Laïcité : noble principe, récurrentes polémiques…
Le 11 octobre dernier, Julien Odoul, un élu du Rassemblement National (ex Front national) a relancé le débat sur le port du voile en France. Les faits : lors d’une séance du conseil régional de Bourgogne Franche-Comté, des élèves d’une classe de CM2 sont venus suivre les débats et le fonctionnement d’une assemblée démocratique. Plusieurs adultes les encadrent : parmi eux, la maman d’un des élèves porte un voile. Un constat qui fait sortir de ses gonds le conseiller régional d’extrême-droite : celui-ci exige de la présidente de cette instance qu’elle invite l’accompagnatrice à ôter son couvre-chef, sans quoi les élus de son groupe quitteront la séance. En réponse, l’élue socialiste Marie-Guite Dufay, rétorque qu’elle ne pourrait intervenir que “si le comportement de quelqu’un était à même de perturber le déroulement de la séance. Ce n’est pas le cas. Il n’y a donc aucune raison que cette personne sorte”.
La controverse a fait du bruit et une vidéo de la scène a été publiée sur Twitter, par Julien Odoul lui-même, celui-ci affirmant ne pas “pouvoir tolérer cette provocation communautariste“.
Cette nouvelle question autour du voile, résume bien les divisions qui persistent encore et toujours autour de ce débat tellement français. Puisque c’est bien entendu au nom de la “laïcité” que cette polémique est née. Avec, à la clé, des interprétations diverses et des arrières pensées politiciennes.
Rappelons-le : la laïcité repose sur trois piliers : la liberté de conscience et d’expression des citoyens, la séparation des institutions publiques et des organisations religieuses (loi de 1905) et l’égalité de tous devant la loi. En clair, la volonté de l’État est de régler les contentieux religieux en faisant des institutions religieuses une affaire privée. Mais cette approche va de pair avec les garanties offertes à chacun de vivre légitimement ses convictions spirituelles et d’exprimer sa religion librement dans l’espace public, par exemple, dans la rue.
La laïcité ne s’oppose donc nullement à la pratique religieuse – quelle que soit la religion considérée – et ne la confine pas (ne la “dissimule” pas) à la sphère privée. En revanche, comme le rappelle l’historienne Valentine Zuber, le principe de laïcité “s’applique essentiellement à l’État et aux agents publics : on exige cette neutralité absolue de leur part ‘pour éviter de discriminer’ “. En clair, la République française place ses agents en situation de garantir à chaque personne un État égalitaire, dont l’intervention échappe au considérant religieux et loin de toute forme de prosélytisme.
Jusque-là, donc, une philosophie conforme au triptyque républicain (Liberté, Egalité, Fraternité) même si, historiquement, sa mise en place n’a pas toujours été des plus sereines.
La laïcité à la française s’est en effet construite sur un vieux fond anticlérical, s’exprimant parfois avec intensité, comme l’illustre cette citation de Léon Gambetta, à la fin du XIXème siècle : “Il faut refouler l’ennemi, le cléricalisme, et amener le laïque, le citoyen, le savant, le français, dans nos établissements d’instruction, lui élever des écoles, créer des professeurs, des maîtres…”
Au fil des années, cette “offensive républicaine” aboutit à un effacement progressif du religieux dans l’espace public : chez le prêtre, la soutane a laissé place au discret « pin’s » en forme de croix et les bonnes sœurs ont opté pour une tenue devenue neutre.
Depuis quelques années, l’apparition du voile musulman dans l’espace collectif – voire de vêtements plus “rigoristes” encore – a donc pu sembler incongrue à bon nombre de Français.
Dans un contexte marqué par un discours politique stigmatisant avec, notamment “l’immigration de masse” comme principal argument de Marine le Pen, présente au second tour de l’élection présidentielle de 2017; et au sein d’une opinion par ailleurs traumatisée par les attentats islamistes de ces récentes années, l’amalgame “Musulman/terroriste” a donc provoqué de vraies tensions.
Marine Le Pen continue sur la même pensée en réaffirmant, suite à la controverse que “Le voile n’est pas un bout de tissu anodin”. C’est un marqueur de la radicalité de l’islam”, expliquant qu’il représente une atteinte à la liberté des femmes, et qu’il est inévitablement un marqueur politique. Une position critiquée par Raphaël Liogier, sociologue et philosophe, qui tente de dénoncer cette “ vision univoque, fondée sur une conception faussée de la laïcité, consistant à dire que les femmes voilées seraient soit aliénées, soit des terroristes potentielles”.
La Société française, en donnant une importance démesurée à “l’affaire Bourguignonne”, s’offre à elle-même l’un de ces psychodrames passionnés (à défaut d’être toujours passionnants…) dont elle a le secret.
Qui en tire bénéfice ? Les extrêmes. D’un côté l’extrême droite, dont le propos simpliste et haineux trouve une cible toute désignée : le Musulman, soupçonné, de menacer les fondements de la République. De l’autre, quelques groupes activistes de « l’Islam politique » dont les théories dogmatiques choquent y compris au sein de la communauté musulmane française, par leur dimension rétrograde, anti-féministe, contraires aux vraies valeurs de l’Islam et délibérément en opposition avec l’ambition d’une laïcité apaisée.
Il reste donc crucial d’aller au delà de ce “face à face” mortifère, entre tenants de visions antagonistes mais unis par une même logique de l’affrontement, afin de clore une bonne fois pour toute le débat autour du voile.
“L’affaire du voile” a donc laissé les portes ouvertes à diverses prises de paroles par la classe politique Française, aucune n’étant neutre, traduisant toujours des motivations électoralistes sous-jacentes. Si le Président de la République Emmanuel Macron a tenté – en vain – de mettre fin au débat en affirmant jeudi, lors d’un voyage à la Réunion : “le port du voile dans l’espace public n’est pas mon affaire”. Marine Le Pen l’a ensuite vivement critiqué, se présentant alors comme une défenseuse forcenée de la laïcité et accusant le Président, quant à lui de s’en “laver les mains“…
“L’affaire bourguignonne” confirme l’existence de ces divisions qui persistent. Dépasser les idées reçues et les fractures idéologiques et culturelles autour de la laïcité impliquerait de la classe politique nationale – en lien avec les instances représentatives de la communauté musulmane – qu’elle fasse œuvre de discernement et de pédagogie, renonçant de surcroît à l’exploitation de cette thématique à des fins électoralistes. On en est loin. Entre démagogie, confusion et repli frileux, c’est plutôt le spectacle regrettable d’un pays fâché avec lui-même que livrent aujourd’hui nombre de ses représentants…
Edité par Elias Lemercier