Grève des United Automobile Workers: le début d’une nouvelle ère syndicale ?

L’UAW uni face à Ford, GM et Stellantis

Le 15 septembre, les dirigeants du United Automobile Workers (UAW) ont annoncé le début d’une grève syndicale. L’UAW représente les ouvriers automobiles travaillant pour Ford, General Motors (GM) et Stellantis (Chrysler, Jeep, Ram et Dodge), les trois plus grands manufacturiers automobiles américains (aussi appelés le big three automobile américain). 

Le syndicat compte 400,000 membres actifs aux États-Unis, au Canada et à Puerto Rico et près de 600,000 membres retraités, ce qui en fait le plus gros syndicat automobile en Amérique du nord. C’est la première fois dans son histoire que l’UAW se met en grève contre ses trois employeurs en même temps. Après seulement une semaine de grève, celle-ci touchait plus de 38 usines de fabrication de pièces automobiles Ford, General Motors (GM) et Stellantis dans vingt États américains. 

Les représentants syndicaux du UAW revendiquent notamment une augmentation de salaire immédiate de 20%, une augmentation de salaire graduelle de 46% sur quatre ans (équivalente à celle reçue par les PDG de Ford, GM et Stellantis lors des 4 dernières années), un congé payé plus long et une semaine de travail de 32 heures payée au taux d’une semaine de 40 heures.

Négociations et licenciements 

Pour l’instant, les négociations ont été infructueuses et la grève perdure. Le 20 octobre dernier, 34,000 membres du syndicat étaient en grève et environ 5,000 employés avaient été mis à pied par le big three automobile américain. Les licenciements ont principalement eu lieu dans des usines qui dépendent directement d’autres usines où les membres du syndicat sont en grève. Il faut savoir que les usines dépendent chacune les unes des autres pour assurer la production de véhicules. Donc si une usine se met en grève, plusieurs autres usines sont également mises à l’arrêt par défaut puisqu’elles ne reçoivent plus de pièces et ne peuvent plus assembler de véhicules. Ainsi, Ford, GM et Stellantis justifient leurs licenciements en soutenant que les employés qui ont été mis à pied travaillaient tous dans des usines déjà à l’arrêt à cause des grèves dans d’autres usines. Selon l’UAW, ces licenciements sont plutôt un contre-moyen de pression du big three pour faire mal au syndicat et les inciter à accepter des concessions modestes.

La firme de conseil Anderson Economic Group estime que les quatre premières semaines de grève ont coûté $359 millions aux membres du UAW, $3.45 milliard à Ford, GM et Stellantis, $2.67 milliard aux fournisseurs de ces trois compagnies et $1.21 milliard aux consommateurs et concessionnaires automobiles américains. Le coût total causé par la grève, après seulement quatre semaines, s’élèverait donc à environ $7.7 milliards. L’opinion publique américaine demeure en faveur des grévistes. Un sondage de Reuters-Ipsos indique que, le 5 octobre, 58% des Américains soutiennent le mouvement.

 

Shawn Fain, le président du UAW, lors d’un rallye de campagne. Fain est reconnu pour ses revendications ambitieuses et pour son style confrontationnel face au big three automobile américain. « UAW President Shawn Fain » prise par Informed Images est sous licence CC BY-NC 2.0 Deed.

2023: l’année des grèves

Avec la récente suite de grèves déclenchée par des syndicats importants: rédacteurs de la Guilde des Écrivains d’Amérique, acteurs du syndicat SAG-AFTRA, employés d’hôpitaux Kaiser Permanente -et encore, nous observons possiblement le retour de l’influence et du pouvoir des syndicats aux États-Unis compte tenu d’un climat politique relativement avantageux . En effet, le Conseil National des Relations du Travail, contrôlé par les démocrates, a pris des décisions productives aux syndicats dans les derniers mois. 

En août, les dirigeants du Conseil ont rétabli l’ancienne loi Joy Silk. Celle-ci oblige les employeurs à négocier avec les syndicats lorsque ces derniers représentent une majorité de leurs employés. Mais encore, les démocrates au pouvoir sont unis derrière Joe Biden, un président qui a basé sa plateforme électorale sur la promesse de réduire les inégalités socio-économiques aux États-Unis. Ce dernier a besoin du soutien de la classe moyenne américaine pour être réélu en 2024 et, pour s’assurer qu’il ait les meilleures chances de remporter l’élection, les démocrates se rangent derrière lui dans leurs décisions. Les syndicats veulent donc profiter de la dernière année au pouvoir de Biden avant l’élection présidentielle de 2024 pour obtenir des concessions de leurs employeurs. 

L’augmentation du nombre de grèves cette année s’explique également par la pénurie de main-d’œuvre généralisée aux États-Unis. En effet, cette pénurie rend le remplacement des employés difficile lorsqu’une grève est déclenchée. À ce titre, les syndicats sont dans une position de force relative, ce qui les incite à se mettre en grève et à faire des demandes plus ambitieuses dans leurs négociations contractuelles. 

Les années Reagan et le début de la fin pour les syndicats

Autrefois le symbole de force de la classe moyenne aux États-Unis, les syndicats ont perdu en importance depuis les années 1980. Ce déclin populaire est en partie attribuable à la doctrine économique de dérégulation du marché du travail et de promotion du néolibéralisme mis en place lors de la présidence de Ronald Reagan de 1981 à 1989. 

Les décisions de Reagan de réduire le financement de programmes sociaux comme la sécurité sociale (Social Security) et l’assurance fédérale aux familles à faible revenus (Medicaid) et de diminuer les taxes aux corporations et de révoquer certaines lois qui les encadraient ont eu pour effet d’augmenter le pouvoir des corporations sur leurs employés et de diminuer la capacité des employés à se regrouper pour réclamer de meilleures conditions de travail. Par conséquent, ces décisions de l’administration Reagan ont affaibli la classe moyenne américaine et renforcé la classe dirigeante commerciale américaine à la tête des grosses entreprises. Cette classe dirigeante a pris avantage de son nouveau pouvoir en affaiblissant les syndicats d’employés qui l’empêchaient de maximiser ses profits. Ainsi, le marché du travail américain a été presque irréversiblement façonné par cette doctrine et est resté essentiellement identique dans les décennies suivantes.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes: de 1967 à 1977, donc avant la présidence de Reagan, il y a eu en moyenne 332 arrêts de travail majeurs par année. De 1987 à 1996, donc en partie dans les dernières années de la présidence de Reagan et un peu après, le nombre d’arrêts de travail majeurs est tombé à 40 par année en moyenne. Dans les années suivantes, ce nombre n’a fait que décliner.

Ronald Reagan donne son ultimatum aux Professional Air Traffic Controllers le 3 août 1981. La présidence de Reagan est généralement acceptée comme étant le début du déclin des syndicats américains. « Le président Reagan fait une déclaration… » de Levan Ramishvili sous licence PDM 1.0 DEED

La grève PATCO et l’ultimatum Reaganien

Ce gros déclin est en partie attribuable au message clair lancé par Reagan aux syndicats et aux corporations américaines en août 1981. Le 3 août, 13,000 contrôleurs aériens fédéraux membres du Professional Air Traffic Controller Organization (PATCO) se mettent en grève pour obtenir une semaine de travail de 4 jours et de 32 heures ainsi qu’une augmentation de leur salaire annuel de $10,000. Ces contrôleurs aériens étaient des employés du secteur public et n’avaient donc pas le droit contractuellement de se mettre en grève. Reagan leur donna un ultimatum: s’ils ne retournaient pas travailler d’ici le 5 août, ils seraient tous mis à pied. Le 4 août, Reagan fit appel à 9,000 contrôleurs aériens militaires et à 2,000 contrôleurs aériens qui n’étaient pas en grève pour remplacer les membres du PATCO et minimiser l’impact de leur grève sur l’industrie aéronautique américaine. En une journée, Reagan avait donc complètement détruit leur pouvoir de négociation en leur montrant qu’ils étaient facilement remplaçables. Le 5 août, Reagan tenu promesse et les 11,345 contrôleurs aériens toujours en grève furent mis à pied et bannis à vie d’un emploi fédéral. Selon les historiens Joseph McCartin et Seth Ackerman, cette décision marque un profond changement de la culture américaine du travail. Ils affirment qu’avec cette décision venant du président des États-Unis, la plus haute forme d’autorité mondiale, les corporations américaines commencèrent à se sentir confortables à imiter le gouvernement américain en employant des briseurs de grève et en renvoyant leurs employés qui s’y mettaient. 

Les frustrations de la classe moyenne

Les grèves des derniers mois nous montrent que la classe moyenne américaine cherche aujourd’hui à rééquilibrer la relation de pouvoir employé-employeur qui, depuis la doctrine Reaganienne, est à l’avantage de l’employeur. Shawn Fain résume bien la situation en affirmant dans des vidéos en direct sur Facebook que la grève qu’il mène est le « combat de la classe moyenne contre la classe des milliardaires » et que son issue déterminera « le sort des travailleurs honnêtes américains ». On peut comprendre cette frustration populaire: un PDG moyen est payé 399 fois de plus qu’un travailleur typique en 2021. Le combat pour une répartition plus équitable de la richesse est définitivement lancé, reste à voir si la classe dirigeante va encore en sortir gagnante, ou si la grève du UAW marque un retour aux racines de l’Amérique comme pays où domine une classe moyenne puissante. 

En couverture: Des membres du PATCO en grève en 1958. Image du Kheel Center de l’Université Cornell sous licence CC BY 2.0 DEED

Édité par Adam Benzaari.