La résurgence des camps de concentration en Russie
Malgré l’image libérale que la Russie tient à faire croire depuis le démantèlement de l’URSS en 1991, les nombreuses instances où le gouvernement russe persécuta des minorités remettent en question son statut démocratique. Le traitement infligé à la communauté LGBTQ est l’un des exemples les plus flagrants de la répression exercée par le gouvernement de Poutine. Récemment, un événement a provoqué énormément de controverse: le 1er Avril 2017, une journaliste russe de la Noyata Gazeta, revue indépendante, expose un plan de répression mené en Tchétchénie contre les homosexuels. Il y aurait des camps de concentration construits pour ‘héberger’ la communauté LGBTQ.
Cette affaire a été suivie par de nombreuses ONG, telles que Human Rights Watch et Amnesty Internationale, pour finalement attirer l’attention des gouvernements européens et Nord-américains. En pleine campagne présidentielle française, les candidats sont allés sur les réseaux sociaux pour témoigner leur indignation – à l’exception de Marine le Pen, politicienne de l’extrême droite française. Angela Merkel, Boris Johnson, Jean-Yves le Drian et de nombreux autres politiciens ont aussi publiquement dénoncé ces faits. A la suite de l’interpellation de la chancelière allemande, Vladimir Poutine intervient le 6 mai 2017, affirmant qu’une enquête sera menée, mais son porte-parole rapporte les résultats de cette enquête et explique qu’il n’y a aucune preuve que de tels camps existent. Cependant, Human Rights Watch déclare que les crimes commis par les autorités tchétchènes envers la communauté LGBTQ persistent encore de nos jours.
Comparée au reste de la Russie, la Tchétchénie souffre tout particulièrement des violations des droits de l’Homme commises par le gouvernement russe. Après la création de la démocratie russe en 1991, la faiblesse du nouveau gouvernement a permis à la Tchétchénie de revendiquer son indépendance. Malheureusement, cela était hors-de-question pour la Russie, qui a mené deux guerres successives entre 1994 et 2000 contre les rebelles tchétchènes, massacrant de nombreux villages innocents dans le but de détruire tout espoir. La Tchétchénie est aujourd’hui officiellement une république constitutive de la fédération russe (ayant donc une certaine liberté sur sa gouvernance), mais Ramzan Kadyrov, le président tchétchène élu en 2007, fait partie du cercle de Vladimir Poutine.
Élu de façon très suspicieuse alors qu’il n’avait que 31 ans, de nombreuses ONG, incluant Human Rights Watch, l’accusent de mener une dictature extrêmement violente sans aucune répercussion de la Russie : il sert de marionnette à Poutine pour que ce dernier ne se fasse pas accuser de violations des droits de l’Homme. Les autorités tchétchènes répriment tout opposants politiques, limitent la liberté d’expression et de religion (malgré la majorité de la population musulmane) et persécutent la communauté LGBTQ. Ramzan Kadyrov tente continuellement de faire taire les défenseurs des droits de l’Homme, et nie toute accusation.
La culture russe est reconnue pour être très hétéronormative comparée à ses voisins européens. L’importance des traditions relationnelles de la famille, marquée par la présence soutenue de l’Église orthodoxe dans les politiques, empêche donc certaines minorités de se développer et de vivre librement. Que ce soit sur le respect des minorités religieuses, juives et musulmanes, ou l’égalité des sexes, la Russie est toujours très en retard, en particulier pour un pays si développé économiquement. La répression de ces minorités est aussi une façon pour le gouvernement russe de maintenir une stabilité sociale, d’éviter de froisser une majorité conservatrice; ainsi, l’obtention de leur égalité des droits est très lente.
La découverte des camps de concentrations pour les homosexuels tchétchènes n’est donc pas si surprenante dans un tel contexte : l’intention n’est pas juste motivée par des valeurs traditionnelles sur la sexualité, mais aussi par des ‘stratégies’ politiques. L’enlèvement de plus d’une centaine d’homosexuels en Tchétchénie début mars serait en partie une réponse aux militants LGBTQ qui essayaient d’organiser des Gay Pride dans les plus grandes villes russes. Selon la journaliste russe et les rapports établis par Human Rights Watch, les détenus seraient torturés et forcés de donner le nom d’autres homosexuels dans leur entourage; 26 d’entre eux auraient été assassinés.
En outre, de nombreux opposants politiques qui dénoncent justement les affronts qu’endurent les homosexuels tchétchènes sont soit envoyés dans des camps de concentration, soit assassinés, tout simplement. Cette méthode de torture et d’emprisonnement rappelle l’ancienne tradition des goulags – camps de travail forcé établis sous Stalin. Les autorités tchétchènes et russes nient l’existence de tels camps, mais restent incapable de justifier la disparition de tant de personnes.
Bien que toute cette controverse date d’il y a plus d’un an, la situation n’est toujours pas résolue. Ainsi, le 13 juillet 2018, l’histoire d’un jeune homme de 20 ans qui avait réussi à fuir les camps de concentration tchétchènes remet le sujet sur la table. Son histoire est particulièrement bouleversante et représentative de l’extrême répression qu’endure la communauté LGBTQ en Tchétchénie. Sa famille l’aurait dénoncé aux autorités, préférant le savoir dans un camp de concentration ou même mort que de vivre avec la honte d’avoir un enfant homosexuel. Après avoir réussi à s’échapper, Zelimkhan Akhmadov s’est enfuit vers Saint-Pétersbourg, où il a été recueilli dans un abri de l’ONG Russian LGBT Network. Malheureusement, il a subi une nouvelle tentative de kidnapping ce vendredi 13 juillet par cinq hommes, dont son propre père et un policier. Selon l’ONG, cela aurait été la cinquième tentative. Un avis de recherche avait été lancé par les autorités tchétchènes juste après sa fuite, montrant à quel point ces dernières sont prêtes à tout pour éviter que les secrets concernant les méthodes de répression deviennent publiques.
L’histoire de Zelimkhan et de centaines d’autres homosexuels victimes des camps de concentration tchétchènes met en avant les violations des droits de l’homme commises au quotidien par le gouvernement russe. Cette répression est certes commise par les autorités tchétchènes, mais Vladimir Poutine doit aussi être tenu responsable en raison de sa non-volonté d’agir et de condamner ces actes. Le gouvernement russe n’est donc pas seulement complice des atrocités se déroulant en Tchétchénie, mais il est aussi coupable de violations similaires sur son propre territoire.
Malgré les dénonciations émises par de nombreux politiciens occidentaux, la Russie et la Tchétchénie continuent de nier ces violations, les camps de concentration, et les affronts que les homosexuels endurent au quotidien. Quinze gouvernements occidentaux menacent d’appliquer le ‘Mécanisme de Moscow’, tant que le gouvernement russe ne soumet pas un rapport crédible sur la situation. Le ‘Mécanisme de Moscow’ est une procédure des membres de l’OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe) qui permettrait d’établir une enquête sur les abus des droits de l’Homme, sans que le consentement de la Russie soit nécessaire. Malheureusement, une telle procédure risque de seulement confirmer les rapports déjà établis et n’entraînera sûrement pas une réponse appropriée des pays occidentaux qui n’osent pas agir contre Poutine.
En raison des motivations politiques et sociales de la Russie, et des coutumes hétéronormatives trop engrenées, la situation délicate dans laquelle se trouve la communauté LGBTQ russe ne risque pas de s’améliorer tant que les pays occidentaux ne prennent pas d’actions plus conséquentes pour tenir Poutine et Kadyrov responsables de leurs violations des droits de l’Homme.
Edited by Salome Moatti