Le Budget Des Nations Unies Sous Perfusion Américaine

Le secrétaire général des Nations Unies, António Guterres a déclaré le lundi 7 octobre 2019 que l’organisation était menacée par une crise de liquidités d’ici la fin du mois d’octobre. Depuis septembre, le Secrétariat général fonctionne sur ses réserves de liquidités et seulement 133 des 193 États membres ont réglé leur note. Parmi les récalcitrants, on peut trouver certains des plus gros contributeurs comme les États-Unis ou le Brésil. De ce fait, environ 30% du budget n’a toujours pas été payé. Le budget de l’organisation est divisé en deux sous-groupes: le budget de fonctionnement du Secrétariat général et celui des opérations de maintien de la paix. De plus, les institutions rattachées à l’ONU telles que l’UNESCO ou l’UNICEF sont autonomes pour fixer leur budget en accord avec leurs pays membres.

Jusqu’à cette année, le budget de fonctionnement du Secrétariat général était voté tous les deux ans mais, à partir de 2020, le budget sera annualisé pour flexibiliser les dépenses lors d’événements imprévus. Le budget 2018-2019 voté par l’Assemblée Générale le 26 décembre 2017 représentait déjà une baisse de 5% ou 286 millions de dollars américains par rapport à la période 2016-2017. A la différence des États ou d’autres organisations, l’ONU n’a pas le droit d’emprunter et doit donc avoir une extrême rigueur budgétaire. Dès lors, des économies ont été entreprises par le Secrétariat dès le début de l’année. Le Sommet pour le climat du 23 septembre à New York a été financé sur le budget du Secrétariat et n’aurait pu avoir lieu sans les économies réalisée plus tôt cette année. En outre, Guterres voulait augmenter le fond de roulement de l’ONU pour faire face au déficit annoncé mais les Etats membres ont refusé la proposition. Catherine Pollard, secrétaire générale adjointe de l’ONU chargée des stratégies et politiques de gestion et de la conformité indique que: “À la date du 9 octobre 2019, le déficit de financement du budget ordinaire a atteint son niveau le plus élevé cette année, à 386 millions de dollars USD, épuisant ainsi la réserve de 150 millions de dollars du Fonds de roulement ainsi que les 203 millions de dollars du Compte spécial, et empruntant 33 millions de dollars des opérations de paix clôturées’’. La situation financière de l’organisation est critique et Guterres a annoncé le gel des embauches, la réduction maximale des voyages des diplomates et l’ajournement de réunions. Le versement des salaires pourrait être assuré jusqu’à novembre, le temps qu’arrivent les contributions manquantes. L’annonce du secrétaire générale ne visait pas un pays en particulier mais la réponse du président américain Donald Trump a été cinglante: “Alors faites payer l’ensemble des pays membres, pas juste les États-Unis!”.

Le Président des États-Unis, Donald Trump, à la Conférence de l’Action Politique Conservatrice 2017 au National Harbour dans l’État du Maryland. Photo prise par Gage Skidmore et sous licence CC BY-SA 2.0

Ce pays accumule les impayés à l’égard de l’ONU: 381 millions US$ les années précédentes et 674 millions cette année. Traditionnellement, l’année fiscale américaine débute le 1er octobre et les paiements se font donc quelques semaines après. Par conséquent, il est habituel que les États-Unis soient en retard mais jusqu’à la présidence de Trump, les arriérés étaient payés. Le pays contribue pour 28% du budget des opérations de maintien de la paix et 22% pour le fonctionnement de l’ONU, le montant maximal. Cependant, Trump estime que la contribution américaine aux opérations de maintien de la paix est trop élevée et veut la ramener unilatéralement à 25%.

En septembre 2018, le président a annoncé que pour cette année, il n’irait pas au delà de 25% même si l’organisation lui présentait une facture supérieure. L’ambassadrice américaine pour la réforme et la gestion des Nations Unies, Cherith Norman Chalet, rejette la faute sur les remises dont bénéficient certains pays riches. “Près de la moitié des États membres reçoivent un rabais de 80% sur leur contribution au budget des opérations de paix” a-t-elle affirmé. Elle souhaite que ces rabais disparaissent pour compenser la diminution de la part américaine dans le budget. Tous les ans, le Comité des Contributions se réunit pour fixer les contributions de chaque État membre. La contribution des États dépend de leur niveau de développement pour que chacun puisse payer la facture. Les cinq États membres siégeant au Conseil Permanent de Sécurité (Russie, Chine, Royaume-Uni, France et Etats-Unis) doivent donner plus en vertu de leurs “responsabilités spéciales”. La volonté de Trump de modifier les contributions pourrait remettre en question le fameux droit de véto si cher aux États-Unis.

L’ambassadrice américaine pour la réforme et la gestion des Nations Unies, Cherith Norman Chalet, lors d’une réunion du “Geneva Group Consultative Level” le 3 mai 2019. Photo prise par U.S. Mission Photo / Eric Bridiers et sous licence CC BY-ND 2.0

Chalet a cependant soutenu le vendredi 18 octobre que: ‘’Les États-Unis paieront la plupart de leurs dettes, aussi bien du budget général que du budget des opérations de maintien de la paix, avant la fin de l’année. Nous avons récemment effectué un paiement de 180 millions de dollars et nous espérons faire une contribution additionnelle de 96 millions de dollars dans les prochaines semaines.’’ Malgré ses promesses, la dette totale des États-Unis ne sera pas totalement remboursée. En effet, le budget pour les opérations de la paix avait été calculé l’année dernière en utilisant les 28% américains mais sachant que les États-Unis ne paieront que 25%, l’ONU a dû admettre 3% de déficit ou une réduction des coûts.

La conséquence est une réduction des opérations de maintien de la paix. On peut en observer un premier effet, la fin de 15 ans d’opérations de paix en Haïti le 15 octobre. L’ambassadrice de la délégation américaine à l’ONU Kelly Craft s’est félicitée. Pourtant, les résultats de la mission sont très insuffisants: “Les institutions politiques du pays ne fonctionnent plus (…), Haïti va au-devant d’une crise constitutionnelle, la violence est généralisée, la corruption est endémique”, témoigne Sheraz Gasri, une diplomate française. Mais Craft rappelle que les États-Unis ont versés plus de 5 milliards de dollars américains en tant qu’aide bilatérale et que c’est aux haïtiens d’ “oeuvrer pacifiquement pour répondre aux défis économiques et sociaux auxquels fait face le pays”. Reste que la Mission des Nations unies pour l’appui à la Justice en Haïti (MINUJUSTH) a pris fin et ne sera remplacé que par un Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH) qui ne peut pas assurer la sécurité de ce territoire.

L’ambassadrice de la délégation américaine à l’ONU Kelly Craft lors d’un vote du Conseil de sécurité à propos de la situation libyenne le 12 septembre 2019. Photo prise par U.S. Mission to the U.N. et sous licence CC BY 2.0

L’ONU dépend financièrement des États-Unis, qui, toutes entités onusiennes confondues, ont donné 10 milliards de dollars en 2017. Pour autant, Trump ne souhaite pas se débarrasser de la puissante organisation: “Les Etats-Unis sont engagés à rendre les Nations Unies plus efficaces et responsables. J’ai dit de nombreuses fois que les Nations Unies ont un potentiel illimité. […] les États-Unis ne paieront pas plus de 25% du budget du maintien de la paix de l’ONU. Ceci encouragera d’autres pays à intensifier leurs efforts, à s’impliquer, et aussi à partager ce très lourd fardeau.”

Si les budgets obligatoires comme ceux du fonctionnement de l’ONU ou des opérations de maintien de la paix peuvent s’adapter à moyen terme au retrait américain, de nombreuses institutions spécialisées de l’ONU fonctionnent par contributions volontaires. Ce sont les plus menacées par ce bouleversement financier. En effet, dans le budget pour l’année financière 2019 de l’administration Trump, on peut relever que la part des contributions volontaires pour l’ONU est réduite à 0 occasionnant un perte soudaine de 137,5 millions de dollars pour l’UNICEF et de 80 millions de dollars pour le PNUD. En revanche, le retrait d’un puissance permet l’émergence d’une autre puissance, la Chine.

Déjà membre permanent du Conseil de sécurité, la Chine voit régulièrement sa part au budget général augmenter puisque son économie croît considérablement. Elle représente 12% ou 367 millions de dollars du budget cette année. Par ailleurs, le président chinois Xi Jinping s’est engagé à lever 1 milliard de dollars sur 10 ans afin d’aider l’ONU à promouvoir le développement durable, la paix et la sécurité. Cet intérêt envers l’ONU traduit une volonté de renforcer la sécurité des territoires où elle dispose d’intérêts commerciaux. Par exemple, la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) en République Démocratique du Congo compte 232 personnels chinois motivés par l’achat chinois de 80% d’une des plus grandes mines de cobalt et de cuivre.

L’approvisionnement économique de l’Organisation des Nations Unies est à la croisée des chemins. Les États-Unis peuvent faire marche arrière et rouvrir les vannes financières afin de continuer à promouvoir les valeurs et le modèle américains du néolibéralisme. Néanmoins, récemment la politique de Donald Trump est de se désengager de la scène internationale comme il l’a récemment montré avec la Syrie. Ce désengagement laisse à la Chine la voie libre pour protéger ses sources de matière première sous couvert de l’ONU mais aussi d’asseoir son emprise sur la régulation internationale du libre-échange. Va-t-on assister à un recalibrage de l’institution ou à la continuité du multilatéralisme en vertu du néolibéralisme ?

Photo de couverture: Le secrétaire général de l’ONU, António Guterres pendant une conférence de presse à propos de la violence contre les femme lors des conflits le 25 février 2019. Photo prise par UN Photo/ Jean Marc Ferré sous licence CC BY-NC-ND 2.0

Edité par Elias Lemercier