Génération COVID-19 : une jeunesse isolée mais solidaire
« Monsieur le Président, à dix neuf ans, j’ai l’impression d’être morte », pouvait-on lire dans la lettre ouverte de Heïdi, étudiante à Sciences Po Lyon, en janvier dernier. Depuis plusieurs mois, les jeunes se retrouvent comme les oubliés de la pandémie. Entre déscolarisation, isolement, précarité, et manque de perspectives d’avenir, les étudiants sont nombreux à subir les dommages collatéraux des restrictions mises en place par le gouvernement. Sujet tabou pendant la majorité de l’année passée, les impacts de cet isolement sur la vie des étudiants et sur leur santé mentale commencent à peine à être abordés par le gouvernement français. Malgré de légères améliorations, les mesures en place restent superficielles et semblent négliger l’origine du problème.
Bilan des effets dévastateurs sur la jeunesse
Même si la maladie n’affecte que très peu les enfants et la jeunesse, les moins de 25 ans restent néanmoins les plus touchés par les restrictions sanitaires. La fermeture des salles de cinéma, de concerts, les boîtes de nuit et restaurants depuis le premier confinement marque la disparition des lieux de socialisation principaux des jeunes. « C’est dur d’avoir 20 ans en 2020 », soulignait même Emmanuel Macron pendant l’une de ses allocutions en octobre dernier.
Pour beaucoup, les restrictions sanitaires sont également synonymes de la fin des cours en présentiel à l’université. Ces décisions ont entraîné une partie d’entre eux à arrêter complètement ou du moins à mettre en pause leurs études. La déscolarisation a ainsi touché environ un jeune sur six selon un rapport d’enquête parlementaire, c’est-à-dire 16,67% des jeunes. Or, en 2019, le décrochage scolaire ne touchait que 8% des étudiants, soit un élève sur douze, la moitié du taux actuel. De plus, la fermeture des bars, cafés, cinémas et restaurants a entraîné la perte de nombreux emplois à temps partiel et a privé certains étudiants d’un revenu nécessaire au financement de leurs études. La précarité a ainsi été l’une des causes principales de décrochage scolaire avec 21,8% des 18-25 qui se sont retrouvés au chômage, soit une hausse de 16% en un an.
L’isolement permanent du fait de la fermeture de lieux favorisant les interactions sociales a également grandement affecté la santé mentale de la jeunesse. Dans une étude publiée par France Bleu et France Info, 31% des jeunes affirment que leurs addictions (au tabac, à l’alcool ou aux drogues) ont progressé depuis le début de la pandémie. Les appels opérés sur la Nightline – une ligne téléphonique de nuit assurée par des étudiants pour leurs pairs en détresse et/ou souffrant de solitude – a augmenté de 40% par rapport à la normale. D’après un sondage de l’IPSOS, chez les moins de 25 ans, un jeune sur trois souffre de troubles de santé mentale et environ un jeune sur cinq rapporte des symptômes de dépression.
Ces difficultés, dorénavant mises en lumière, doivent être considérées de la plus haute importance par le gouvernement. Suite à la mobilisation des associations étudiantes et à la publication de nombreux rapports concernant les conséquences négatives des restrictions sanitaires sur la santé mentale des jeunes, le gouvernement a été forcé d’agir.
Réponses du gouvernement Macron
Alors que l’attention commençait à peine à se porter sur la situation des jeunes face à la pandémie, les mesures récentes présentées par le gouvernement paraissent encore insuffisantes et incapables de répondre aux demandes des étudiants. Jean Castex, Premier ministre, présentait le 23 juillet dernier un plan d’action dans lequel il promettait l’accompagnement des jeunes en difficulté. Consistant en une aide à l’insertion dans le secteur professionnel et dans le domaine de l’enseignement, ce programme d’aide cherchait à former et à orienter les jeunes en difficulté vers les métiers de leur choix, avec la création, notamment, de places supplémentaires dans diverses formations. Le succès de ce programme reste cependant très limité en raison du manque d’informations données aux étudiants. Très vite, la nécessité d’obtenir des mesures supplémentaires s’est faite ressentir.
Le 21 janvier 2021, Emmanuel Macron annonçait lors d’une allocution télévisée le retour des cours en présentiel pour les étudiants de première année à fréquence d’un jour sur cinq, c’est-à-dire 20% du temps habituel. Cette décision a marqué positivement les esprits des étudiants universitaires qui, contrairement aux élèves de lycées, de classes préparatoires et des BTS, n’avaient plus de cours en présentiel depuis le début de la pandémie. Pour Noémie Puichafray en études de psychologie à Tours : « il est très difficile de rester concentrée pendant toute la durée des cours, notamment face à des cours de 3 à 4 heures avec des bugs de connexion. » Avec un accès inégal aux ressources nécessaires pour suivre les cours en distanciel tels qu’un ordinateur, une bonne connexion wi-fi et une pièce silencieuse, les inégalités sociales ont été décuplées par la pandémie. Ainsi, 80% des jeunes de 15 à 25 ans affirment avoir subi des préjudices importants face à la pandémie. Toutefois, la joie des étudiants universitaires aura été de courte durée depuis que 16 départements français en zone rouge ont été forcés d’être reconfinés suite à des annonces gouvernementales le 31 mars 2021 – marquant ainsi la fin des cours en présentiel.
Autre mesure annoncée par le président : les repas étudiants à un euro sont devenus accessibles pour tous du fait de la précarité qu’a causée la COVID-19 et sont désormais distribués dans toutes les cantines universitaires affiliées. Cependant, le repas ne fait pas l’unanimité : si certains sont satisfaits, d’autres se plaignent des longues files d’attente et du peu de nourriture qui se trouve dans les portions. Malgré tout, pour beaucoup de jeunes, ces repas sont devenus leur façon principale de s’alimenter. En janvier 2021, Emmanuel Macron avait aussi introduit une mesure concernant le suivi psychologique de la jeunesse : chaque étudiant aurait ainsi à sa disposition un « chèque de santé mentale » équivalent à trois consultations gratuites chez un psychologue si besoin.
Mobilisations étudiantes
Même si ces mesures sont nécessaires, elles sont loin d’être suffisantes et ne semblent pas s’attaquer à l’origine du problème. Afin de faire entendre leur voix auprès du gouvernement, de nombreuses mobilisations étudiantes se sont organisées au cours de ces derniers mois. Le 26 janvier 2021, sollicités par plusieurs syndicats, des milliers de jeunes se sont réunis dans les rues de plusieurs villes de France afin de dénoncer leurs conditions de vie difficiles depuis le début de la pandémie et manifester leur malaise vis-à-vis du gouvernement. L’Union Nationale des Étudiants de France (UNEF) et d’autres organisations syndicales de gauche telles que Solidaires étudiants, les jeunes communistes, et les jeunes écologistes avaient également lancé des appels à la mobilisation. À l’aide de lettres ouvertes, de vidéos choc, de rencontres avec des membres du gouvernement, d’entretiens sur les plateaux télévisés, les jeunes se démènent pour faire valoir leur cause. Le message est clair : les étudiants exigent la réouverture de toutes les facs pour tous les jeunes afin de combattre les sentiments d’injustice et de solitude ressentis par beaucoup. Valentine Renou, étudiante à Paris AgroTech, s’est rendue à une manifestation en soutenant que « toute une génération était sacrifiée. »
Pourtant, d’autres jeunes s’acharnent à rejeter les terminaisons fatalistes et préfèrent reconnaître et applaudir une jeunesse qui reste engagée malgré des conditions difficiles. Loin d’être une génération « sacrifiée », « abattue », ou « fracassée », la génération COVID souhaite s’affranchir de ces surnoms péjoratifs et déterministes qui réduisent la possibilité et la visibilité des actions. Les idées préconçues d’une jeunesse « individualiste » et « égoïste » doivent se substituer à la vision d’une génération « engagée » et « solidaire » qui n’attend pas le gouvernement pour se mobiliser.
Un futur incertain
Malgré les incertitudes persistantes que rencontrent les jeunes en période de pandémie, la mobilisation étudiante est au rendez-vous. Reste désormais à évaluer l’impact de ces vocalisations récentes. Si certaines personnalités politiques n’ont pas mentionné une seule fois la cause des étudiants, d’autres la soutiennent pleinement. Le député européen Raphaël Glucksmann déplore ainsi le manque de mesures sociales mises en place en parallèle des nombreuses mesures sanitaires qui, selon lui, a « sacrifié » la jeunesse depuis un an.
Dans une vidéo postée sur Twitter le 31 janvier 2021, Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, s’adressait aux jeunes et exprimait son soutien tout en affirmant comprendre leur détresse face à la pandémie. Malgré ses bonnes intentions, la ministre est restée très superficielle, en ne parvenant pas à annoncer des mesures concrètes. Quelques jours plus tard, Sarah El Hairy, secrétaire d’État chargée de la Jeunesse, s’était rendue sur le plateau de BFMTV pour parler de la cause étudiante. Dans cet échange, au travers d’un discours motivationnel creux, la secrétaire d’Etat s’est dérobée de ses responsabilités et a appelé à la mobilisation et à l’action collective – pourtant déjà en place. Tandis que l’attention commence à peine à se porter sur les maux étudiants, le manque d’action des responsables politiques reste flagrant.
Le troisième confinement annoncé par Emmanuel Macron fin mars 2021 marque un futur plus incertain que jamais. La fermeture des écoles et des lycées qui avait jusqu’ici été évitée témoigne de la mauvaise gestion de la crise par le gouvernement. Un nombre encore plus important de jeunes se retrouvera ainsi à suivre des cours en distanciel, ce qui promet de renforcer les inégalités et d’approfondir les maux des étudiants. Par ailleurs, le déploiement long et tardif des vaccins en France ne permet pour l’instant pas de déterminer exactement la date à laquelle les moins de 25 ans y auront accès. Privés de liens sociaux primordiaux, la négligence de la jeunesse depuis plusieurs mois aura sans aucun doute des conséquences importantes, mais il est encore temps pour la génération COVID d’éviter la catégorisation des sacrifiés. Pour cela, il est nécessaire de recentrer le débat sur l’une des populations les plus touchées par les restrictions sanitaires et de mettre en place des mesures de soutien concrètes. Ceci permettra à la génération COVID de rester la génération solidaire et engagée qu’elle est devenue, car si la jeunesse perd espoir, à qui en restera t-il?
Photo de couverture: Étudiant suivant les cours en ligne depuis chez lui. Photo de Alliance for excellent education, sous license CC BY-NC 2.0
Édité par Anja Helliot