Équateur : Corruption, Fragmentation, Domination
Le 7 février, le peuple équatorien élisait son président pour les quatre prochaines années. “Correa” et “Corruption” ont été les deux mots magiques durant la campagne électorale – deux mots que les sonorités ont semblé vouloir rapprocher malgré eux.
Seize candidats, représentatifs d’une fragmentation politique et géographique
Les 16 candidatures reçues par le Conseil Électoral d’Équateur (CNE) annonçait déjà un affaiblissement des débats politiques du fait d’une charge importante d’information liée à des propositions variées et éclectiques. S’organisant en deux séries, les débats ont laissé peu de temps aux candidats pour s’exprimer sur leur propositions. De plus, ce temps de parole déjà limité a été encombré par les accusations et contre-accusations de corruption, limitant les possibilités de dialogue sur d’autres problématiques. Au lendemain de ce premier tour des présidentielles équatoriennes, le pays se révèle tout aussi divisé : les trois candidats en tête représentent trois sections géographiques et sociales du pays.
Avec près d’un tiers des votes, Andrés Arauz est le candidat du parti socialiste Alianza País. Il est avant tout le visage et la voix de Rafael Correa, l’ancien président de 2007 à 2017, actuellement en exil en Belgique où il tente d’échapper à une condamnation de 8 ans de prison pour délit de corruption aggravée. Ainsi, l’élection de Arauz en tant que président pourrait signifier l’amnistie et le retour de cette figure très controversée dans le pays.
Les deux autres candidats se battent encore pour participer au deuxième tour. Avec moins d’un pourcent de différence, le conseil électoral doit procéder à un recomptage des votes. Avantagé pour le moment avec 17.24% des votes, Guillermo Lasso, banquier représentant les électeurs de droite et les classes sociales plus élevées, semble être en mesure d’assurer sa place au deuxième tour.
Pratiquement à l’opposé de l’échiquier politique, Yaku Perez a, lui, obtenu 16,93% des voix. Il est le candidat du parti autochtone Pachakutik, et s’inscrit dans l’opposition des présidents de gauche Correa et l’actuel Lenin Moreno. De centre-gauche, il critique les projets pétroliers et miniers qui menacent l’environnement et la survie des peuples autochtones.
Malgré le fait qu’ils pourraient être mieux représentés par un candidat comme Lasso, beaucoup d’Équatoriens issus des classes les plus aisées et interrogés s’accordent sur le fait qu’il serait préférable que Yaku arrive au deuxième tour afin de gagner contre Arauz. Ainsi, les élections s’apparentent davantage à un choix pour ou contre Correa (à travers la figure de Arauz) plutôt qu’un choix entre 16 candidats originaux.
En considérant la répartition géographique des votes comme la carte ci-dessus, la fragmentation du pays apparaît comme évidente. Lasso, représentant les foyers les plus aisés, a concentré le plus de votes dans la capitale du pays, Quito. Yaku Perez a quant à lui reçu le plus de votes dans les régions rurales, souvent plus peuplées par les peuples autochtones, situées à l’Est du pays (régions andines et amazoniennes). Enfin, Andrés Arauz a sécurisé ses votes dans les régions côtières, plus pauvres que les régions à forte densité urbaine mais accueillant moins de populations autochtones.
Les différentes campagnes présidentielles ont largement transformé les débats autour des politiques économiques et sociales en un combat peu crédible contre la corruption, avec pour seule arme des dénonciations mutuelles et des critiques du gouvernement de Correa.
La monopolisation du discours électoral autour d’accusations et de contre-accusation de corruption a mis en évidence la fragilité de la démocratie. En effet, la détérioration du système politique peut s’accompagner d’une perte de confiance dans celui-ci : tandis que l’élite se détache des revendications et des attentes du peuple, ce dernier se retrouve confronté à la normalisation de la corruption, affectant son véritable pouvoir décisionnel.
Une souveraineté économique menacée face à l’influence de la Chine
L’endettement, caractéristique de la politique économique de Correa, a eu des répercussions sévères sur les finances du pays. L’emprunt massif à la Chine à des taux d’intérêt élevés a ainsi scellé son influence économique dans le pays.
Le premier mandat de Rafael Correa a été marqué par un boom des prix du pétrole. Les exportations de pétrole représentant près de 50% du PIB du pays, la stratégie économique de l’ancien président a été d’utiliser cette manne économique afin de diversifier la production énergétique et de développer le secteur public. Au-delà des investissements dans la construction d’infrastructures publiques, Correa a aussi largement investi dans la construction de centrales hydroélectriques – notamment le titanesque barrage national de Coca Codo Sinclair.
Les revenus de la rente pétrolière ne suffisant toutefois pas à couvrir les dépenses publiques, notamment après la chute des prix de « l’or noir » pendant le deuxième mandat de Correa, le gouvernement a eu recours à un endettement massif auprès d’organismes internationaux et de gouvernements, tels que la Chine. Le barrage de Coca Codo Sinclair, par exemple, a été construit à 89% par l’entreprise chinoise Sinohydro, et a été financé en partie par un emprunt représentant plus de 50% du budget total envers la Banque d’Exportation et d’Importation de Chine (Eximbank).
Bien que la dette extérieure de l’Équateur envers la Chine ne représente que 15% de l’ensemble de la dette extérieure du pays, ces emprunts sont particulièrement critiqués du fait de l’ampleur de leur taux d’intérêt, s’élevant à 9% environ.
Une première répercussion sur le long terme de la gouvernance de Correa a donc été d’entraîner le pays dans un cycle d’endettement duquel il est difficile de sortir. Aujourd’hui, la dette de l’Équateur a atteint les 50 % de son Revenu National Brut (RNB) total, taux d’endettement le plus haut depuis le début de la présidence de Correa.
Afin de contribuer au remboursement de sa dette, le pays a octroyé à la Chine l’accès à près de 90% de ses exportations de pétrole. Selon René Ortiz, ex-Ministre de l’Énergie équatorien, ceci représente un « changement radical » dans l’économie du pays membre de l’OPEC : « jamais l’Équateur n’avait confié son pétrole à un de ses prêteurs ». Ceci rend l’Équateur extrêmement dépendant de la Chine pour ses exportations et son économie.
Ce danger pour la souveraineté de l’État équatorien a été néanmoins peu discuté pendant les débats présidentiels en comparaison avec les accusations de corruption portées par les candidats à leurs rivaux. Ainsi, les élections de 2021 ont dévoilé la fragilité du débat démocratique en Équateur. Les deux candidats se disputant le deuxième tour ont demandé un recomptage des votes. Il reste donc encore à savoir si celui-ci permettra l’élection d’un président à la fois anti-corruption, et conscient des enjeux économiques et financiers du pays.
Édité par Anja Helliot.
Photo de couverture prise par Diane Robert. Vue de Quito.