L’Argentine et l’éternel retour du péronisme
Dimanche 27 octobre, plus de 32 millions d’Argentins se sont rendus aux urnes pour élire un nouveau président. Le candidat de l’alliance kirchneriste-péroniste Frente de Todos, Alberto Fernandez, a gagné les élections avec plus de 48% des voix contre les 40% pour le président sortant, Mauricio Macri. De tendance économique libérale, ce dernier était le premier président du pays a ne pas être issu des rangs péronistes ou de l’Union Civile Radicale.
Le péronisme fait référence à un mouvement de masse fondé autour de la figure de Juan Perón, militaire et président de l’Argentine de 1946 à 1955, dans les années 1940. C’est un mouvement complexe à définir pour cause de l’éventail de courants différents auxquels il a donné naissance. À l’origine, le péronisme de Perón accordait beaucoup d’importance à la justice sociale, notamment grâce à “Evita”, la femme de Perón et sa succession au poste présidentiel, qui reste adulée par les argentins et joue un rôle central dans la popularité du péronisme en Argentine. Le mouvement est qualifié par certains de mouvement populiste. Typiquement, le péronisme inclut une dose de nationalisme et de populisme, des services publics à grande échelle et une opposition aux institutions internationales telles que le FMI, mais son idéologie et sa pratique restent très malléables par les différents dirigeants qui se disent y appartenir. Historiquement, le péronisme de Juan Perón a été cité par certains comme un régime autoritaire. Devenu président après avoir développé une base de pouvoir dans l’armée, les syndicats et la classe ouvrière, Juan Perón était populaire pour ses énormes subventions en faveur de programmes sociaux. Cependant, la censure de la presse et de personnalités intellectuelles, le contrôle des syndicats par l’État ainsi que son admiration pour Mussolini et le fascisme italien viennent sombrer l’image du dirigeant, bien qu’il reste une figure très admirée aujourd’hui par une grande partie de la population argentine.
L’élection d’Alberto Fernandez annonce le retour du péronisme en Argentine, qui a gouverné le pays 24 ans sur les 36 derniers. De plus, les élections ont été orchestrées de près par Cristina Kirchner, présidente du pays de 2007 à 2015 et figure centrale du “kirchnérisme”. Le kirchnérisme est un dérivé du péronisme, dont le nom découle de son défunt mari Néstor Kirchner, président de l’Argentine de 2003 à 2007 et pionnier de ce courant. Bien que sa présidence ait été marquée par la falsification de données financières, l’acceptation de pots-de-vin, la distribution insoutenable d’aides sociales ainsi que des alliances douteuses avec Hugo Chavez et d’autres, Cristina de Kirchner a su revenir sur le devant de la scène politique en s’alliant avec Alberto Fernandez. Ironiquement, ce sont sa politique désastreuse et le mécontentement de la société civile face aux fraudes et dissimulations qu’elle avait orchestrées qui expliquent l’élection de Mauricio Macri quelques années auparavant. Cristina de Kirchner se contentera cependant cette fois du poste de vice-présidente, restant ainsi à l’abri de la douzaine de procédures judiciaires pour corruption et autre auxquelles elle est soumise.
Cependant, la victoire du péronisme en 2019 se démarque de celle des années antérieures. En effet, l’opposition n’a pas été aussi ‘écrasée’ que les années précédentes. Si Mauricio Macri reste au pouvoir jusqu’au 10 décembre 2019, date d’investiture d’Alberto Fernandez, ce sera le premier président non péroniste et élu constitutionnellement à parvenir au bout de son mandat. En effet, Raul Alfonsin, premier président élu démocratiquement après la dictature militaire et issu du parti non-péroniste Union Civile Radicale, avait dû renoncer à la présidence cinq mois avant la fin de son mandat en 1989 pour cause de graves problèmes économiques. De même, Fernando de la Rua, président du pays de 1999 à 2001 et membre du même parti, avait dû abandonner la présidence en urgence lors de violentes manifestations durant la crise économique de 2001.
Plusieurs facteurs expliquent le retour du péroniste en 2019. Primo, le mouvement péroniste détient une forte capacité à déstabiliser les gouvernements adverses. En effet, le mouvement possède un fort ancrage social et a réussi à convoquer 27 grèves générales en moins de 12 ans contre des gouvernements non-péronistes. Ensuite, il semblerait que l’impossibilité des autres présidences à sortir le pays de crises économiques explique fortement cette persistance du péronisme. Alberto Fernandez hérite en effet d’une situation économique difficile. Mauricio Macri avait instauré une politique plus libérale que ses prédécesseurs, se rapprochant du FMI. Cette politique s’est vouée extrêmement impopulaire auprès des citoyens argentins et le retour au péronisme est pour beaucoup un retour aux sources, souvenir d’une époque où le pays était prospère et centré sur le peuple. Aujourd’hui, l’inflation du pays a atteint les 55%, plongeant une grande partie de la société dans une pauvreté déjà bien établie antérieurement. La dette de l’Argentine a quant-à-elle atteint les 72% du PIB cette année contre 41% en 2015.
Le nouveau président et son gouvernement vont donc devoir faire face à de nombreux obstacles. Depuis août dernier et maintenant la défaite du parti au pouvoir, la Banque Centrale argentine a vu ses réserves diminuer de 22.800 millions de dollars. En effet, le vendredi précédant les élections, les argentins se sont alignés dans les banques pour retirer de l’argent de leurs comptes et acheter des dollars, ce qui a causé une chute phénoménale de la monnaie. Pour cause, la peur d’un nouveau défaut de dette qui provoque la panique chez les investisseurs et qui révèle une profonde méfiance sociale vis-à-vis de la capacité du nouveau gouvernement à inverser la situation économique. Des actions ont déjà été entreprises par le gouvernement actuel de Macri pour en limiter les dégâts. En effet, la Banque Centrale a drastiquement limité la quantité de dollars que chaque citoyen peut retirer par mois, passant de 10000 à 200. Le nouveau gouvernement va donc devoir remédier à la situation économique du pays mais cela tout en prenant de nombreux facteurs en considération. Fernandez et son gouvernement vont avoir la tâche difficile de renégocier une dette publique insoutenable avec les institutions internationales et tenter de redresser l’économie tout en évitant que le mécontentement social qui envahit les rues du reste de l’Amérique Latine prenne le dessus en Argentine. En 2018, le FMI avait octroyé un crédit de plus de 57 milliards de dollars au pays, le plus gros prêt jamais accordé par l’institution. D’autant plus que les premiers remboursements sont prévus en 2021. La pauvreté reste également un problème central, ignoré par les administrations précédentes kirchneristes qui ont préféré en masquer les chiffres réels et discréditer les institutions internationales.
Le président élu va également être chargé de trouver un modèle de développement soutenable pour le pays, dont l’économie ne cesse de connaître des crises depuis plusieurs dizaines d’années. Pour cela, il va devoir trouver un modèle qui augmente les investissements tout en réduisant l’inflation. Pour l’instant, deux options se présentent : faire un pacte avec le FMI, sous risque de plonger le pays dans une vague de manifestations anti-austérité ou se tourner vers la Chine. En effet, le gouvernement de Xi Jinping semble particulièrement intéressé dans les réserves de gaz du pays ainsi qu’en sa capacité agricole, notamment ses plantations de soja. Bien que l’Argentine ne possède qu’environ 45 millions d’habitants, il semblerait que le pays aie la capacité d’en nourrir plus de 400 millions. Mais autant le pacte avec le FMI comme la solidification d’une relation avec la Chine présentent des hauts risques de mécontentement social. En effet, les deux politiques s’ancrent dans une tendance libérale, très contestée par la société argentine qui vient d’autant plus d’élire un candidat péroniste pour s’éloigner de ce type de mesures. Le nouveau gouvernement arrivera-t-il à sortir le pays d’une crise économique insoutenable tout en affirmant son péronisme et en évitant les mécontentements de l’opinion publique ?
Image de couverture: “Perón cumple“; image par Jorge Gobbi, et sous licence CC BY 2.0
Edité par Paloma Baumgartner