Éducation Précaire pour les Rohingyas dans le Plus Grand Camp de Réfugiés au Monde
La répression sans précédent de l’armée birmane en août 2017 contre les Rohingyas de l’État de Rakhine a provoqué une migration massive de plus de 742 000 personnes vers le Bangladesh en seulement quelques mois. La plupart d’entre eux se sont installés dans les camps du district de Cox’s Bazar, qui abrite le plus grand camp de réfugiés au monde, autant en superficie qu’en densité de population. Cinq ans après le début de cet exode massif, ils sont presque un million au Bangladesh.
Le rôle clé de l’éducation en temps de crise humanitaire
L’éducation joue un rôle clé dans le développement de chaque enfant, d’autant plus cruciale dans un contexte humanitaire comme celui du déplacement prolongé des populations. Les enfants font face à un avenir incertain, entraînant la frustration et multipliant leur exposition aux dangers de l’exploitation, du mariage des enfants, et d’autres abus.
Bien qu’ils résident au Myanmar depuis des générations, les Rohingyas n’ont pas la nationalité birmane et sont considérés apatrides. Ils sont confrontés au refus du droit au travail, de la liberté de mouvement et de l’éducation. La persistance de l’absence d’accès à l’éducation et aux moyens de subsistance maintient la majorité des Rohingyas dans un état d’incertitude et empêche les jeunes de bâtir leur avenir. Environ 60% des réfugiés Rohingyas sont des enfants et 40% ont moins de 12 ans. La majorité de ces enfants ne bénéficie pas d’une éducation formelle, malgré la ratification par le Bangladesh de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, qui garantit le droit à l’éducation pour chaque enfant.
Jusqu’en 2020, le Bangladesh interdisait l’accès à l’éducation formelle pour les enfants Rohingyas sous sa juridiction. Cette politique était motivée par la crainte du gouvernement que l’éducation formelle entrave le rapatriement des Rohingyas vers le Myanmar et génère une augmentation du nombre de réfugiés Rohingyas au Bangladesh.
L’éducation informelle reste autorisée, et permet à des organisations internationales telles que UNICEF, UNHCR, et BRAC de proposer des programmes éducatifs dans les camps de réfugiés. En octobre 2017, un groupe de travail technique informel a été mis en place, comprenant des représentants de l’UNICEF, du UNHCR, de Plan International, de Save the Children, de BRAC et d’experts en curriculum technique du Bangladesh et du Myanmar, et ont développé un programme appelé « Cadre et Approche des Compétences d’Apprentissage (LCFA), » en tant qu’alternative au curriculum pour les enfants réfugiés Rohingyas. Il inclut cinq matières : l’anglais, les mathématiques, le birman, les compétences de vie pour les niveaux 1 et 2 (équivalentes au niveau préprimaire jusqu’à la deuxième année dans le système scolaire formel), et les sciences pour les niveaux 3 et 4 (équivalentes aux niveaux 3 à 8 dans le système scolaire formel). Les compétences de vie étaient limitées à la sensibilisation aux maladies et à des activités récréatives. En 2019, 30 000 enfants âgés de 4 à 14 ans étudiaient dans 3 200 centres, dont 70 pour cent étaient pris en charge par l’UNICEF.
Les enjeux de l’enseignement informel dans les camps
Les agences humanitaires sont confrontées à de multiples contraintes matérielles, financières et politiques. Parmi ces problèmes, on peut citer le manque de personnel enseignant qualifié ainsi que le manque de ressources et d’infrastructures adaptées.
La qualité médiocre de l’éducation provient principalement de l’absence d’un programme scolaire défini et approuvé, des contraintes liées à la disponibilité et aux qualifications des enseignants et du manque d’informations quant aux compétences préexistantes des élèves. En effet, les enseignants ont plusieurs lacunes quant aux connaissances théoriques des sujets enseignés et ne mettent pas en place des méthodes pédagogiques efficaces, dû au manque de formation préalable. En plus des difficultés d’apprentissage, un manque de confiance s’installe entre la communauté et les enseignants en raison de la qualité de l’enseignement insuffisante, ainsi que d’un manque de communication avec les enseignants. Cette situation démotive les élèves et accroît la réticence des parents à les envoyer à l’école.
L’éducation des réfugiés Rohingyas est également entravée par d’importantes barrières linguistiques entre les cours dispensés en birman ou en anglais et leur langue maternelle. Ils font face à d’importants obstacles en matière de compréhension et d’apprentissage, principalement en raison de leur niveau insuffisant de compétences en lecture et écriture en birman. De plus, peu d’enseignants Bangladais et Rohingyas ont une maîtrise suffisante de la langue birmane.
Une autre problématique surgit puisqu’en raison du manque d’infrastructures éducatives pour la population locale de Cox’s Bazar, le gouvernement Bangladeshi a interdit la construction d’infrastructures permanentes par les organisations internationales. Cette restriction limite grandement la capacité d’assurer une éducation de qualité. Le nombre insuffisant de centres d’apprentissages par rapport au besoin menace l’accès à éducation pour l’ensemble de la communauté.
Les initiatives communautaires face aux menaces gouvernementales
Pour ces raisons, les Rohingyas tentent de trouver des solutions au sein de leur communauté, notamment en mettant en place des écoles autonomes soutenues par des donateurs internationaux, ainsi que des centres d’apprentissage privés suivant le curriculum du Myanmar, même s’ils ne sont pas officiellement reconnus. La plupart de ces réseaux d’éducation prennent place dans des logements familiaux, de salles de classe simples construites grâce au soutien de donateurs privés ou encore de locaux d’écoles religieuses. Depuis le 13 décembre 2021, le gouvernement du Bangladesh a décidé de fermer ces écoles autonomes, mettant ainsi en péril toute forme d’éducation alternative aux programmes éducatifs des organismes humanitaires dans les camps de Cox’s Bazar. Les autorités menacent de confisquer les documents d’identité des réfugiés Rohingyas et de les déplacer de force vers une île reculée et sujette aux inondations dans le golfe du Bengale. Cette décision a suscité de vives inquiétudes puisque l’absence d’une éducation formelle dans les camps pourrait engendrer une « génération perdue » de jeunes incapables de parler birman et étant ainsi exclus de la participation politique du Myanmar à l’avenir.
Les avancées et les limites du système éducatif formel
La communauté Rohingya et les organisations internationales ont appelé le gouvernement Bangladeshi à négocier avec le Myanmar afin d’obtenir la certification permettant de suivre le système éducatif du Myanmar. Ils ont souligné l’importance de l’utilisation de normes claires pour les salles de classe par niveaux.
En janvier 2020, le gouvernement a permis aux enfants réfugiés Rohingyas d’accéder à l’éducation formelle sous la direction de l’UNICEF, afin de les doter des compétences nécessaires pour éventuellement retourner au Myanmar. En novembre 2021, conformément à la décision du gouvernement du Myanmar, le secteur de l’éducation pour la réponse humanitaire à Cox’s Bazar a entrepris la mise en place du curriculum scolaire du Myanmar dans les camps de réfugiés Rohingyas. Cette initiative visait initialement 10 000 élèves Rohingyas, âgés de 11 à 14 ans, allant de la sixième à la neuvième année. Toutefois, en raison du retard scolaire, la plupart de ces élèves ont entre 14 et 16 ans. Ceux qui ont plus de 14 ans ont la possibilité de bénéficier de formations professionnelles en plus du programme scolaire. En mars 2023, il y aurait plus de 160 000 élèves qui suivent ce curriculum sur environ 400 000 enfants.
Aujourd’hui, bien que le gouvernement bangladais autorise une certaine éducation pour les enfants rohingyas, celle-ci est loin d’être idéale. Toutes les écoles des camps doivent s’inscrire auprès du gouvernement et ne peuvent offrir des cours que dans des structures physiques temporaires. Les écoles à domicile, ainsi que les madrassas, qui sont des écoles religieuses islamiques, dirigées par des Rohingyas, ont dû fermer suite à des contraintes imposées. De plus, l’accès à l’enseignement supérieur officiel est totalement interdit aux réfugiés rohingyas et reste également limitée pour la communauté locale. Ainsi, l’avenir des jeunes réfugiés Rohingyas au Bangladesh, ainsi que l’autonomie et la prospérité de leur communauté, demeurent incertains.
En couverture: Des enfants rohingyas en session d’étude. Image de Pierre Prakash sous licence CC BY-NC-ND 2.0.
Édité par Joseph Abounohra.