La décolonisation autochtone en milieu littéraire québécois
Le vendredi 30 septembre a été un jour de commémoration pour l’ensemble du Canada, alors que le port d’habits orange a été remarqué chez plusieurs Canadiens pour qui la charge historique de la couleur importe toujours. Au Québec, la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation marque la reconnaissance envers les populations autochtones qui ont été mises sous silence par l’entremise d’une oppression institutionnalisée, entre autres à travers les pensionnats, dont la mise en place accultura les milliers d’enfants autochtones qui furent contraints d’y aller. Au XXIe siècle, la place des littératures autochtones dans le milieu littéraire québécois n’a cessé de prendre de l’ampleur, alors que des auteurs autochtones engagés prennent parole par rapport à leur place dans une Amérique qui longtemps leur a été hostile. Par le biais des littératures décoloniales, un processus émancipatoire a lieu, ouvrant la brèche à un ré-enracinement identitaire et à une potentielle réconciliation entre dominant et dominé.
Aux XVIe et XVIIe siècles, la France envoie ses missionnaires catholiques en Nouvelle-France, des émissaires dont la mission « civilisatrice » sera de guider un peuple « sous-développé » pour tenter de l’instruire. Tout d’abord, cette nouvelle éducation passe par un désir de conversion et de rééducation des enfants autochtones. En 1642, Marie de l’Incarnation est la fondatrice de l’Ordre de Saint-Ursule, amorçant successivement la construction d’autres institutions religieuses dont le but sera de « tuer l’Indien dans l’enfant ». Sans compter les nombreuses violences physiques et sexuelles infligées aux Autochtones, cette institutionnalisation de l’assimilation culturelle a – pendant des siècles – engendré une forme d’amnésie culturelle chez les peuples autochtones, notamment par les récits de voyages de colonisateurs dont les opinions préconçues ont taché l’imaginaire collectif et littéraire de l’Amérique.
En 1976, An Antane Kapesh publie son roman Je suis une maudite Sauvagesse et devient la première femme autochtone à publier un livre en français au Canada. Le roman, dénonçant le déracinement identitaire de l’auteure par le gouvernement blanc, ouvre les portes à une forme de littérature qui croîtra au XXIe siècle. De nos jours, une émergence des littératures décoloniales dans le milieu littéraire québécois est de plus en plus remarquée. Les œuvres autochtones trouvent leur place à travers les grands genres littéraires. Parmi plusieurs écrivains engagés se trouvent Louis-Karl Picard-Sioui, romancier wendat; Marie-André Gill et Joséphine Bacon, poètes innues; Daniel David Moses, dramaturge d’Ohsweken et dont les pièces ont contribué à briser les images stéréotypées portées envers les Autochtones; et Natasha Kanapé-Fontaine, romancière et essayiste innue. Un essai de cette dernière, intitulé Conversation sur le racisme et coécrit avec Deni Ellis Béchard, dénonce en partie le décès de Joyce Echaquan – une femme atikamekw – en raison des traitements discriminatoires qu’elle a subis par les infirmières de l’hôpital de Joliette.
Le cas de Joyce Echaquan a ravivé une colère au sein de plusieurs communautés autochtones, qui ont reconnu dans le traitement d’Echaquan une non-reconnaissance de leur identité et une oppression qui transparaît depuis plusieurs centaines d’années. La littérature engagée de Kanapé-Fontaine a contribué à la dénonciation d’un système dont les pratiques discriminatoires ont – comme autrefois – été légitimées. La notion de la décolonisation littéraire suppose une réappropriation identitaire qui passe avant tout par la reconnaissance de l’histoire des Autochtones et des torts que le colonisateur blanc leur a infligés. Grâce à une croissance des littératures décoloniales, une « décolonis[ation] de l’enseignement supérieur » se fait voir. La création d’un microprogramme en études autochtones par l’Université de Sherbrooke, d’une mineure en ces mêmes études par l’Université de Montréal et de l’école d’été « Witamawi » par l’Université du Québec à Montréal visent à décoloniser non seulement les Autochtones, mais les mentalités collectives québécoises en promouvant un enseignement culturel dépourvu d’eurocentrisme, c’est-à-dire de tout discours faux ou biaisé qui, influencé par un stéréotype véhiculé par l’Europe, parlerait à la place des minorités autochtones.
Si le milieu de l’édition laisse davantage de place aux auteurs autochtones, celui-ci n’échappe pas aux enjeux littéraires qui s’articulent autour du métier d’écrivain : un écrivain blanc peut-il écrire sur un protagoniste autochtone sans se faire accuser d’appropriation culturelle? Par ailleurs, l’en empêcher ne revient-il pas à une forme de discrimination positive et de censure? Une réglementation au sein des maisons d’édition doit-elle avoir lieu pour établir les paramètres de ce qui fait d’un texte un texte « publiable », dans la mesure où le manuscrit soumis proviendrait d’un auteur blanc? Ces questions demeurent sensibles, présentant d’une part la volonté d’écrire en toute liberté d’expression, et, d’autre part, le désir de raconter sa propre histoire à travers sa propre voix : la plus authentique.
La force de la littérature se trouve dans sa manière de poétiser un événement pour rappeler son existence. Cet événement, ce morceau historique, est gardé en mouvement à travers les siècles. Sa perpétuation offre une image de ceux qui nous ont précédés et empêche leur effacement. C’est ainsi que les littératures autochtones ont, de par une voix engagée, cherché à rappeler le génocide culturel duquel leurs proches ont été victimes. La Journée nationale de la vérité et de la réconciliation constitue un premier pas vers la reconnaissance des séquelles intergénérationnelles que subissent toujours les Autochtones. Ce sont la commémoration, la résistance, l’action qui mènent à la décolonisation à la fois autochtone et occidentale, et par laquelle une voix est enfin donnée aux disparus.
En couverture : « National Day for Truth and Reconciliation » par Mike Gifford sous licence CC BY-NC 2.0.
Édité par Thierry Prud’homme