Laïcité au Québec: un débat enflammé

Le projet de loi 21 sur la laïcité de l’État a été déposé le 28 mars 2019 par le ministre de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion (MIDI), Simon Jolin-Barrette. Ce projet a été le centre d’une controverse au sein de la société québécoise. L’ampleur particulière qu’a pris ce débat ces dernières semaines nous pousse à se demander pourquoi il est si difficile de s’entendre sur une définition concrète de la laïcité dans une société aussi diverse et multiculturelle que celle du Québec. En raison de la diversité des croyances et des traditions, la liberté religieuse est l’une des libertés les plus difficiles à appliquer. Il ne s’agira pas de prendre partie dans le débat mais de voir en quoi une représentation plus inclusive des voix et communautés religieuses minoritaires pourrait participer à apaiser les tensions autour de la question du projet de loi 21 et de la laïcité de l’État au Québec. Ainsi, un témoignage sur un débat public organisé le 29 mai à Montréal permet de mieux mettre en contexte et de comprendre les arguments de chaque côté de la polémique.

Le projet de loi 21: vers une laïcité réaffirmée

L’objectif du projet de loi 21 est clairement défini dès les premières lignes de sa présentation par le ministre de l’IDI. Il s’agit d’“affirmer la laïcité de l’État et  de préciser les exigences qui en découlent”. Le document rappelle la définition de la laïcité qu’il adoptera, une laïcité qui repose sur quatre principes: la séparation de l’Église et de l’État, la neutralité religieuse de l’État, l’égalité de tous les citoyens et citoyennes ainsi que la liberté de conscience et de religion. Entre autres, la loi vise à interdire le port des signes religieux à tous les employés de l’État en position d’autorité. Autrement dit, elle aurait pour but de protéger l’État de l’influence religieuse. 

 Trois femmes voilées se promenant dans un parc à Montréal

Au coeur de la controverse

Le débat sur la laïcité dure depuis de nombreuses années au Québec, et plus particulièrement depuis la Commission Bouchard-Taylor de 2008 sur la crise des accommodements raisonnables. Pour le ministre en question, il s’agit d’une “avancée historique” dont le projet est “pragmatique et applicable”. Le ministère de Simon Jolin-Barrette s’appuie ainsi sur la reconnaissance de l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. En effet, cet article fait différencie la liberté de religion et la liberté de manifester ses convictions religieuses. La première est vue comme un droit inaliénable et absolu qui ne peut être ni restreint ni enfreint. La deuxième, cependant, peut être soumise à des limitations prescrites par la loi de chaque pays-membre dans le but singulier de la protection et de la sécurité de la société.

Néanmoins, une partie de la population appréhende les possibles conséquences de cette restriction vestimentaire. Le mouvement d’opposition à ce projet de loi est représenté en particulier par le regroupement de 250 universitaires qui ont signé le mois dernier un texte collectif adressé au gouvernement. La lettre dénonce le projet de loi en le décrivant comme étant basé sur un “un principe discriminatoire qui est le profilage des individus sur la base de la religion.” D’après la lettre, cette loi participerait à la stigmatisation des communautés religieuses minoritaires. En outre, plusieurs manifestations et chaines humaines pacifiques ont eu lieu durant les deux derniers mois pour protester contre le projet de loi 21. D’après Michel Seymour, le porte-parole de la coalition, “peu importe l’opinion de la majorité, la société doit protéger les droits des minorités”.

Lors d’un débat public, organisé par l’Institut du Nouveau Monde (INM), dans le contexte du “printemps des débats” à Montréal, j’ai pu témoigner directement des tensions au sein de la communauté. D’un côté, Daniel Baril, anthropologue et vice-président du Mouvement Laïque Québécois, parlait en faveur du projet de loi 21 en insistant sur la nécessité d’une neutralité “réelle et apparente”. Il déclarait alors que ceux qui s’opposent à l’interdiction des ports de signes religieux ne reconnaissent pas la distinction entre croyants et citoyens.

De l’autre côté du panel, Rabah Moulla, enseignant au Cégep, blogueur et militant de la justice sociale et du vivre ensemble tentait d’expliquer que ce projet de loi conduirait à la violation des deux derniers principes qu’il tente de défendre, “l’égalité des citoyens” et la “liberté de conscience”. Il insistait sur l’impact discriminatoire du projet puisqu’il “ciblerait un certain nombres de femmes” et aboutirait donc à un “faux-compromis”. Finalement, il déclarait que ce projet avait été présenté dans un climat politique très particulier qui ne favorise pas l’acceptation de ce projet de loi. En effet, la presence de plus en plus appuyée de mouvements d’extrême droite comme la Meute, groupe civil qui avait soutenu le gouvernement de la CAQ lors des dernières élections, représente une menace supplémentaire pour les communautés religieuses minoritaires. De plus, l’attentat de la Grande Mosquée de Quebec le 29 Janvier 2017 reste une cicatrice  qui continue à marquer les esprits. Cet événement n’est qu’un exemple qui illustre les tensions sociales et confessionnelles au Quebec et qui explique les peurs et apprehensions quant au projet de loi 21. 

Manifestations à Montréal, contre le Projet de Loi 21

Exclusion/Inclusion: Mettre fin à un débat de longue durée

L’origine de cette controverse semble provenir de la diversité des traditions et des religions au sein de la communauté québécoise. Le problème ne viendrait pas seulement de la définition de la laïcité adoptée par le projet de loi 21, mais son imposition sur les communautés affectées par cette dernière, et dont les voix sont pourtant souvent ignorées. C’est dans cette perspective que Rabah Moulla proposait, lors du débat public organisé par l’INM, que l’on “aille vers les minorités” et qu’on les “intéresse à ce projet de loi”. Le gouvernement avait déjà tenu à répondre à ces revendications en organisant au début du mois, entre le 7 et le 16 mai, des audiences publiques qui donneraient la chance à plusieurs intervenants de différents segments de la société de s’exprimer à propos de ce projet. Ces audiences auraient donc permis une participation démocratique plus inclusive et ont ainsi participé à atténuer les tensions sociales.

Toutefois, j’ai pu personnellement observer le manque de diversité dans la salle et dans les conversations lors du débat publique du 29 mai 2019. Bien que le sujet le plus abordé et débattu portait sur la question des femmes voilées, j’ai pu noter l’absence totale de femmes voilées et une très faible présence de personnes de confessions musulmanes. Le résultat fut un débat respectueux et enrichissant, mais majoritairement conduit par des voix de la majorité francophone québécoise qui s’exprimait à propos d’une communauté faiblement représentée.

La liberté religieuse est l’un des saints-graal de la protection fondamentale et universelle des Droits de l’Homme. Cela est particulièrement le cas dans les pays où les minorités religieuses grandissent et évoluent dans le contexte d’une application particulièrement rigoureuse de la laïcité. Depuis la présentation du projet de loi 21, qui fait sans doute écho à la loi française de 2004, cette controverse est de plus en plus présente au Québec. Les débats sur les conséquences de son application tendent vers une relation conflictuelle entre différents fragments de la société. Il semble cependant que l’inclusion des différentes communautés confessionnelles et religieuses dans ce dialogue, et notamment les communautés minoritaires, soit une solution cruciale pour aboutir à la résolution de ces oppositions grandissantes. Il reste encore à voir si le gouvernement du Québec et le ministère de l’IDI comptent rendre compte de cette diversité d’opinions dans l’application du projet de loi 21, avant son adoption prévue en juin 2019.

 

Edited by Salomé Moatti