Le courage d’une victime de viols pourrait-il changer la loi en France?

Je n’exprime ni ma colère ni ma haine, mais ma volonté et ma détermination pour que l’on change cette société.” C’est une femme brisée qui s’exprime pour la seconde fois, le 23 octobre 2024, devant la cour d’assises d’Avignon. Malgré la douleur, Gisèle Pélicot parle haut et clair. Un mois plus tard, le lundi 25 novembre, Dominique Pélicot, son ex-mari, a été condamné à une peine maximale de 20 ans de réclusion criminelle, une sentence qui marque un tournant décisif dans cette affaire hors-norme.

Pendant près de dix ans, cette mère de famille de 72 ans originaire du Vaucluse a été droguée par son propre mari, qui a invité plusieurs dizaines d’autres hommes à la violer, jusqu’à ce qu’elle ne découvre l’horreur de son calvaire le 2 novembre 2020. Le procès, qui a débuté le 2 septembre 2024 à Avignon, a suscité beaucoup d’attention médiatique. En tout, ce sont 51 hommes accusés d’être venus abuser d’elle dans son sommeil forcé. Depuis l’ouverture du procès de ses agresseurs présumés, Gisèle Pélicot est devenue une figure emblématique de la lutte contre les violences sexuelles, en France et à travers le monde. L’hebdomadaire allemand Der Spiegel la qualifie d’héroïne pour les femmes du monde entier, tandis que le quotidien indien The Hindu salue une survivante.

Tous posent une question cruciale, recentrée sur la notion juridique du consentement. Est-on victime de viol quand on ne dit pas non ? Quand on ne peut pas dire non ?Pour que la loi évolue, Gisèle Pélicot a choisi de tout affronter, de tout raconter, dans un procès ou elle refuse le huis clos. Cette fois en pleine possession de ses moyens, elle s’adresse à la cour sans s’effondrer, et accepte que vidéos et photos de son épreuve soient diffusées en séance publique. Elle souhaite que son histoire serve à toutes les femmes qui ont été victimes de viol, que la honte change de camp.

Une décennie de violence

Le chef d’accusation est lourd. De 2011 à 2020, ils seraient 51 hommes entre 26 et 74 ans à avoir répondu aux annonces de Dominique Pélicot, son ex-mari, sur le forum Coco.gg, un site de discussion qui servait de repaire pour les pédophiles et prédateurs sexuels. Le 2 novembre 2020, Gisèle Pélicot se rend au poste sous la demande des policiers de Carpentras, ville située au sud-est de la France, dans le Vaucluse. Elle découvre, sidérée, près de 4000 photos et vidéos de ses viols, trouvées après une investigation de l’ordinateur de M. Pélicot. Ce dernier avait été mis en garde à vue en septembre, pour avoir été surpris en train de filmer sous les jupes de plusieurs clientes d’un supermarché. Des viols qui ont d’abord eu lieu en région parisienne, puis à Mazan, après que le couple a déménagé en 2013, ainsi que sur l’île de Ré. 

Dans ce procès au devant de la scène médiatique, certains des accusés nient les faits, disant avoir été manipulés ou ignorants de l’état d’inconscience de Mme Pélicot. 

La question du consentement en France

L’affaire Pélicot pourrait-elle conduire à un changement de la loi française ? Le 27 septembre, le garde des Sceaux Didier Migaud s’est prononcé pour l’ajout de la notion de consentement dans le Code pénal, sans donner plus de détails. 

En France, la loi actuelle définit depuis le viol comme “tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur, par violence, contrainte, menace ou surprise”. Cette définition, bien que relativement large, n’inclut nulle part la notion de consentement, centrale en droit civil pour régir les relations entre individus. En droit pénal, l’accent est traditionnellement mis sur les preuves de contrainte ou de violence, ce qui crée un vide juridique autour du consentement. Cette omission affecte non seulement le déroulement des procès, mais interroge aussi sur le respect de la dignité humaine. 

En droit pénal, l’accent est traditionnellement mis sur les preuves de contrainte ou de violence, ce qui crée un vide juridique autour du consentement.Figurine de Thémis, titanide de la justice”, par Pavel Danilyuk, sur Pexels.com, est libre d’usage.

 

Dans d’autres pays comme la Belgique ou la Suède, cette notion a été introduite dans le droit pénal. Pourtant, cela n’explique pas forcément la hausse des condamnations dans ces pays. En Suède,  l’augmentation de 75% des condamnations pour viol semble davantage liée à une redéfinition élargie de l’infraction, qui ne se limite maintenant plus strictement aux cas impliquant l’usage de la force. Autrement dit, l’évolution législative n’a pas, à elle seule, entraîné une hausse substantielle des condamnations, mais elle a permis une meilleure reconnaissance de certaines formes de violences sexuelles . L’absence de la notion de consentement est en soi une preuve de viol dans certains systèmes juridiques étrangers. Ce n’est pas le cas en France où il incombe souvent aux victimes de prouver la violence ou la contrainte. Selon François Lavallière, premier président au tribunal de justice de Rennes,‘prouver l’élément intentionnel est le plus difficile’. ‘S’il n’est pas possible de démontrer l’élément intentionnel, il n’y a pas de condamnation’, souligne-t-il . Ce fardeau de la preuve complexifie considérablement les condamnations pour violences sexuelles en France. Pour Gisèle Pélicot, cette question est fondamentale : comment prouver l’absence de consentement lorsqu’on est droguée ou inconsciente ? Dans son cas, les nombreuses photos et vidéos ne laissent aucun doute sur son impuissance. C’est loin d’être le cas pour beaucoup de femmes. Des organisations de défense des droits humains, telles que Amnesty International, plaident pour une modernisation du code pénal français, qui prendrait en compte les réalités des violences sexuelles contemporaines, telles que le ‘stealthing’ (le retrait non consenti du préservatif). Cette modification permettrait de renforcer la protection des victimes et de faciliter les poursuites en cas d’abus. 

Cependant, l’idée ne fait pas l’unanimité. L’argument contre l’inclusion du consentement dans la loi pénale soutient que le viol n’est pas simplement une relation sexuelle non consentie, mais un acte de prédation. Introduire le consentement pourrait fausser cette réalité en focalisant l’attention sur la réaction de la victime plutôt que sur les intentions de l’agresseur. Le viol est déterminé par la volonté de l’agresseur, indépendamment du comportement de la victime, qui pourrait avoir consenti par peur ou avoir été contrainte au silence. Si le consentement doit être manifesté verbalement, il demeure toujours un problème : quand le procès a lieu, c’est parole contre parole. 

Un traumatisme médiatisé

L’affaire a provoqué une vague d’indignation. Des manifestations et marches de soutien se multiplient, rassemblant jusqu’à 10 000 personnes devant des tribunaux à Paris, Lyon ou Marseille. Cette large couverture médiatique a mis en lumière les détails choquants de l’affaire, mais elle a eu également un coût personnel pour Gisèle Pélicot, contrainte de revivre son traumatisme dans chaque témoignage face aux caméras.

Au-delà des frontières françaises, l’affaire a suscité une forte attention internationale. Plusieurs journaux étrangers en sont en effet secoués, et la presse étrangère rapporte les faits au fur et à mesure que le procès avance à la manière d’un feuilleton. El Confidencial dénonce l’ensemble de la société responsable de ces viols, tandis que The Hindustan Times accuse l’aveuglement de cette dernière. L’impact de ce scandale à l’international peut s’expliquer par sa résonance universelle: il soulève des questions fondamentales sur la justice, la culture du viol et les droits des victimes, dépassant ainsi les spécificités du contexte français.

Une icône pour les survivantes

Gisèle Pélicot souhaite que son histoire devienne un exemple, une source d’espoir pour les femmes victimes de viol. Ce combat, elle l’a mené d’abord pour elle, mais également pour toutes celles qui n’ont même pas pu dire ‘non’, celles que l’on n’a jamais écoutées. ‘La honte doit changer de camp’. Voilà son but aujourd’hui. Selon Céline Piques, la porte-parole du groupe ‘Osez le féminisme !’, la décision de rendre son procès public est très importante : Gisèle Pélicot braque ainsi les projecteurs sur la violence à laquelle certains hommes peuvent recourir dans une société patriarcale qui banalise et tolère encore ces comportements.

Gisèle Pélicot a reçu un soutien important des mouvements féministes.Affaire Pelicot viols graffiti féministe à Paris rue Nollet: M’endors pas”, par Guallendra est sous la licence CC 1.0.

La fin du procès, marquée par la condamnation de Dominique Pélicot, est une étape importante. Cette peine, bien qu’attendue, envoie un message fort sur l’importance de reconnaître et sanctionner ces actes dans une société qui aspire à plus de justice et d’égalité. Elle représente également une victoire symbolique pour toutes les victimes, rappelant que la parole des femmes a une valeur et qu’elle peut faire trembler les murs du silence. L’histoire et le courage de Gisèle Pélicot résonnent aujourd’hui comme un appel international au respect des droits fondamentaux des femmes.

Édité par Camille Tavitian.

Image de tête: “Place Gisèle PéliQueen”, par Alter1fo, sous licence CC BY-NC-ND 2.0.

Leave a comment