Le grand froid au Texas : des coupures d’électricité à la campagne électorale
Mardi 9 février dernier, lors d’une réunion du Conseil de Fiabilité Électrique du Texas (l’ERCOT) – l’organisation opérationnelle du réseau électrique texan – il est brièvement mentionné que des « températures assez glaciales » seraient à prévoir dans les jours à venir. Aucun dispositif ne sera pourtant mis en place.
Moins d’une semaine après, du lundi 15 février jusqu’au vendredi 19 février, l’État du Longhorn se retrouve ainsi plongé dans un véritable vortex polaire. Le climat texan, avoisinant habituellement les 14 degrés celsius à cette période de l’année enregistre, à Dallas, une température minimale record de -18 degrés.
Face au grand froid historique, le Texas a sombré dans une crise sans précédent ou presque. Bien que les vents glaciaux et les chutes de neige soient plus qu’inhabituels, les coupures d’électricité, qui laissent 4,7 millions de foyers sans chauffage sont, elles, les conséquences de négligences et d’inactions récurrentes.
En effet, ce n’est pas la première fois que le Texas affronte de telles catastrophes naturelles et subit des coupures d’électricité résultant d’ouragans, de tornades, ou de records de températures : des froids polaires avaient déjà forcé l’arrêt de centrales électriques texanes en 1989 et en 2011. Une chose est claire, le réseau électrique est défaillant et on observe une inaction structurelle au fil des 30 dernières années de la part des autorités et de l’ERCOT qui ne parviennent pas à assurer la fiabilité du système. Cette défaillance du réseau n’est pas entièrement due à l’incapacité des technologies à résister à des températures extrêmes, mais plutôt à l’organisation même du réseau.
Un réseau électrique indépendant
Afin de mieux comprendre pourquoi la mise en place de réformes est si difficile, il faut d’abord s’intéresser à la structure du réseau électrique texan, qui possède ses particularités. Le Texas est, en effet, le seul État des États-Unis continental à gérer son propre réseau. Le pays est ainsi divisé en trois secteurs : le Eastern Interconnect, le Western Interconnect et le Texas Interconnect. Cette décision texane de se séparer du reste des États-Unis remonte aux années 1930 et avait pour ambition d’échapper à l’interférence de l’autorité fédérale dans l’instauration des prix et des standards de sécurité.
Les secteurs électriques américains sont alimentés par différentes sources d’énergies, telles que le fossile, à hauteur de 60,3%, le nucléaire à 19,7%, ou encore le renouvelable à 19,8%. Ces derniers sont contrôlés par des compagnies privées en collaboration avec des centres de relais publics. Étant donné que les Interconnect Eastern et Western couvrent plusieurs États, les centres de relais d’énergies sont surveillés et régulés par le gouvernement fédéral. Le Texas, gérant un réseau séparé du reste du pays, est forcé de produire ses propres réserves en énergie. Or, l’indépendance gouvernementale a son prix : lors de coupures de courant importantes, l’ERCOT ne peut pas compter sur l’apport électrique de ses voisins.
À la suite des incidents de 1989 et de 2011, l’ERCOT avait reçu pour recommandation du gouvernement de moderniser ses infrastructures afin d’améliorer leur résistance face aux températures extrêmes. La modernisation étant coûteuse, elle ne s’aligne pas forcément avec les intérêts privés et la recherche de maximisation du profit des fournisseurs d’électricité texans. Les fournisseurs de l’électricité et l’ERCOT sont donc dans le droit de ne pas considérer ces recommendations fédérales, et continuent de s’enrichir quoi qu’il arrive en étant les seuls bénéficiaires d’un tel système.
Les difficultées rencontrées par le réseau électrique texan sont donc une conséquence directe de cette émancipation vis-à-vis de l’autorité fédérale. La capacité du réseau à affronter de tels climats et autres catastrophes naturelles dépend donc des seuls efforts des élus locaux. Et pour le moment, on peut supposer sans risque que les coupures d’électricité continueront à avoir lieu tant que le système électrique dépendra entièrement du domaine privé.
Une crise d’abord économique…
Le grand froid qui a débarqué au Texas et les coupures d’électricité qui en ont découlé n’ont pas été sans conséquences sur l’économie, déjà affaiblie par la pandémie. Tous les commerces, restaurants et services risquant de faciliter la transmission de la COVID-19 avaient été forcés de fermer suite à un décret signé en mars puis renouvelé en janvier par le gouverneur du Texas, Greg Abbott.
En plus des restrictions liées à la pandémie, la défaillance du réseau énergétique n’a fait que ralentir un peu plus les activités économiques tout en déclenchant un fort déséquilibre au sein du marché de l’électricité. En effet, en réponse aux températures glaciales, la consommation de chauffage au Texas a augmenté de manière exponentielle. La demande d’électricité a dépassé l’offre et c’est ainsi que des millions de foyers se sont retrouvés coupés du réseau; avec des montants de factures extrêmement élevés. Le prix moyen de l’électricité, normalement fixé à $50 par mégawattheure s’est ainsi retrouvé à plus de $9,000 par mégawattheure.
En tout et pour tout, les réparations liées aux dégâts matériels causés par la tempête sont estimés à environ $20 milliards de dollars. Au-delà de l’incapacité de l’ERCOT à fournir un réseau sûr et fiable, la dégradation de la situation économique de nombreux Texans a suscité la colère, notamment à l’égard du gouverneur Greg Abbott.
…rapidement tournée politique
En réponse à la colère texane et avec l’intention de remédier, non seulement aux pertes liées à la COVID-19 mais également à la mauvaise gestion de la crise énergétique, Greg Abbott – gouverneur républicain du Texas élu en 2014 – a annoncé le 2 mars l’arrêt des restrictions sanitaires. Tous les commerces ont donc eu la possibilité de rouvrir, et le port du masque n’est désormais plus obligatoire et ce, malgré le nombre de cas toujours élevé.
Cette décision controversée, également prise par l’État républicain du Mississippi, a suscité des critiques du côté démocrate. Des États bleus, tels que la Californie et New York, ont dénoncé « l’absurdité » de telles mesures. Joe Biden a même qualifié ces nouvelles mesures de « raisonnement Néandertal » tandis que son administration a conseillé aux Américains de rester patients et de maintenir le port du masque afin de permettre à la campagne de vaccination de porter ses fruits.
En réponse au Président Biden, Greg Abbott a simplement exprimé sa confiance envers les Texans, qu’il juge vigilants. Ainsi, selon le gouverneur, sa décision de relancer l’économie n’empêchera pas les efforts de freiner la pandémie.
En permettant la ré-ouverture des commerces et restaurants à capacité maximale, Greg Abbott cherche donc à accomplir deux objectifs. Du côté sanitaire, le gouverneur souhaite marquer l’émancipation du Texas face à l’institution fédérale américaine, comme du côté électrique, où le message est clair : le Texas demeure autonome, indépendant et républicain. Ensuite, la décision du gouverneur a une réelle connotation politique avec la volonté de maintenir une opinion favorable auprès de la population texane.
Élections de 2022 : à quoi s’attendre ?
À l’approche des élections de 2022 au Texas, les nouvelles mesures de Greg Abbott s’annoncent comme un nouveau pas dans la course entre démocrates et républicains. Si le Texas n’est pas officiellement qualifié de « swing state », l’écart entre la popularité des deux partis se rétrécit progressivement. Au sein de la population texane, les opinions sur l’annonce du gouverneur restent divisées.
Reste donc à savoir si la levée des restrictions sanitaires, bien que permettant de relancer l’activité économique, suffira à faire oublier l’inaction structurelle de l’ERCOT. Si elle satisfait la population sur le court-terme, l’incapacité des autorités texanes à exiger la mise en place de réformes du secteur énergétique pourrait mettre en péril la confiance du peuple et celle du reste du pays. Enfin, les statistiques ne sont pas encore assez claires pour déterminer si le Texas saura surmonter les conséquences d’une situation sanitaire aggravante. Pour le moment, l’État reste républicain, et maintient son identité indépendante.
Édité par Anja Helliot.
Image de couverture : Paysage enneigé autour du capitole du Texas, à Austin, le 15 février 2021. Photo prise par Jno.skinner. Sous licence CC BY-SA 4.0.