Istanbul, un signal d’espoir pour l’opposition turque

La défaite de trop pour Erdogan et son parti l'AKP

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De nouvelles élections municipales vont être tenues le 23 juin à Istanbul. Dénonçant des irrégularités dans les résultats, le premier scrutin est invalidé par le Haut Comité Électoral après une “requête extraordinaire” envoyée par le président Recep Tayyip Erdogan. Le candidat de l’opposition Ekrem Imamoglu avait remporté, de très peu, les élections de mars dernier. La victoire de l’opposition, ainsi que la décision d’organiser un nouveau scrutin, représentent un sérieux revers politique pour Erdogan. Qu’importe le résultat du prochain scrutin, le signal est fort : l’électorat de de l’AKP, le parti d’Erdogan, s’érode en faveur d’une opposition renouvelée.

La défaite de Binali Yildirim, candidat de l’AKP et “poulain” d’Erdogan, est en effet le signe d’une usure du pouvoir. Erdogan, à la tête du pays depuis 2000, ne semble pas prêt à confier le pouvoir à l’opposition. Ces dernières années, le régime turque s’est fortement éloigné de sa trajectoire démocratique en faveur d’un président toujours plus autoritaire. Après une tentative de coup d’Etat raté un juillet 2015, Erdogan a placé le pays sous un état d’urgence ponctué de purges contre les ennemis du régime, et a modifié la constitution pour étendre considérablement ses pouvoirs. Malgré une démocratie plus qu’imparfaite, les élections, à toutes les échelles, ne sont cependant pas sans enjeu en Turquie. En élisant le candidat de l’opposition, Istanbul a montré que rien n’est gagné d’avance pour Erdogan dans la bataille électorale.  

Istanbul a un poids politique, symbolique, et économique très fort pour le parti de la Justice et du développement (AKP). Elle a servi de tremplin à la montée au pouvoir d’Erdogan, maire de la ville de 1994 à 1998. L’honneur du président qui est donc aussi en jeu. Erdogan s’est d’ailleurs très fortement investi dans la campagne municipale, participant à des dizaines de meetings politiques. Plus qu’un symbole, Istanbul est aussi la capitale économique de la Turquie, représentant 30% de son PIB et presque un cinquième de sa population. La “locomotive du pays” est aussi très représentative de la diversité démographique de la Turquie et donne ainsi un échantillon représentatif de l’électorat national. Sa forte communauté Kurde, représentant entre 15 et 18% de la population de la ville, est notamment réputée pour son opposition à l’AKP.

Comme Erdogan l’a lui-même proclamé, “Remporter Istanbul, c’est remporter la Turquie”. Istanbul, comme aucune autre ville en Turquie, a le potentiel de créer un nouvel élan politique au niveau national, comme ce fut le cas pour Erdogan dans les années 1990.

Panneaux électoraux à Istanbul. Le président Erdogan, en premier plan sur le panneau du candidat de l’AKP, Binali Yildrim. This image is public domain.

Les élections municipales et le succès électoral d’Ekrem Imamoglu ont également permis à l’opposition, pourtant historiquement très fragmentée, de se solidifier. En cas de victoire comme de défaite le 23 juin prochain, la campagne électorale et les  résultats du premier scrutin ont été amplement bénéfiques pour l’opposition. Ekrem Imamoglu, presque inconnu du paysage politique avant les élections, a su apporter un souffle nouveau grâce à ses discours appelant au rassemblement et à l’unité face au gouvernement. Loin d’être découragé après l’annulation de sa victoire, le candidat redouble d’efforts pour mobiliser son électorat. Lors de son premier discours suivant l’annonce d’un nouveau scrutin, il prononce cette phrase très simple, qui deviendra son nouveau slogan  : “tout ira très bien” (“her sey çok güzel olacak”, en turc). Reprise des centaines de milliers de fois sur les réseaux sociaux, ce nouveau slogan improvisé illustre la grande détermination du candidat à gagner une deuxième fois ce scrutin clé.

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Son parti politique de centre-gauche,  le Parti républicain du peuple (CHP), est lui aussi très récent. Bien que son programme n’apporte rien de fondamentalement nouveau et demeure souvent assez flou, il a pour avantage  de pouvoir séduire les électeurs de tout bord politique, y compris les supporters de l’AKP. Rassembler l’opposition pour proposer une alternative crédible à Erdogan semble en effet être le mot d’ordre d’Imamoglu dans cette campagne pleine de rebondissements.

Panneaux célébrant la victoire d’Ekrem Imamoglu aux élections municipales d’Istanbul. Le candidat a par la suite dit se sentir trahi par la décision de l’autorité électoral d’annuler le scrutin. This image by MHIRM is licensed under CC BY-SA 3.0.

De plus, remporter les élections d’Istanbul est crucial pour Erdogan puisque sa légitimité repose en grande partie sur ses succès électoraux. Erdogan s’est souvent servi des élections pour réaffirmer sa popularité et détourner l’attention de l’évidente dérive autoritaire du régime. Depuis quelques années, le président organise chaque année des élections traduisant un réel besoin de se faire plébisciter.

Enfin, pour la première fois depuis 19 ans, l’économie turque connaît une forte baisse. La dévaluation de la lyre turque entraîne une forte inflation (25%), affectant significativement le pouvoir d’achat des ménages. Le chômage est également en forte hausse, il touche 27% des jeunes et 13% des jeunes diplômés. Une telle situation économique est une première pour l’AKP qui avait auparavant utilisé la carte de la croissance comme atout majeur. Si la classe moyenne, première victime de cette économie en berne, semble déjà se détacher de l’AKP dans les grandes villes, le phénomène pourrait rapidement gagner le reste du pays.

Néanmoins, le pouvoir d’Erdogan reste très ancré. L’hyper-président est toujours fortement soutenu par une fine majorité de la population et l’AKP demeure le premier parti du pays. Au fil de ses mandats, Erdogan a su mettre la main sur des institutions clés lui permettant de maintenir son pouvoir. Ainsi, il exerce notamment un très large contrôle sur les médias et les appareils de justice. La représentation médiatique des différentes campagnes électorales municipales était en effet fortement inégale, et ceci en faveur du parti d’Erdogan.

Même si la possibilité d’une alternance reste compliquée à imaginer aujourd’hui, l’élan stambouliote et l’étoile-montante Imamoglu sont porteurs d’espoir. Peu importe le résultats des urnes le 23 juin prochain, la victoire annulée de l’opposition marque d’ores et déjà un revers de pouvoir conséquent pour Erdogan.

 

Edited by Salome Moatti

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