L’ASE, l’enfant déchu du gouvernement français

Avec près de 9 milliards d’euros pour l’ensemble du pays, les services de protection de l’enfance représentent le 2ème budget social des départements. L’aide sociale à l’enfance (ASE) reste cependant méconnue du grand public, et son dysfonctionnement, pourtant bien trop évident, peine à être adressé. L’ASE, c’est plus de 300 000 jeunes (2016) qui, en raison de l’instabilité, des difficultés financières ou de la violence de leur milieu familial, se retrouvent placés en foyers ou dans des familles d’accueilles. Étant maintenant sous la responsabilité de l’État, un avenir meilleur leur est, en théorie, promis.

Néanmoins, le documentaire choc mené par Sylvain Louvet dans le cadre de l’émission “pièces à convictions” montre que la réalité de ces centres est loin de l’avenir sain et sécuritaire qu’ils sont pourtant censés fournir. Cette enquête accablante a mis en lumière la violence qui règne au sein de ces structures: coups, morsures, violes, humiliations, insultes, défauts de soins, négligences… Ces agressions physiques, sexuelles, et morales sont monnaies courantes tant entre usagers qu’entre enfants et éducateurs, qui à bout de nerfs, n’hésitent pas à lever la main sur ces enfants en difficulté.  

Une fois leur majorité atteinte, le sort réservé à ces “sacrifiés de la République” n’est pas forcément meilleur: 70% d’entre eux sortent de l’ASE sans diplôme. La fondation Abbé Pierre a tiré la sonnette d’alarme: plus d’une personne non-domiciliée sur 4 est un ancien enfant placé (contre 2% dans l’ensemble de la population). Pire encore, ce taux s’élève jusqu’à 40% chez les SDF de moins de 25 ans. L’ASE est donc une institution à bout de souffle qui ne parvient plus à remplir sa mission première de protection. La précarité à laquelle ces jeunes semblent être condamnée n’est toutefois pas une fatalité. Plusieurs actions, décisions, et démarches peuvent et doivent être enclenchées pour mettre fin à cette “honte nationale” et à ce “carnage social”.

Homme non-domicilié à Paris. Plus d’un SDF sur 4 est issu des aides sociales à l’enfance. Claudius Dorenrof.

Suite aux récentes affaires médiatiques et au combat sans relâche mené par les collectifs d’anciens placés, c’est sur ce dernier point que la députée Brigitte Bourguignon a décidé d’agir. Présidente de la Commission des Affaires Sociales à l’Assemblée Nationale, c’est sous les couleurs de la République en Marche que Mme. Bourguignon a été élue députée au Pas-De-Calais. Le 11 juillet 2018, elle a proposé en comité un texte de loi visant à rendre obligatoire l’accompagnement des jeunes majeurs vulnérables jusqu’à leur 25 ans, afin d’éviter toute sortie radicale de l’ASE. Aujourd’hui, un seul dispositif existe pour accompagner ces jeunes dans leur transition vers l’autonomie: les contrats jeunes majeurs (CJM). Conclus entre les jeunes et les autorités départementales, ces contrats ont pour but de fournir une aide financière de 465 € par mois et un suivi jusqu’à l’âge de 21 ans. Ces contrats ont fait preuve de leur efficacité mais leurs durées continuent d’être écourtées. De plus, ils sont inéquitablement distribués sur le territoire, certaines régions étant donc plus généreuses que d’autres. Le texte de loi proposé par Bourguignon a été débattu dans l’hémicycle les 6 et 7 mai derniers et s’est alors retrouvé “vidé de sa substance” par le gouvernement, malgré son approbation préalable.

Cette loi qui devait généraliser les CJM crée désormais des “contrats d’accompagnements vers l’autonomie” avec lesquels les départements s’engagent (en théorie) à fournir de l’aide en termes d’accès au soin, d’obtention de logement, et de formation professionnelle. L’État prévoit un investissement de 60 millions d’euros par an pour supporter les départements. Cette somme reste toutefois rudimentaire comme l’a décrié Frédéric Bierry, président de la Commission des Affaires Sociales et Solidarité de l’Assemblé des départements de France: “l’intention est louable, mais certainement pas suffisante dans le contexte particulièrement complexe de la protection de l’enfance”. Par ailleurs, dorénavant, seuls les jeunes ayant passé 18 mois consécutifs sous la responsabilité de l’ASE dans les 2 ans précédant leur majorité peuvent bénéficier de cette aide. Cette mesure exclut donc non-explicitement les étrangers qui sollicitent la protection de la France mais également les mineurs non-accompagnés et ceux placés tardivement, mais ayant subi la même instabilité et violence que les autres.

Brigitte Bourguignon, députée LREM, à l’origine de la proposition de loi. Philippe Grangeaud.

Ces amendements ont provoqué la colère de diverses associations et de collectifs d’anciens placés qui n’ont pas hésité à exprimer leur mécontentement sur les réseaux sociaux. Lyes Louffok, ancien placé, aujourd’hui membre du conseil national de la protection de l’enfance (CNPE) déplore : “Ce soir, les #EnfantsPlacés de notre pays, sont abandonnées une seconde fois. J’ai honte”. Ils regrettent également “l’absence d’allocation de ressources dans la loi” (Antoine Dulin).

L’ASE sauve des vies mais, malheureusement ceci n’est pas suffisant pour une institution chargée de construire une partie de l’avenir de demain. L’instabilité et la précarité à laquelle sont condamnés ces 300 000 jeunes ne sont pas inévitables si le gouvernement décide de sortir une bonne fois pour toute ce secteur public de l’ombre en prenant des mesures concrètes. Une réforme en profondeur de tout un système n’est certainement pas réalisable du jour au lendemain, mais, cette procédure complexe et coûteuse n’en demeure pas moins nécessaire pour la santé des enfants et de l’économie française. Sur le long terme, les coûts associés au déficiences de l’ASE s’accumulent et sont exorbitants. Au vue l’importante fracture sociale à laquelle l’actuel gouvernement doit faire face, une telle réforme de l’ASE ne peut être que bénéfique pour l’ensemble de la société française. Pour la 5ème puissance mondiale, un tel manque de considération pour la double-souffrance, les maltraitances et la négligence de plusieurs centaines de milliers d’enfants pourtant à sa charge, n’est pas excusable.

 

Edited by Laura Millo