Le fait montréalais
Le 3 octobre dernier, les électeurs québécois ont été appelés aux urnes pour élire un nouveau gouvernement provincial. Le résultat, aussi unilatéral qu’il en donne l’apparence, mérite toutefois que l’on s’y attarde. En effet, s’il est vrai que la question du « fait français » au Québec fait souvent l’objet de discorde à toutes les échelles, force est de constater qu’un clivage socio-politique se creuse de plus en plus entre la région de Montréal et le reste du Québec; un phénomène qu’il serait juste de qualifier de « fait montréalais. »
Les élections québécoises : une remise à niveau
Les résultats de cette élection sont sans équivoque. Alors que la Coalition Avenir Québec de François Legault a su procéder à un balayage quasi-complet des régions du Québec, les partis de l’opposition (le Parti libéral du Québec, Québec solidaire et le Parti québécois) présentent un total de sièges non-montréalais s’élevant respectivement à quatre, à trois et à deux. C’est donc dire que 88 des 98 sièges disponibles hors de la métropole ont élu leur candidat caquiste, une majorité écrasante aux antipodes des données que l’on retire de Montréal. Dans la ville aux cent clochers, la CAQ n’a su s’imposer qu’au sein de 2 des 27 circonscriptions du territoire, pendant que les Libéraux de Dominique Anglade en ont pris 16 et Québec solidaire (QS), 8.
La province s’étendant sur une superficie un peu plus de trois fois supérieure à celle de la France, force est d’en déduire qu’il est impossible de retrouver une uniformité démographique d’est en ouest. Il nous importe donc, d’abord et avant tout, de nous attarder aux différences démographiques et sociales entre Montréal et le reste du Québec.
Deux facteurs de dissimilitude prépondérants s’imposent : la concentration d’immigrants dans la métropole et la langue, un aspect directement conséquentiel de ces seuils d’immigration élevés. Selon l’Observatoire Grand Montréal, 85,1 pour cent des nouveaux arrivants s’installent à Montréal. À l’inverse, à mesure que l’on s’éloigne du grand centre urbain, l’homogénéité de la population qu’on encontre est exponentielle. De même en va pour la langue maternelle. Le français est la langue maternelle de seulement 50 pour cent des habitants de Montréal, contre 80% pour le reste du Québec.
Au vu de cet état des faits, il est juste d’affirmer que cette dissemblance sociale est à l’origine des divergences entre la province et sa métropole. En effet, peut-on s’attendre à ce que le Rouynorandien moyen, qui évolue dans une municipalité à prédominance blanche et francophone, comprenne la réalité du jeune anglophone de Verdun, issu de l’immigration (et vice-versa)?
Montréal vs. le Québec, vraiment?
Si les cartes électorales nous donnent une compréhension visuelle de la situation, elles explicitent aussi les différences d’opinions et de priorités d’un Québécois à un autre.
Hors-Montréal, les enjeux identitaires prennent une importance de premier plan. En effet, François Legault et son parti ont su jouer sur le tableau de la culture et de l’identité québécoise pour, notamment, s’attirer le soutien de gens chez qui la tangente linguistique montréalaise représente une inquiétude réelle. On pense à sa comparaison du Québec du futur à une nouvelle Louisiane, cet État américain et ancienne colonie française qui a vu sa population de francophones diminuer à près de 2 pour cent au fil de l’histoire.
Cette déclaration à un congrès caquiste en début d’année a provoqué des réactions virulentes de partout. Effectivement, certains partis d’opposition s’en sont pris à M. Legault pour sa comparaison, jugeant qu’elle relève d’une pente fatale peu concordante à la réalité québécoise. Cette déclaration a toutefois jeté les bases d’une ligne directrice assidue tout au long de la campagne caquiste, le parti ayant fait des enjeux aux teneurs nationalistes son cheval de bataille principal. Par exemple, Jean Boulet, ministre de l’Immigration sortant, s’est illustré pour des propos inflammatoires sur les immigrants accueillis par le Québec, déclarant que « 80 pour cent des immigrants s’en vont à Montréal, [et] ne travaillent pas, ne parlent pas français ou n’adhèrent pas aux valeurs de la société québécoise. » Bien que l’idée selon laquelle 80 pour des immigrants vont à Montréal soit juste et représente une problématique véritable, la généralisation qui s’ensuivit fut jugée destructrice par bon nombre de figures politiques au Québec. En effet, les déclarations de ce type viennent rendre difficile toute chance d’identification à la culture québécoise de la part d’immigrants qui, à un taux de 82 pour chez les 25-54 ans, occupent un boulot.
Le peuple québécois, à travers les âges, a dû se battre contre bien des obstacles à la préservation de sa langue et de sa culture. La domination anglophone de son économie, de ses institutions et l’assimilation graduelle proposée par bon nombre de représentants coloniaux britanniques pendant des décennies n’en représentent que certains parmi tant d’autres. Par contre, projeter ce complexe (issu d’une époque où le Québec francophone pâtissait dans un rapport de force inégal) sur les communautés racisées cherchant une vie meilleure chez nous relève d’un lien causal douteux qu’il est nécessaire d’éteindre au plus vite.
À Montréal, où ont été élus députés libéraux et solidaires (à l’exception de la circonscription de Camille-Laurin, où Paul Saint-Pierre-Plamondon, chef du Parti québécois, a triomphé), le pluralisme culturel et linguistique, loin d’être désavoué, est souvent mis de l’avant. Montréal est une plaque tournante plus progressiste et de gauche que les autres villes québécoises. Les enjeux y diffèrent et les politiques des deux partis énoncés précédemment leur correspondent plus favorablement. Ces convictions ne viennent que d’être renforcées par la rhétorique entretenue par le reste du Québec et par le gouvernement caquiste à l’égard de la métropole. En effet, qui pourrait leur en tenir rigueur? Difficile pour les Montréalais aux racines anglophones ou pour les gens issus de l’immigration de s’approprier l’identité québécoise quand on leur martèle leurs fautes et les dommages que leur intégration infligerait à la province. Ces faits ne signifient pas pour autant que Montréal est abjecte de toute critique, cependant. Le discours entretenu par certaines figures montréalaises se caractérise par un mépris envers le reste du Québec. L’élection provinciale a par ailleurs vu naître le Bloc Montréal de Balarama Holness (qui, dans sa course à la mairie de Montréal de 2021, avait pour projet de conférer à la ville le statut bilingue), qui militait à la sécession de Montréal du reste du Québec.
La reconstruction
Tous les partis politiques du Québec s’entendent sur une piste de solution commune, bien que les moyens suggérés pour y arriver divergent les uns des autres : la régionalisation de l’immigration. En effet, le fait que 85 pour cent des nouveaux arrivants s’installent à Montréal est problématique sur tous les tableaux ; bien que la métropole se victimise souvent face aux déclamations du reste du Québec, il demeure impossible d’explorer toute piste de solution avant un retour à l’unité qui animait autrefois le Québec de région en région. Elle doit y faire son bout de chemin. Toutefois, il est présentement impossible de discuter de cette proposition de façon constructive, puisque notre Assemblée nationale demeure éprise de débats nationalistes et identitaires inflammatoires qui empêchent une véritable coopération sur une solution envisageable. Il appartient à tous les partis de s’approprier cet enjeu et d’en débattre avec plus de bienveillance, et moins de sophismes, pour un Québec fier et uni.
Édité par Joseph Abounohra
En couverture : Photo du centre-ville de Montréal par Taxiarchos228 sous licence CC BY 3.0.