L’accord De Prespes, Une Décision à Contre-Courant De La Montée Du Nationalisme En Europe
Le 25 janvier dernier, le parlement grec d’Alexis Tsipras ratifiait l’accord de Prespes, rebaptisant de facto la République de Macédoine en « République de Macédoine du Nord ». D’abord validé par le parlement macédonien le 11 janvier 2019 sous la direction du premier ministre Zoran Zaev, cet accord proposé par les chefs de gouvernement des deux pays le 17 juin 2018 permet de mettre fin à un contentieux issu d’idéologies nationalistes vieux de 27 ans entre la Grèce et la Macédoine.
En effet, depuis l’indépendance de l’ancienne république Yougoslave en 1991, le nom « Macédoine » provoque tensions et conflits entre les 2 pays dans la mesure où une région grecque porte le même nom. Étant le lieu de naissance d’Alexandre le Grand, elle fait partie du patrimoine historique grec et a donc une importante valeur symbolique pour la population. Ce conflit vieux d’un quart de siècle aurait pu s’éterniser si, poussée par sa volonté d’intégrer l’Union Européenne et l’OTAN, la République de Macédoine n’avait pas enclenché le processus de négociations. La Grèce s’opposait fermement à l’adhésion de la Macédoine à ces institutions, et le pays pouvait bloquer l’intégration de la Macédoine en sa qualité de membre. Pour sortir de cette impasse il était alors impératif de trouver un accord satisfaisant à la fois les grecs et les macédoniens.
La montée du nationalisme est un phénomène de plus en plus présent en Europe, et les Balkans ne font pas figure d’exception: par exemple, en avril 2017, une centaine d’individus nationalistes ont fait irruption au palais de l’Assemblé à Skopje pour protester contre la formation d’une coalition gouvernementale entre les sociaux-démocrates et la minorité albanaise. Cette manifestation aurait blessé plusieurs députés dont Zoran Zaev. La signature de cet accord par les deux parlements est donc un événement marquant pour cette région, d’autant que les premiers ministres ont dû faire face à de nombreuses difficultés tout au long du processus . À Athènes comme à Skopje, des manifestations parfois violentes ont éclaté: le 20 janvier, entre 60 000 et 100 000 manifestants auraient été recensés dans le centre d’Athènes, les affrontements avec les forces de l’ordre auraient blessé près de 25 policiers et provoqué l’hospitalisation d’au moins 2 manifestants selon le ministre grec de la protection du citoyen.
En plus de ces manifestations, Zaev et son homologue grec ont dû lutter contre des oppositions au sein même de leur gouvernement respectif. En Grèce, le 13 janvier, quelques jours avant la fin prévue des négociations parlementaires, le ministre de la défense Panos Kammenos, a soumi sa démission. Cette décision a forcé Tsipras à se soumettre à un vote de confiance par son parlement le mercredi 16 janvier, vote qu’il est parvenu à remporter par seulement 1 voix (151 sur 300). Pour lutter contre l’opposition conservative du Parlement et ainsi obtenir la majorité nécessaire à la validation de l’accord, Tsipras a dû miser sur quelques députés indépendants et là encore le résultat fût très serré : 153 oui, 146 non et 1 abstention. Nombreux sont ceux en Grèce qui estiment que le nom « Macédoine du Nord » ne permet pas suffisamment de contraindre les soi-disants visées territoriales de la République de Macédoine, c’est pour cette raison que le sujet polarise autant la société grecque. Cet accord est donc perçu comme un acte de trahison et de faiblesse par de nombreux nationalistes.
En Macédoine la situation fût tout autant complexe, si ce n’est d’avantage. Dans un premier temps, Zoran Zaev a proposé un référendum consultatif le 30 septembre 2018. Le président nationaliste Macédonien a immédiatement appelé au boycott de ce référendum, et malgré une victoire du oui à plus de 90%, ce vote n’a pas pu être déclaré valide en raison du taux d’abstention jugé trop élevé, avec seulement 37% de participation. En plus de devoir lutter contre son président, la constitution imposait à Zaev d’obtenir une super-majorité, soit les ⅔ des voix au parlement pour ratifier l’accord. Pour ce faire, il a eu recours à des moyens douteux: amnistie d’élus condamnés pour violence au sein du parlement, ou encore en exerçant une pression directe sur la justice.
Cet accord n’aurait jamais été validé sans le soutien des dirigeants étrangers. L’ONU et l’Union Européenne sont en effet intervenus à plusieurs reprises dans les négociations en multipliant voyages diplomatiques et messages de soutien sur les réseaux sociaux; c’est d’ailleurs l’Organisation des Nations Unies qui a proposé le nom de « Macédoine du Nord ». Toutefois, cette intervention massive des occidentaux a eu un effet double. En plus d’avoir permis de resserrer les liens entre la Macédoine, la Grèce, et les institutions internationales et de formuler une opposition aux nationalismes dans les Balkans, cet accord a également permis à la Grèce de refaire ses preuves sur la scène internationale en renouant des liens avec l’Allemagne. Cependant, pour la population, l’accord de Prespes a été perçu comme une volonté de l’Europe de l’Ouest de marquer sa supériorité et d’imposer une décision « d’en-haut ». Pour des populations déjà touchées par l’apathie politique, la signature de cet accord malgré le refus majoritaire des deux opinions publiques a confirmé le sentiment selon lequel l’avis des peuples ne comptait pas.
Malgré l’impopularité de cet accord en Grèce comme en Macédoine, il est peu probable d’assister à un retour en arrière, les commentateurs politiques estiment qu’il ne sera pas modifié et qu’il faudra s’adapter à cette nouvelle réalité. L’avenir géopolitique des Balkans reste tout de même loin d’être assuré: bien que l’adhésion de la Macédoine du Nord à l’OTAN est désormais certaine (les 29 pays ont d’ailleurs signé le protocole d’accession), la Macédoine reste l’un des pays les plus pauvres d’Europe et son adhésion à l’Union Européenne est loin d’être garantie. Alexis Tsipras a d’ailleurs affirmé que, s’il été réélu en Octobre 2019, il s’opposerait à nouveau à l’adhésion de la Macédoine du Nord à l’Union Européene.
Edited by Lou Bianchi