Ebola: Bilan & Avenir
À l’heure où le Libéria annonce la fin de l’état d’urgence sur l’Ebola et la fin de l’épidémie au sein de la RDC est déclarée par ses autorités, il semble que le combat contre le virus porte enfin ses fruits.
L’épidémie qui a vu le jour au mois de mars dernier fut la plus meurtrière de l’histoire de la maladie, et affectera indéniablement l’Afrique de l’Ouest sur le court comme sur le long terme.
Mais comment un virus connut depuis les années 1970 a-t-il pu causer autant de dégâts ? Il faut ici adresser l’échec de l’Organisation Mondiale de la Santé à intervenir de manière rapide et efficace. Il est en effet intéressant de voir que l’OMS a en grande partie été remplacée par les Organisations Non Gouvernementales sur le terrain. La lenteur du démarrage de l’intervention de l’organisme Onusien a sans doute empiré les autres répercussions de l’épidémie, spécialement la dimension économique qui menace le futur de la région.
« Tandis que nous acceptons une part des critiques, je pense qu’il est aussi essentiel de mettre les choses en perspectives, cette éruption a une dynamique excessivement différente de ce dont nous avons été témoin dans le passé, et je pense, a prise tout le monde au dépourvu ». Tels ont été les propos de Richard Brennan, directeur du Département de Gestion des Risques de Secours et des Réponses Humanitaires de l’OMS lors d’une entrevue donnée au Washington Post. En effet l’organisme a été sujet d’un nombre conséquent de critiques vis à vis de sa lenteur d’intervention.
La première épidémie d’Ebola recensée remonte à 1976; Ebola avait alors causé 431 décès au Soudan et au Zaïre. À ce jour, le virus est à l’origine de plus de douze fois ce nombre de morts. La dernière importante épidémie liée au virus remonte elle à 2007, elle avait alors entrainé la mort de 224 personnes. Ces chiffres, bien que tragiques, forment un contraste clair avec ceux dont nous sommes témoins aujourd’hui. À dater du 11 Novembre, plus de 14 000 cas et prêts de 5 200 décès avaient été annoncés par le CDC.
Bien que le débat demeure quant à l’origine de l’éruption, il a été établi que le patient zéro de l’épidémie serait mort en décembre 2013. Or, l’état d’urgence ne fut prononcé qu’au mois d’août, soit sept mois complets sont passés avant d’organiser une réponse contre le virus. Comment expliquer qu’une organisation censée lutter pour la santé ai prit plus d’une demi année à organiser une réponse substantive contre cette épidémie?
Premièrement, comme l’attestent les chiffres précédent, dans le passé les apparitions du virus avait été rapidement appréhendées. Les mobilisations requises à la maîtrise du virus n’avaient pas été de la même ampleur que celle d’aujourd’hui. Il est donc peut-être compréhensible que le virus ait été sous estimé par l’organisme Onusien. Secondement, l’OMS a souffert de multiples coupes budgétaires au court des dernières années résultant en une réduction d’effectif. Il est aussi important de rappeler que l’OMS a pour but primaire d’organiser la communauté mondiale en cas d’urgence sanitaire; il est donc plus une question de recherche que d’intervention sur le terrain.
La réalité géographique n’a pas agit en faveur de la lutte contre la fièvre non plus. En effet tandis qu’un pays comme les Etats-Unis ou la France aurait été capable de maitriser le virus grâce à ses infrastructures, les pays d’Afrique de l’Ouest souffrent d’un manque de personnel et de matériel de santé.
Nombre de traditions locales favorisent aussi la contamination d’Ebola, notamment les rites mortuaires. Le personnel médical présents sur place comprit la gravité de la situation une fois que le virus fut recensé au sein la capitale du Libéria, Monrovia. Celle-ci se caractérise par sa pauvreté, le manque de systèmes sanitaires tel que les égouts, et la misère qui y règne — le foyer propice à l’expansion d’un virus.
Médecins Sans Frontières (MSF) fut l’un des premiers groupes présent sur le terrain. En juillet de cette année, Johanne Liu, directrice de MSF demanda un rendez-vous avec la Directrice Général de l’OMS, Margaret Chan. Le 30 Juillet, Liu implora Chan de déclarer l’État d’Urgence Globale, à quoi Chan répondit qu’il ne fallait pas être pessimiste, mais finalement le déclara début août.
Après avoir déclaré l’État d’Urgence, l’OMS a poussé la recherche dans le développement de traitements et vaccin contre le virus, autorisant le raccourcissement de la procédure d’homologation. Le feu vert a donc été donné aux essais cliniques de traitements expérimentaux sous certaines conditions, dont la transparence absolue sur le type de traitement, la liberté de choix et garantie de la confidentialité des malades, ainsi que l’implication des communautés locales avant toute utilisation d’une thérapie. Pour ce qui est de la recherche et des tests conduit au sein des pays développés, la paranoïa autour du virus est telle que les volontaires se font rare. De plus, peu de recherche sur le virus avait été effectuée jusqu’ici malgré l’existence d’autres épidémies dans le passé. Ceci s’explique par le fait que le virus touche majoritairement des régions pauvres, de fait le développement de traitement contre celui-ci n’est pas des plus lucratif pour les laboratoires pharmaceutiques.
En vérité, se sont vraiment les ONGs, tels que La Croix Rouge et MSF, qui ont permit de contenir aussi bien que mal l’expansion de la maladie à l’aide d’une campagne de prévention et, bien sur, via l’apport de soin. Ce travail a d’ailleurs aussi causé beaucoup de pertes au sein de ces groupes. Non seulement le personnel sur place risque d’être infecté par le virus mais les populations locales sont aussi parfois très méfiantes rendant plus difficile encore le travail de prévention. Un exemple est le tragique sort qui fut réservé à une équipe de prévention dont les 8 corps furent retrouvés dans une fosse commune près du village de Womey en Guinée. Les villageois avaient accusé les visiteurs d’amener une maladie ‘apportée par les blancs’ et les membres de l’équipe furent lynchés jusqu’a la mort.
À l’échelle internationale, les interventions n’ont elles non plus pas toujours été des plus productives. Les États Unis ont financé et participé à la construction d’un hôpital, utilisant des matériaux tel que le ciment contrastant avec le système de tentes de MSF ou la croix rouge. Le processus de construction fut donc couteux et lent. De plus, le gouvernement américain n’envoya pas d’effectif médical pour travailler dans cet hôpital, le laissant donc à l’abandon (1). L’Australie, elle, a refusé d’envoyer des effectifs médicaux et ce, par peur du processus de rapatriement, aucun médecin australien ne sera donc envoyé en Afrique de l’Ouest tant que le gouvernement n’est pas certain qu’il n’existe aucun risque pour ceux ci. Cette décision contraste avec l’intervention de Cuba que le gouvernement américain s’est vu forcé de saluer. Le gouvernement Cubain a annoncé un envoi de près de 460 médecins et infirmiers en Afrique de l’Ouest. L’OMS elle aussi à félicité cette participation exemplaire et promis l’apport d’un soutient technique à ces effectifs. Il n’est pas encore déterminé de ce qu’il adviendrait de ces médecins s’ils contractaient le virus du fait des ressources nécessaires au rapatriement de personnel contaminé ainsi que de la situation politique de l’île au sein de relations internationales.
Sur le long terme, une dimension majeure de cette épidémie réside dans les dommages économiques qu’elle inflige à la région. Pour certains états tel que le Libéria, déjà affaibli par une guerre civile à peine terminée, les conséquences économiques de l’épidémie pourraient menacer drastiquement la stabilité politique du pays. La croissance économique des états infectés va, sans surprise, connaître une perte de vitesse. Selon des chiffres d’octobre de la Banque Mondiale, la croissance de 2014 serait ainsi ramenée de 4,5 % à 2,4 % en Guinée, de 5,9 % à 2,5 % au Liberia, et de 11,3 % à 8 % en Sierra Leone. Ces pertes cumulées de croissance s’élèveraient à 359 millions de dollars en 2014. Mais ce n’est pas tout: le déficit budgétaire de ces états se creuserait aussi de 113 millions de dollars au Libéria (soit, 5.1% du PIB), de 95 millions en Sierra Leone (2.1% du PIB), et de 120 millions en Guinée (1.8% du PIB). La BM précise qu’il s’agit là de « fourchettes basses ». Pour des états à la santé fragile, ce type de répercussions économiques est bien plus qu’inquiétant. Selon les différents scénarios de la banque, à la fin de 2015, les pertes économiques seraient comprises entre 97 et 809 millions de dollars. De plus, la BM estime « probable à moyens terme une contagion épidémique et économique en Afrique de l’Ouest », sur deux ans, son coût s’élèverait à 3.8 milliards de dollars dans le scénario optimiste, et 32.6 milliards de dollars dans le scénario pessimiste. Elle précise aussi ne pas prendre en compte l’impact d’Ebola sur le long terme (fort taux de mortalité, fermetures des écoles etc.) ainsi que les marges d’erreur de cette étude sont « large ».
En somme, il est clair que l’OMS a failli à son rôle de régulateur lors de cette épidémie. Malgré quelques circonstances atténuantes, l’organisme s’est montré trop lent, ainsi qu’incapable de coordonner les différentes aides. Il faut aussi absolument saluer l’effort et le rôle des ONGs grâce aux quelles l’expansion d’Ebola aujourd’hui est partiellement contenue.
Cette crise globale pose la question des inégalités entre les pays développés et ceux en voie de développement. Si la souche du virus s’était trouvée en Europe, un vaccin contre celui-ci existeraient probablement déjà. De même la vitesse de réaction de l’OMS face à cette fièvre aurait surement été plus rapide s’il avait été question des États Unis ou du Canada.
À l’échelle internationale les écarts dans l’aide apportée entre différents pays remettent en question l’existence de solidarité. Le comportement de l’Australie remettrait presque en question l’existence de l’OMS. Il s’agit la d’un comportement de ‘free rider’, profitant du fait qu’un organisme externe s’occupe de la crise pour éviter d’intervenir. Il est aussi intéressant de voir les réactions de certains états face à d’autres, tels que les USA et Cuba, spécialement dans le contexte de l’embargo américain.
Enfin, cette crise a une dimension économique qu’il est crucial d’adresser. Au delà de la tragédie de ces milliers de morts existe une réalité glaciale pour le développement de ces états dont le futur est menacé.
Tant de questions qui restent sans réponse. Il sera intéressant d’observer le développement des impacts de l’épidémie sur différents niveau au file des prochains mois. La crise d’Ebola sera-t-elle à l’origine de changements socio-politiques durables ou passera-t-elle aux oubliettes une fois maîtrisée à l’image de précédentes crises de santé tel que celle de la grippe aviaire?
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(1) Rachel Kiddell-Monroe. “Challenging Global Health Governance : The Ebola case”. Lecture given at McGill University, October 16, 2014.