La COP 26: une arène de gouvernance climatique traversée par les clivages Nord-Sud
Le 12 décembre 2015, 195 pays signaient l’Accord de Paris dans un élan d’enthousiasme, s’engageant à mettre en place des stratégies innovantes afin de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) et limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. Toutefois, le caractère non contraignant de l’entente a suscité de nombreuses critiques, dénonçant le manque de consistance de l’Accord de Paris.
En effet, afin de garantir la participation des pays les plus pollueurs, le traité de la COP 21 ne prévoit aucune sanction financière à l’encontre de ceux qui ne respecteraient pas leurs engagements. Les mécanismes incitatifs l’ayant emporté sur les mécanismes coercitifs, les architectes du traité ont mis la notion de transparence au cœur de leurs principes. Depuis 2015, chaque pays est soumis à l’obligation de rendre public tous les détails relatifs à sa politique de réduction de GES, afin que se crée spontanément une sorte de concurrence environnementale.
Néanmoins, on ne peut négliger le fait qu’une école exclusivement incitative est par définition permissive. Les nombreuses violations du traité de Paris attestent de l’inefficacité de ce système. Si les axes élémentaires du principe de transparence ont été définis lors de la COP 24 à Katowice, la mise en place d’institutions supra-nationales chargées de surveiller les compte-rendus émis par les États demeure nécessaire, et les critères d’évaluation de crédibilité sont encore à définir.
Globalement, le traité de la COP 21 a permis de concrétiser une vision politique environnementale sur le long terme, puisqu’à chaque demi-décennie les pays membres doivent revoir leurs objectifs à la hausse. Néanmoins, son efficacité en termes de contraintes est nulle, et sa capacité à créer une structure politique environnementale compétitive n’a pas encore fait ses preuves. Initialement prévue en 2020 et retardée d’un an en raison de la crise sanitaire, la COP 26 termine ainsi le premier cycle d’actions depuis les accords de Paris, et constitue le premier sommet où les politiques mises en place ont été examinées et évaluées.
Pourquoi la COP 26 était particulièrement attendue?
Le sixième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), publié le 7 août 2021, est plus qu’alarmant. Selon les scénarios des experts, les activités mondiales entraîneraient une hausse des températures de 2 degrés d’ici 2030, voire même de 4 degrés d’ici la fin du siècle. La nécessité de mettre en place des actions afin de limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré est incontestable, puisque au-delà de ce seuil, les catastrophes environnementales seront irréversibles. Selon Antonio Guterres, secrétaire général des Nations Unies, les émissions mondiales devront être réduites de 45% d’ici 2030. Pourtant, depuis leur création en 1995, aucune COP, ni même celle de Glasgow, n’a abouti aux engagements nécessaires pour atteindre cet objectif. Qu’il s’agisse d’un manque d’ambitions des pays membres, ou d’un manque de respect des engagements pris, la société civile, en particulier la jeunesse, a fini par douter du pouvoir de ces conférences. Néanmoins, si les prévisions faites par le GIEC montrent que la situation climatique est plus urgente que jamais, l’organisation stipule que le point de non-retour n’a pas encore été atteint. Toujours est-il que les experts sont clairs: des politiques draconiennes doivent être mises en place dès 2022 puisque “chaque fraction de degré compte”, insiste Guterres.
La responsabilité des pays du Nord en matière d’aide financière
Ainsi, quels ont été les désaccords qui ont conduit à des propositions en demi-teinte lors de la COP 26 ? Tout d’abord, les finances, en particulier l’aide financière des pays développés vers les pays en développement, ont été un point de friction majeur lors des négociations à Glasgow. Historiquement, les pays ayant débuté leurs industrialisations au moyen d’énergies fossiles depuis le 19ème siècle se regroupent principalement en Europe et en Amérique du Nord. Ces nations ont une dette morale envers les pays en développement auxquels on tente de restreindre l’accès à ces énergies fossiles et qui sont également plus sujets aux répercussions du changement climatique. En 2009, lors de la COP15 à Copenhague, les pays du Nord se sont engagés à verser chaque année plus de 100 milliards de dollars américains dès 2020 aux pays du Sud, afin de les accompagner dans leur transition énergétique. L’objectif est plus symbolique que pragmatique, puisque comme le souligne Christianna Figuere, la responsable climat de l’ONU à Glasgow, les conséquences du réchauffement climatique dans les pays du Sud seront largement plus onéreuses que ce que les pays du Nord sont prêts à débourser. Cet engagement, déjà insuffisant, n’a cependant pas été tenu, et la déclaration finale du pacte de Glasgow exhorte les pays à mobiliser cette somme urgemment et à l’augmenter dès 2025. Aucune sanction ni compensation liées à ce retard n’ont été appliquées, témoignant du manque de considération des pays du Nord quant à l’injustice dont les pays du Sud souffrent.
De plus, la demande des pays du Sud de mettre en place un mécanisme financier spécifique, responsable du financement des pertes et dommages produits par le dérèglement climatique a été refusée sous l’impulsion des États-Unis. Ces derniers, estimant qu’un tel mécanisme pourrait déboucher sur une explosion des demandes de compensations financières ainsi que des poursuites judiciaires, ont préféré protéger leurs propres intérêts.
Ces échecs, parmi tant d’autres, attestent d’un processus de bipolarisation des nations du monde en matière de justice climatique. Comme l’a souligné le représentant du Kenya à Glasgow, la confiance des pays du Sud a été une nouvelle fois brisée. Les pays du Sud se sentent aujourd’hui trahis et abusés et exigent des compensations à la hauteur de l’injustice climatique dont ils sont victimes. D’un autre côté, les pays du Nord, soucieux de s’épargner des dépenses supplémentaires, sont récalcitrants à l’idée d’un engagement consistant auprès des nations meurtries.
Un autre point essentiel des négociations a été les énergies fossiles dont la mention n’avait jamais paru dans une déclaration finale de COP. Ces énergies, responsables de 90% des émissions de GES, regroupent le pétrole, le gaz et le charbon – de loin l’énergie la plus polluante. Bien que le texte ait initialement adopté une mention audacieuse engageant les pays à abandonner le financement des énergies fossiles, cette formulation a été revue à la baisse sous la pression de certains pays comme l’Australie, l’Arabie Saoudite et les États-Unis. De plus, la mention concernant l’abandon programmé du charbon a été, dans les dernières minutes de la séance de clôture, amoindrie par l’Inde et la Chine, soucieux de s’engager seulement à une diminution progressive (alors qu’il était initialement mention d’abandon progressif). En prônant leurs droits à se développer, ils ont pointé du doigt l’injustice dont leurs populations seraient victimes, puisque ces énergies sont essentielles à leur développement et à l’augmentation du niveau de vie. L’argument selon lequel les pays industrialisés ne peuvent refuser aux pays en développement ce dont ils ont bénéficié pendant deux siècles était omniprésent pendant cette COP.
Une COP ratée?
Si les médias et les organisations luttant contre le réchauffement climatique ont tenu des propos alarmistes, dénonçant le manque d’efficacité de la COP 26, il n’en demeure pas moins que Glasgow a permis de réelles avancées en matière de collaboration internationale. De nouvelles ententes se sont officialisées en dehors du texte officiel lors de ce sommet. Deux d’entre elles se distinguent par leur caractère particulièrement prometteur.
Tout d’abord, une centaine de pays se sont engagés à enrayer la déforestation d’ici 2030. Cet accord est crucial dans la lutte contre le réchauffement climatique puisque les forêts constituent des puits carboniques, absorbant une partie importante des milliards de GES libérés dans l’atmosphère chaque année. Parmi les pays signataires se trouvent des pays ayant une couverture forestière significative tels que le Canada, le Congo, la Russie et les États-Unis. Le Brésil, critiqué pour sa politique environnementale depuis l’élection de Jair Bolsonaro, a aussi soutenu cette initiative en annonçant des objectifs ambitieux alors que la déforestation s’était largement accélérée ces dernières années. La Colombie, quant à elle, a décidé d’agir dès 2020 pour protéger 30% de son territoire forestier, a annoncé le président bolivien Ivan Duque.
L’alliance “Beyond Oil and Gas” (BOGA), dédiée à l’élimination progressive de production de pétrole et de gaz à travers le monde, est également encourageante. La France, le Danemark, le Costa Rica, l’Italie, l’Irlande, le Groenland, la Nouvelle-Zélande, le Pays de Galle, le Portugal, ainsi que le Québec et la Californie, ont adhéré à cette nouvelle entente faisant figure de cheffe de file dans ce domaine. En s’engageant à mettre fin aux nouvelles concessions et aux cycles d’octroi de licences, les pays signataires placent le sujet des énergies fossiles sur l’agenda international du climat, et ouvrent la voie vers un avenir neutre en carbone. Cette alliance ne compte cependant que des pays dont la production d’hydrocarbure reste marginale, et elle ne parviendra pas à atteindre des résultats satisfaisants sans la collaboration de pays producteurs de pétrole.
La question de la faisabilité de ces engagements demeure toutefois, et les nombreux échecs historiques en matière de politique environnementale ont suscité un profond scepticisme. En effet, la déclaration du nouvel engagement contre la déforestation n’est pas sans rappeler l’échec de la “Déclaration de New York sur les forêts” en 2014, où de nombreux pays s’étaient engagés à diviser par deux la déforestation en 2020 – objectif largement manqué puisque la déforestation a continué à augmenter dans les dernières années.
La sincérité de l’engagement de ces États est sans cesse remise en cause puisque, comme le dénonce Greta Thunberg, les « promesses creuses » tenues par les dirigeants des nations du monde ont jusqu’à présent donné lieu à une politique environnementale superficielle, n’étant pas à la mesure de la gravité de la situation.
Si les initiatives prises lors de ce sommet sont largement insuffisantes, il semblerait que la COP 26 ait mis en lumière l’avenir de la politique environnementale. La dette morale des pays du Nord envers les pays du Sud, et le droit des pays à se développer vont façonner les relations internationales des prochaines décennies. La création de nouvelles alliances aux objectifs ambitieux laisse penser que l’avenir de la politique environnementale se jouera davantage au niveau d’alliances inter-étatiques plutôt qu’au niveau international. Les pays du G20, ayant déjà pu s’industrialiser, sont alors particulièrement concernés, et des actions concrètes de leurs parts seront particulièrement attendues.
En couverture: Photo officielle de « religion et science vers la COP 26 », émise par The British Assembly Holly See, sous licence CC BY-NC 2.0.
Edité par Driss Zeghari