La Guerre Froide 2.0? Nouveaux Acteurs, Défis de la Démondialisation, et Multipolarité en Vue
L’éventualité d’une nouvelle Guerre Froide pèse sur le paysage international, et cette question cruciale était au cœur d’une table ronde récente organisée à l’Université McGill, réunissant des professeurs, étudiants avec des diplomates éminents du Canada et de l’Europe. La conférence, présentée par TV Paul, directeur du Réseau de Recherche Mondiale sur le Changement Pacifique, a exploré les implications potentielles d’une nouvelle Guerre Froide pour l’ordre régional. Cet article résume les points clés discutés lors de la table ronde, notamment l’émergence de nouvelles puissances, l’évolution des alliances, la multipolarité globale, l’interdépendance économique, la démondialisation, et le rôle des individus influents en tant que nouvelles grandes puissances.
Nouveaux blocs géopolitiques
Il est essentiel de noter que la montée en puissance de grandes nations, telles que la Chine, l’Inde et le Brésil, a captivé l’attention de la table ronde. Cette ascension vers un statut de puissance majeure, en tant que signe d’une transition vers un monde multipolaire radicalement différent du schéma traditionnel d’alliances. Cette tendance a été soulignée lors du dernier sommet des pays BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) en juin 2022, où les présidents chinois et russe ont plaidé en faveur de l’expansion du groupe BRICS en BRICS+. Pas moins de quarante pays ont exprimé leur intérêt pour l’adhésion, et dès janvier, l’Iran, l’Argentine, l’Égypte, l’Éthiopie, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis rejoindront ce groupe élargi. Cette démarche vise à contrer la prépondérance occidentale et à faire face à l’aggravation des rivalités avec les États-Unis, incitant la Chine à maintenir la Russie à ses côtés.
La complexité croissante du paysage international offre un terrain fertile à l’incertitude et suggère les prémices d’une nouvelle Guerre Froide. Cependant, cette multipolarité s’éloigne du modèle traditionnel d’alliances qui caractérisait la Guerre Froide.
Les premiers signes de « démondialisation »
Paradoxalement, en dépit de l’interdépendance économique croissante et de la mondialisation, les prémices d’une tendance marquée vers la démondialisation se font ressentir, souvent dictées par des divergences idéologiques. Cette fragmentation du système commercial mondial a été récemment mise en lumière dans l’édition 2023 du rapport sur le commerce international de l’Organisation mondiale du commerce, qui exprime des inquiétudes quant aux effets de ce phénomène sur la croissance et le développement. L’OMC préconise la « remodialisation » du commerce international afin de favoriser la sécurité, l’inclusion et la durabilité environnementale. Tout d’abord, la crise financière mondiale de 2008-2009 a eu pour conséquence une expansion du commerce international marquée par une certaine stagnation, que l’on qualifie souvent de « slowbalisation ». La pandémie de la COVID-19 a accentué la tendance à la démondialisation, avec des mesures de confinement et une économie en crise, portant ainsi un coup sévère aux chaînes d’approvisionnement. La pandémie de la COVID-19 a accentué la tendance à la démondialisation, avec des mesures de confinement et une économie en crise, portant ainsi un coup sévère aux chaînes d’approvisionnement.Aujourd’hui, les tensions géopolitiques commencent à avoir un impact sur les flux commerciaux, en particulier depuis la guerre en Ukraine, qui a renforcé l’idée de démondialisation, créant une division entre deux blocs géopolitiques mondiaux et jetant les bases de la refondation de nouveaux blocs. Cela crée un ordre mondial complexe, marqué par l’émergence de nouvelles puissances, le distinguant ainsi de la Guerre Froide du XXe siècle, et accentuant la nature hybride des enjeux mondiaux.
En parallèle, les intervenants ont souligné la crise institutionnelle à l’échelle mondiale, qui s’accompagne d’un profond déclin de la confiance en la diplomatie. Les Nations Unies, en déclin et réticentes à changer en raison de leur structure actuelle, sont de plus en plus confrontées à des défis, tandis que de nouvelles institutions régionales émergent, telles que l’ASEAN et les BRICS. Ainsi, les chances d’accord sur des innovations institutionnelles majeures sont limitées. De plus, l’ordre mondial montre des signes de fragilité et de réorganisation fondamentale, avec un futur système multilatéral affaibli par l’accent accru sur la souveraineté nationale, les politiques identitaires, la fragmentation de l’économie mondiale et la montée du protectionnisme.
Individus et puissance: Comment Elon Musk redéfinit l’équilibre mondial
Un autre élément soulevé par l’intervenant Michael Byers a été l’exploration du rôle des personnalités influentes telles qu’Elon Musk, questionnant son rôle de grande puissance émergente. Cette discussion a mis en avant l’influence et les capacités d’Elon Musk dans le domaine de l’exploration spatiale, notamment à travers SpaceX, ainsi que les implications de cette influence sur la sécurité nationale. Cette réflexion a mis en évidence la possibilité pour des individus tels qu’Elon Musk de remettre en question le système centré sur les États, indiquant une évolution plus large des dynamiques mondiales.
Réflexion personnelle : Sur la perspective d’une nouvelle Guerre Froide
Si l’on considère la Guerre froide comme un modèle à somme nulle où le reste du monde est contraint de prendre parti, nous constatons aujourd’hui une montée en puissance de deux blocs de grandes puissances, chacun cherchant à exercer une hégémonie mondiale, générant des tensions et des risques. Les événements liés à l’invasion de l’Ukraine illustrent le danger des relations triangulaires entre les États-Unis, la Chine et la Russie.
Cette fois-ci, la Chine et la Russie (qui entretiennent également des liens avec des pays d’Afrique, d’Amérique latine et du Moyen-Orient) s’opposent à une coalition dirigée par les États-Unis, composée de pays européens et de l’OTAN, ainsi que d’alliés indo-pacifiques tels que le Japon, la Corée du Sud et l’Australie. La guerre commerciale et technologique en cours entre les États-Unis et la Chine, les relations diplomatiques en dégradation, et les affrontements entre les deux superpuissances dans tous les domaines, des semi-conducteurs aux sous-marins, en passant par les blockbusters cinématographiques et l’exploration lunaire, suggèrent que le temps ne favorise pas la détente.
Une Guerre Froide au milieu du XXIe siècle serait très différente de celle du XXe siècle. Alors que cette dernière opposait principalement deux superpuissances et leurs blocs militaires, le paysage actuel est bien plus complexe, avec trois puissances majeures émergentes, voire davantage, en raison de la montée d’autres acteurs puissants. De plus, la taille de l’économie chinoise et l’interdépendance croissante entre la Chine et les États-Unis, met fin à l’avantage considérable dont jouissait les États Unis pendant la Guerre Froide précédente.
Cependant, la tendance croissante vers un monde multipolaire, marquée par une montée de l’aspiration à la non-alignement remet en question la possibilité d’une guerre froide. Bien que l’opposition binaire se dessine, la réaction de la plupart des pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine à l’attaque russe en Ukraine suggère un profond malaise à l’idée de devoir choisir un camp. Un nouveau mouvement de non-alignement semble émerger, ressemblant au celui des années 1960, dirigé par des pays du Sud. Cela suggère que le paysage international actuel, polarisé en camps concurrents, connaît une complexification croissante, ce qui pourrait potentiellement empêcher l’émergence d’une nouvelle guerre froide.
Dans l’ensemble, bien que la situation soit plus hybride et ne constitue pas une répétition directe de la Guerre froide, divers indicateurs laissent entendre que le monde entre dans une nouvelle phase marquée par des rivalités, la multipolarité et des dynamiques régionales qui présentent certaines similitudes avec les dynamiques de la Guerre froide.
Édité par Joseph Abounohra.
En couverture: Vladimir Putin et Xi Jinping aux Jeux Olympiques d’Hiver 2022. «Vladimir Putin met with Xi Jinping in advance of 2022 Beijing Winter Olympics ». Photo prise par le Bureau exécutif présidentiel de la Russie sous licence CC BY 4.0.