‘Impeachment’ aux États-Unis – une procédure fondamentale mais autodestructrice
Une analyse de la procédure de la mise en accusation par l'étude des cas de Donald Trump et de Bill Clinton.
Le 19 décembre 1998, le président américain démocrate de l’époque, Bill Clinton, était mis en accusation par la Chambre des représentants suite au scandale surnommé ‘Monicagate’: il est accusé de parjure et d’obstruction à la justice devant le grand jury à propos de sa relation sexuelle avec Monica Lewinsky, une ex-stagiaire de la Maison Blanche. 21 ans plus tard, le 18 décembre 2019, le président républicain Donald Trump fait face à la même procédure pour avoir abusé de son pouvoir en encourageant le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, à lancer une enquête sur le fils de Joe Biden, rival potentiel de Trump aux élections présidentielles de 2020. Toutefois, Clinton et Trump ont tous deux été acquittés au cours de la deuxième étape du procès de destitution au Sénat.
Si « l’impeachment » est une procédure constitutionnelle qui permet de protéger le peuple américain en destituant un chef d’État mettant en jeu leurs valeurs fondamentales démocratiques, comment se fait-il que les deux procédures enclenchées au cours de ces 21 dernières années aient abouti à un renforcement du statu-quo? Si la mise en accusation est souvent considérée comme l’un des ‘verrous’ de la démocratie américaine, elle s’est décrédibilisée à travers la mise en pratique de ces deux instances les plus récentes.
« Le président, le vice-président et tous les fonctionnaires civils des États-Unis seront destitués de leurs charges sur mise en accusation et condamnation pour trahison, corruption ou autres crimes et délits majeurs», peut-on lire dans le deuxième article de la Constitution américaine. Seuls ces 199 caractères ont été inscrits pour délimiter ce processus complexe. Trop brefs, ils laissent ainsi beaucoup de place à l’interprétation. Le débat se concentre alors sur à quel point les accusations mises en avant sont ‘impeachables’ plutôt que sur le danger qu’elles représentent pour la démocratie américaine.
Ainsi, plutôt que d’unir le peuple américain autour d’un même objectif commun de protection des valeurs fondamentales de leur démocratie, cette procédure est biaisée par la division partisane du pays jusqu’à en devenir une guerre des clans. Sa subjectivité est telle qu’elle peut être orchestrée de manière à classifier des actes de la sphère privée ‘immoraux’ comme ‘impeachable’, telle que l’infidélité de Clinton, ou au contraire à argumenter qu’un acte qui empiète sur les valeurs démocratiques est «mal» et «inapproprié» mais pas ‘impeachable’, telle que la tentative de Trump de ternir la réputation d’un ennemi politique par le biais d’une puissance extérieure. Il est important de noter qu’évidemment, la relation sexuelle extraconjugale de Clinton n’a pas elle même été l’objet de son accusation, mais elle a été instrumentalisée de sorte à le piéger dans une parjure.
La mise en accusation de la Chambre des représentants par un vote à la majorité simple permet seulement de reconnaître l’existence d’accusations sérieuses. La destitution passe, elle, par un vote au Sénat qui sert de tribunal. Reconnaître la culpabilité de l’accusé exige une majorité des deux tiers. De ce fait, la décision doit être en partie bipartisane.
À priori, ce système ne devrait pas poser de problèmes puisque si un haut fonctionnaire allait à l’encontre de l’intérêt public, la majorité des politiques américains devrait se sentir concernée et offusquée. Pourtant, l’hyper-polarisation de la vie politique américaine est responsable d’un environnement dans lequel règne la méfiance. Ce vote à la majorité qualifiée s’avère donc un couteau à double tranchant. Dans des situations comme celle de la mise en accusation de Trump où la majorité du Sénat est détenue par le même parti que le président, ce système conduit à une dynamique d’allégeance inconditionnelle à son parti. Les membres du Sénat peuvent choisir de ‘protéger’ leur parti en dépit des valeurs nationales. Une impression d’attaque personnelle remettant en cause leur choix de vote aux élections présidentielles peut renforcer ce schéma. Le sénateur républicain du Tennessee, Lamar Alexander, affirme que « certaines actions du président dans cette affaire étaient mauvaises et inappropriées », mais il décommande toutefois fermement la destitution. Il semblerait donc que dans le climat contemporain, le partisanisme est plus fort que l’attachement patriotique aux institutions.
Ces éléments rendent l’aboutissement d’une procédure de destitution très compliqué voire impossible. Or, un impeachment sans destitution a des répercussions assez nocives. Puisque la conséquence principale est l’approfondissement de la division partisane, un cycle vicieux est ainsi enclenché. En effet, plus la scène politique est divisée, plus la probabilité d’une procédure réussie et unie s’affaiblit, et ainsi plus la division se renforce. De plus, le président en place ressort souvent renforcé. En effet, Bill Clinton a obtenu ses meilleurs opinions favorables à la hauteur de 73% en 1999, juste après avoir été acquitté par le Sénat
Faut-il donc oublier cette procédure constitutionnelle dans un contexte partisan la rendant inefficace? Ne faut-il pas agir lorsque le président porte atteinte aux valeurs des États-Unis?
Le transcript de l’appel téléphonique entre les présidents Trump et Zelensky est accessible par le public et témoigne ouvertement de la culpabilité de Trump. En effet, il a cherché à faire intervenir une puissance extérieure dans les élections présidentielles de 2020. Par sa gravité, ce cas est de l’ordre du scandale ‘Watergate’ de Richard Nixon, où le candidat républicain avait collaboré avec des agents de la CIA et du FBI pour espionner son opposant démocrate lors des élections présidentielles de 1972. Il était dès lors impossible pour les démocrates de ne pas agir. De la même façon, il aurait été assez discordant que la Chambre des Représentants à majorité démocrate ne réagisse pas face aux actions de Trump.
Cependant, Nixon a lui réagit en démissionnant, alors que le contexte politique actuel a mené à l’acquittement de Trump. Celui-ci, qui était très prévisible puisque le Sénat est dominé par le parti républicain, aura des contrecoups non négligeables. Tout d’abord, par cet acquittement, le Sénat a établi implicitement que demander de l’aide à des pays étrangers pour atteindre le parti politique opposé était un acte acceptable. De plus, Trump ressortira plus fort après avoir consolidé sa majorité. Certains analystes, tels que Zachary Wolf, soutiennent même qu’avec cette issue, l’équilibre de la séparation des pouvoirs aux États-Unis est bouleversé, donnant bien plus de pouvoir à l’exécutif. Novembre approchant à grands pas, nous pouvons nous demander quelles seront les répercussions sur l’élection présidentielle.
Cette procédure fondamentale à la démocratie américaine ne peut-elle donc qu’avoir des répercussions à tendances antidémocratique?
Le 10 mars 2017, Park Geun-hye a été destituée de son rôle de présidente de Corée du Sud par la Court Constitutionnelle de Corée, suite au vote de sa mise en accusation en décembre 2016. D’après Robert E Kelly, le déroulement «sérieux et mature» de cette procédure est un exemple qui démontre qu’elle peut être utilisée a bon escient. «Toutes les démocraties ont des scandales – la question est de savoir comment les résoudre. La Corée du Sud vient de réaliser une performance modèle». Les États-Unis devraient peut-être donc se tourner vers d’autres pays plutôt pour apprendre à implémenter une procédure d’impeachment objective et crédible que pour intervenir illégitimement dans leurs procédures démocratiques…
Photo de Couverture: « Congress passed the procedures of the Impeachment » par le Bureau de Nancy Pelosi.