La démocratie américaine à bout de souffle
« Peu m’importe qui vote durant l’élection tant que je peux désigner les candidats. » Phrase emblématique prononcée par William Tweed, sénateur démocrate du 19e siècle. Bien que les États-Unis prônent les valeurs démocratiques, leur système est réellement dirigé, dans les coulisses, par des oligarques.
Le système démocratique américain fonctionne en deux étapes. La primaire, où le but est de désigner quel candidat sera le représentant de chaque parti politique. Puis la générale durant laquelle la population élira son futur président parmi le candidat de chaque parti. Le processus, à première vue, semble parfaitement démocratique : que ce soit pour la primaire ou la générale, le pouvoir décisionnel ne revient qu’au peuple. Le problème survient dans le financement des campagnes électorales. En réalité, seule une riche minorité américaine désigne les représentants de chaque parti. Par ailleurs, les problèmes monétaires inhibent l’inclusion de partis indépendants puisque ces derniers sont incapables de compétitionner financièrement.
Certaines organisations estiment que le coût total des élections de 2016 était de 6.5 milliards$. Il serait puéril de prétendre que cette somme colossale provienne d’un don de 20$ de la part de chacun des 327 millions de citoyens américains. Vraisemblablement, les fonds proviennent de corporations, de groupes d’intérêts spéciaux et de l’élite du pays. En 2010, 48% des fonds des candidats au congrès provenaient de larges contributions individuelles (plus grandes que 200$) et 23% provenaient des PACs (Political Action Committee) : des organisations sponsorisées par des corporations dont le but est de supporter financièrement certains candidats. Ultimement, seulement 13% des fonds amassés provenaient de petits dons individuels. De plus, pour la course à la présidentielle de 2020, 82% des dons récoltés par les Super PACs provenaient uniquement des 100 plus grands donateurs.
Bien qu’elle semble illégitime, l’influence disproportionnée que possède cette infime partie de la population est parfaitement légale. En effet, le système législatif américain considère les dons comme une forme de parole, les limiter reviendrait à enfreindre le premier article de la constitution qui protège la liberté d’expression. Cette influence monétaire en politique est ancrée dans la politique américaine et trouve ses racines au niveau de la Cour suprême . En effet, en 1976, dans le cas Buckley v. Valeo, la Cour suprême a jugé qu’il était inconstitutionnel d’instaurer des restrictions sur des contributions hors compagne permettant donc à des individus et à des groupes de financer un nombre illimité de publicité visant à supporter leur candidat ou à saper l’opposition. Le pouvoir octroyé à cette influence monétaire a par la suite été renforcé en 2010, dans le fameux cas Citizens United v. Federal Election Commission lorsque la Cour suprême a statué qu’il était parfaitement légal qu’une compagnie ou un individu puisse donner une somme illimitée d’argent à un Super PAC. Ce dernier peut ensuite financer les campagnes électorales des candidats qu’il appuie.
Ainsi, afin même de pouvoir avoir une chance de représenter son parti dans le cadre de l’élection générale, le candidat se doit de satisfaire les demandes d’une infime partie de la population. Lawrence Lessig, professeur de droit à Harvard, estime que seuls les individus donnant la contribution maximale à un candidat détiennent un véritable pouvoir électoral. Ces derniers représentaient 0.08% de la population, en 2016, soit 141 767 citoyens. Le professeur exprime donc que « c’est comme si seuls les 150,000 Lester des États-Unis avaient le droit de sélectionner le candidat de chaque parti. »
Ce cadre permet à une minorité d’empoigner la structure électorale, asphyxiant ainsi le système démocratique américain. Effectivement, une étude menée par l’université Princeton a conclu que l’adoption d’une loi n’avait aucune corrélation avec la taille de l’appui de la population. Ainsi, les législateurs ne se préoccupent pas de connaître la position des voteurs
sur les diverses propositions de loi. En contrepartie, cette même recherche a démontré que l’avis de l’élite américaine et des groupes d’intérêts spéciaux sont particulièrement pris en compte. Une forte corrélation existe entre l’opinion de l’élite et les chances qu’une proposition de loi passe.
Cette disparité d’influence est due au fait que les candidats à la présidentielle ou à un siège au Sénat ou à la Chambre des représentants ont besoin d’un support monétaire substantiel afin d’avoir même une chance de se faire élire. Ces derniers doivent donc adhérer à la vision politique, économique et culturelle de ceux qui peuvent les financer. En somme, celui ou celle qui se présente en voulant représenter l’opinion des citoyens ordinaires sera incapable de participer à la course.
Le système politique américain semble donc être une ploutocratie dissimulée derrière un voile d’ignorance démocratique. Cette structure politique est à l’opposé de la vision qu’avaient les pères fondateurs américains pour leur pays. Effectivement, dans l’essai Fédéraliste numéro 52 Alexander Hamilton et James Madison, expriment leur conception de la démocratie. Pour eux, «le congrès […] est la branche du gouvernement fédérale qui dépend seulement du peuple. » Vraisemblablement, cette image d’une société égalitaire où le pouvoir est réparti équitablement à été troublé par un brouillard monétaire. Cependant, les conséquences d’un tel système sont flagrantes. Bien que des sondages estiment un appui de 70% pour le programme d’assurance-maladie pour tous, aucune réforme n’a été entreprise par le gouvernement. De plus, 64% des américains supportent l’initiative d’avoir de plus sévères lois sur le port d’armes, mais l’administration reste encore muette.
Néanmoins, une nouvelle vague progressiste déferle sur la politique américaine. En effet, la démocrate Nancy Pelosi, Présidente de la Chambre des représentants, a récemment proposé un nouveau projet de lois, « H.R. 1», qui a pour but de financer en partie publiquement les campagnes électorales. Cette proposition obligerait également les Super PACs à divulguer l’identité de leurs donateurs. Malheureusement, le projet a été étouffé par le Sénat, majoritairement républicain. La course à la candidature du parti démocrate apporte également un second souffle au mouvement anti-corruption. Avec un candidat comme Bernie Sanders financé à 58% respectivement par de petits dons individuels. Par ailleurs, Sanders, le sénateur du Vermont, a même déclaré qu’il ne prendrait aucun don venant de milliardaires et a précisé qu’il n’était supporté par aucun Super PAC. La prochaine élection pourrait être un point tournant pour les Américains : ils ont l’opportunité d’arracher le pouvoir des mains des corporations et d’ainsi permettre à leur démocratie de respirer librement.
Photo de couverture: Par Veronica sous licence CC BY-SA 2.0