La France restitue 26 trésors royaux pillés au Bénin un siècle et demi plus tôt
« La France ne pouvait pas rester passive devant le fait que 95 % du patrimoine africain se situerait en dehors de l’Afrique », affirmait Emmanuel Macron à l’occasion de la cérémonie de restitution de 26 œuvres à la République du Bénin. Ce 27 octobre dernier, le président s’est en effet exprimé au musée du Quai Branly dans le cadre de l’exposition spéciale « BÉNIN, la restitution de 26 œuvres des trésors royaux d’Abomey. » Cet événement s’inscrit dans l’engagement plus large de la France de restituer progressivement à l’Afrique, au cours des 5 prochaines années, son patrimoine culturel.
Exposées en France depuis près de 130 ans, les œuvres sélectionnées à l’occasion de cette restitution faisaient partie, à l’origine, du trésor royal de Béhanzin: le dernier roi de la dynastie d’Abomey. Régnant sur le royaume de Dahomey, situé dans ce qui constitue actuellement le sud du Bénin, Béhanzin entre en conflit puis en guerre avec la France entre 1890 et 1894. En novembre 1892, les troupes coloniales françaises du général Dodds débarquent à Abomey, la capitale du royaume de Dahomey, et s’emparent du palais de la ville. L’armée française pille le palais, et emporte avec elle statues, trônes, objets de mobilier et autres trésors royaux béninois en guise de trophées de guerre.
À son retour en France, le général Dodds fait cadeau de 26 de ces œuvres au musée d’Ethnographie du Trocadéro où elles sont immédiatement exposées en 1893, puis à nouveau en 1895. Après une halte au musée de l’Homme en 1937, elles sont ensuite transférées au musée du Quai Branly-Jacques Chirac dès son ouverture en 2006 — où l’espace dédié au royaume du Dahomey sera élargi en 2012.
Depuis leur arrivée au musée du Quai Branly, ces statues faisaient partie des collections permanentes de la section réservée à l’Afrique. Du 26 au 31 octobre derniers, une semaine d’évènements liés à ces trésors artistiques et culturels béninois a laissé l’occasion aux Français de les admirer une dernière fois. Emmanuel Macron s’est lui-même rendu au musée du Quai Branly pour rendre un dernier hommage à ces œuvres avant leur retour dans leur pays d’origine. Le 9 novembre 2021 a eu lieu la signature du transfert de propriété à l’Elysée par les présidents Emmanuel Macron et Patrice Talon.
Lors de son discours au musée du Quai Branly, Emmanuel Macron a déclaré que cette restitution matérialisait « l’aboutissement d’un travail qui vient de loin», afin de permettre au peuple béninois de retrouver ces éléments symboliques de leur patrimoine historique, réclamés depuis de nombreuses années.
Lorsqu’en 2016 les autorités béninoises émettent la demande formelle de cette restitution, celle-ci est dans un premier temps refusée par la France, au nom du principe d’inaliénabilité. Il établit, selon la loi n° 2002-5 que « les biens constituant les collections des musées de France appartenant à une personne publique font partie de leur domaine public et sont, à ce titre, inaliénables. » Le principe d’inaliénabilité du domaine public, qui existe depuis l’Ancien Régime, s’applique en particulier aux collections des musées publics.
Toutefois, un an plus tard et lors de sa visite au Burkina Faso en novembre 2017, Emmanuel Macron s’engage devant les étudiants de l’université de Ouagadougou à entreprendre des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain présent en France, au cours des 5 prochaines années — une promesse tenue et initiée par la restitution d’une partie du patrimoine culturel béninois. Lors de ce discours, le président de la République française laisse paraitre sa volonté de placer la culture au cœur du renouvellement des relations Afrique-France.
En 2017, le président de la République française commande alors à l’historienne Bénédicte Savoy et au professeur et écrivain Felwine Sarr un rapport sur la restitution du patrimoine africain. Remis en novembre 2018, le Rapport Sarr-Savoy affirme que sur les 90 000 œuvres d’art du musée du Quai Branly provenant de l’Afrique, environ 70 % seraient arrivées en France entre 1885 et 1960 – une période correspondant presque sans surprise à celle de la colonisation française sur le continent. Les deux auteurs estiment par ailleurs que le processus de restitution exige « une clarté totale sur les contextes historiques et scientifiques à la faveur desquels les objets sont arrivés dans les collections qui les conservent aujourd’hui. »
C’est ainsi que, grâce aux recherches parallèles menées par les équipes du musée du Quai Branly depuis plusieurs années, les 26 œuvres prochainement restituées ont été identifiées comme ayant été pillées par les troupes coloniales françaises. Comme l’explique l’une des conservatrices du musée, Gaëlle Beaujean, « l’État français n’a jamais demandé de butin de guerre dans ce conflit, donc la prise des objets s’est faite de façon privée/personnelle. »
Seulement, pour permettre la restitution de ces trophées de guerre, une seule solution est envisageable : une dérogation à la loi. Demandée par Emmanuel Macron, la proposition de texte de loi est votée par l’Assemblée Nationale le 17 décembre 2020, puis définitivement promulguée par le président le 24 décembre, permettant officiellement de restituer plusieurs œuvres d’art conservées au musée du Quai Branly‑Jacques Chirac.
Marquant un véritable tournant dans les relations entre la France et l’Afrique, cette dérogation à la loi amène néanmoins à s’interroger sur la pertinence du principe d’inaliénabilité en France. En raison de ce principe s’appliquant aux collections des musées français, les processus de restitutions sont soumis à des délais importants, et nécessitent de nombreuses démarches juridiques de la part du gouvernement français. De ce fait, bien qu’elles représentent une avancée très symbolique pour les relations franco-africaines, les oeuvres restituées par la France semblent prendre la forme de faveurs aux pays d’Afrique. Or, elles représentent en réalité des retours attendus depuis de longues années par leurs pays d’origine. Ainsi, alors que 90 à 95 % du patrimoine africain se trouve à l’extérieur du continent dans les grands musées occidentaux, le principe d’inaliénabilité reste un frein à son active restitution.
Lors de son discours au Quai Branly le 27 octobre dernier, Emmanuel Macron a mis en avant sa volonté de redonner à la jeunesse africaine une partie de son patrimoine. Il souhaite lui permettre de se réapproprier son histoire et de « mieux bâtir son futur ». Cependant, la dimension politique de cet engagement est également fondamentale.
Grâce à cette restitution, le président de la République française vise à établir un programme de coopération beaucoup plus large. Il souhaite renforcer les liens entre la France et l’Afrique, créer de « nouvelles opportunités d’échanges, de rencontres, de projets » — des opportunités qui ont vu le jour dès le début du processus de restitution, avec la coopération scientifique entre professionnels béninois et français lors des recherches menées dans le cadre du rapport Sarr-Savoy.
Lorsqu’en 2013 le Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN) lance une campagne pour la restitution des trésors pillés pendant la colonisation, Macron, refusant d’être comptable des erreurs de ses prédécesseurs en matière de politique africaine, voit dans cette demande une véritable opportunité de donner un nouveau souffle à ses relations avec l’Afrique.
C’est ainsi qu’en 2017 il prend cet engagement de restitution au cours des 5 prochaines années. Cependant, pour les pays africains concernés, ces restitutions peuvent représenter une lourde responsabilité : celle de mettre en place des politiques muséales adaptées à l’exposition, la conservation et la protection des œuvres restituées. C’est pour cette raison que, « le continent n’a, en outre, pas manifesté un enthousiasme débordant pour l’initiative française, à l’exception des milieux artistiques déjà motivés », explique le journaliste et écrivain Pascal Airault dans son dernier livre Le piège africain de Macron. Face à cette réticence, le chef d’État français s’est alors engagé à financer et accompagner une partie de ces processus dans les musées africains, espérant de cette manière « lutter contre la propension au révisionnisme de certains de ses détracteurs. » Toutefois, les Français peinent à s’accorder sur la question du financement de ces processus, et sur la sélection des œuvres à restituer jetant ainsi les bases de débats permanents dans la société.
Au-delà de leur aspect symbolique, ces restitutions relèvent d’une dimension politique fondamentale pour la France, plaçant la culture comme un véritable vecteur de renouveau des relations Afrique-France. Récemment, l’Allemagne et la Belgique se sont, à leur tour, engagées à restituer des œuvres d’art africaines – étendant cette coopération culturelle à l’échelle de l’Europe.
Édité par Lucille Tatti.
Photo de couverture: photo des statues du palais royal d’Abomey (musée du quai Branly – Jacques Chirac, Paris), prise par Jean-Pierre Dalbéra, sous licence CC BY-NC 2.0.