le droit pour une personne de disposer de son propre corps. La lutte de RBG se traduit aujourd’hui par un héritage riche, permettant notamment aux femmes de tenir une place dans la société qui va au-delà du rôle traditionnel de mère au foyer. Ses combats et réflexions juridiques sont également étudiés par les étudiants en droit du pays. Ainsi, face au choix controversé d’un président toujours plus campé sur ses positions, une vive appréhension s’est traduite sur les réseaux sociaux concernant la potentielle successeure de RBG :
«Ruth Bader Ginsburg va être remplacée par une femme qui a franchi toutes les portes que Ginsburg lui a ouvertes afin qu’elle puisse rapidement utiliser sa position pour les fermer toutes pour les autres derrière elle.» (traduction par Ana Maria Dumitrache) Journaliste Louise Knott Ahern, tweet de @weezwrites, 25 septembre 2020.
Qui est la juge Amy Coney Barrett?
La juge Amy Coney Barrett, ancienne professeure de droit à l’université Notre Dame, est reconnue pour être une catholique pratiquante, aux valeurs conservatrices, ce qui contraste avec les convictions de sa prédécesseure. Surnommée héritière du juge Antonin Scalia, elle partage avec lui la même vision originaliste de la Constitution américaine, qui consiste à interpréter et à appliquer la Constitution conformément à son sens originel. Cette vision, largement prédominante au sein du milieu conservateur, vise à réconcilier une jurisprudence américaine avec les « vraies » valeurs fondatrices des États-Unis.
Si l’ascension professionnelle de la juge fédérale au poste de juge à la Cour suprême à l’âge de 48 ans peut sembler, pour certains, briser tous les plafonds de verre, sa nomination est préoccupante puisqu’elle irait à l’encontre de tous les principes et combats de RBG. Sa vision sur l’autonomie corporelle fait notamment craindre un démantèlement de l’« Obamacare », qui permet actuellement une subvention partielle des coûts de santé pour ceux qui n’atteignent pas le seuil de pauvreté, et offre une assurance maladie abordable pour ceux en classe moyenne, déductible d’impôt. Ce programme permet notamment de subventionner la clinique « Planned Parenthood », offrant plusieurs soins de santé, dont l’avortement et d’autres méthodes contraceptives. La juge Barrett, quant à elle, a ouvertement exprimé son désaccord envers l’avortement avec la signature d’une lettre pro-vie en 2006. Ce contraste a déclenché une bataille partisane et idéologique au niveau national, avec notamment des figures politiques comme Bernie Sanders et Kamala Harris, exprimant leur désaccord avec cette nomination précipitée.
Cette nomination est-elle anti-démocratique?
Alors que le président actuel semble parvenir au démantèlement de tout ce qu’avait entrepris son prédécesseur, notamment le programme Obamacare, la nomination de la juge Barrett pourrait être la consécration de cette ambition. Compte tenu de l’élection présidentielle imminente, la possibilité de nommer un nouveau juge à la Cour se voit controversée, car qualifiée d’anti-démocratique. Lors du débat présidentiel du 29 septembre dernier, l’ancien vice-président Joe Biden a d’ailleurs exprimé son désarroi envers la possibilité de nommer un juge à la Cour suprême au milieu d’une campagne électorale :
« Le peuple américain a le droit d’avoir leur mot à dire et cela se produit lorsqu’ils votent pour un président. L’élection a déjà commencé […] nous devrions attendre de voir ce que le peuple américain veut et c’est la seule façon pour le peuple américain d’exprimer leur point de vue, par l’élection […]. » (Traduction par Ana Maria Dumitrache)
Position prévisible, puisque Joe Biden fut le premier à établir un précédent en juin 1992, contre le président Bush alors qu’il était sénateur. Ce précédent énonce qu’un président doit attendre la fin d’une élection pour faire approuver une nomination si un siège devient vacant à la Cour suprême au milieu d’une campagne électorale. La « règle Biden » avait de fait été utilisée par le Sénat afin d’empêcher Obama d’entamer des procédures de nomination en 2016 suite au décès de juge Scalia.
La controverse actuelle présente les mêmes caractéristiques et les mêmes acteurs au Sénat américain. En effet, ce dernier est resté à majorité républicaine et demeure dirigé par Mitch McConnell depuis 2016. Ainsi, face à la similarité de la situation, la résistance marginale au processus de nomination de la part du Sénat est particulièrement déstabilisante. D’autant plus de la part de McConnell, qui a insisté en 2016 qu’un remplaçant moins conservateur que Scalia pourrait déplacer l’équilibre idéologique de la Cour.
Bien que cette nomination n’aille pas à l’encontre d’une loi constitutive quelconque, le processus précipité utilisé pour forcer la nomination du juge Barrett soulève des questions quant à l’intégrité du gouvernement d’honorer les attentes de la population américaine. Alors que la campagne électorale a débuté en septembre, cela minerait le processus présidentiel déjà entamé. Une chose est certaine, Trump profite d’un Sénat à majorité républicaine pour aller à l’encontre d’une convention établie par un précédent.
Le public américain a-t-il raison de s’inquiéter pour ses droits fondamentaux?
Le programme Affordable Care Act, mis en place par Obama en 2010, instaure en premier lieu une assurance maladie subventionnée par les impôts sur le revenu des particuliers. Néanmoins, la constitutionnalité de ce programme a été remis en question lorsqu’une réforme fiscale a pris place en 2017 suite à l’inauguration du président Trump, intitulée « Tax Cuts & Jobs Act » (TCJA). Ce projet de loi a changé la constitutionnalité du financement d’Obamacare, amenant l’administration Trump à déclencher un appel à la Cour suprême pour une remise en question de « l’Affordable Care Act (ACA) ». Ainsi, la Cour suprême qui délibérera sur ce sujet en 2021 et la nomination de juge Barrett qui amènerait une majorité de 6-3 juges républicains risque d’éliminer l’accès à des soins de santé abordable. La juge Barret apparaît alors aux yeux du public démocrate comme un pion utilisé par Trump pour mener à bien ses ambitions et ainsi démanteler l’un des plus grands accomplissements d’Obama.
En nominant la juge Barret, le président Trump vise directement et met en péril les droits des femmes. En effet, Trump a affirmé durant sa campagne électorale en 2016 qu’il mettra des juges à la Cour suprême qui renverseront la décision prise lors du cas mythique Roe v. Wade de la Cour suprême, qui a légalisé l’avortement en 1973. S’il est indéniable que cette décision a été une avancée majeure pour les femmes, elle va de pair avec un accès de soin abordable, chose qui est actuellement remis en cause par l’hypothétique démantèlement de l’ACA.
Quelles sont les conséquences de cette nomination?
Tout d’abord, Trump utilise la majorité républicaine au Sénat pour éviter le précédent établi par la règle Biden, et cible l’élimination d’un accès équitable aux soins de santé en plein milieu d’une pandémie mondiale, démontrant une faille démocratique dans la structure du gouvernement des États-Unis. De même, le cumul des positions partisanes qu’occupent les juges de la Cour et leur devoir d’agir en tant que corps apolitique reste un problème structurel majeur aux États-Unis.
De plus, les conséquences du remplacement de RBG par la juge Barrett se retrouvent dans la régression des droits des femmes en raison de ses croyances religieuses qui affectent le droit à l’avortement, ainsi qu’un déclin à l’accès à des soins de santé compte tenu de ses valeurs conservatrices. L’omniprésence de la religion dans les politiques américaines est troublante, car des valeurs religieuses n’ont pas leur place lors de la délibération des droits humains de la population. Finalement, la proposition d’une femme pour remplacer RBG semble être une façade de la part de Trump afin de simuler une position féministe, alors que celle-ci est loin de l’être.
En nominant une juge fédérale aux convictions empreintes de ses valeurs religieuses, Trump met en péril des droits durement acquis. Le public américain, et surtout démocrate, assiste démuni à ces changements qui remettent leurs droits fondamentaux en jeu. Néanmoins, malgré l’anxiété générale, la bataille partisane qui prend lieu semble avoir éveillé le peuple américain à bel et bien faire entendre leur voix; l’élection du 3 novembre s’annonce serrée.
Photo de couverture : Muraille à Washington commissioner par la compagnie Flock DC et faite par l’artiste Rose Jaffe en commémoration de la juge Ruth Bader Ginsburg, sous licence CC BY-SA 2.0