L’école à distance chez les plus vulnérables
Innovations et résilience
La pandémie de la COVID-19 a interrompu des millions de vies et d’opportunités. Entre autres, 1,2 milliard d’enfants dans le monde ont vu leurs pupitres et salles de classe se métamorphoser en un souvenir lointain. La fermeture des écoles a été, et continue d’être, un des enjeux majeurs découlant de la crise sanitaire. Il est alors pertinent de se demander comment elle affecte les millions d’enfants qui étaient déjà aux confins des systèmes d’éducation. Dans les camps de réfugiés, par exemple, la scolarisation des enfants constituait déjà un défi colossal. Mais si des millions d’enfants ont vu leur situation s’aggraver, la pandémie semble aussi avoir insufflé résilience et créativité dans le monde de l’éducation. En effet, plusieurs organisations ont mis en œuvre des projets prometteurs visant à promouvoir l’accès à l’éducation dans leurs pays.
En 2019, l’UNESCO a recensé 258 millions de jeunes âgés de 6 à 17 ans n’ayant pas accès à l’école. La déscolarisation est un fléau qui touche énormément les enfants provenant des zones de conflit, et 50% des enfants d’âge primaire dans le monde viennent de ces zones. Alors que le nombre d’enfants réfugiés augmente, les obstacles à l’éducation continuent aussi de croître : selon l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, 4 millions d’enfants réfugiés n’étaient pas scolarisés en 2018, ce qui représente une augmentation d’un demi-million par rapport à l’année précédente. Outre les réfugiés, plusieurs enfants des communautés marginalisées des pays en développement n’ont pas accès à une école dans leur village, ou doivent travailler pour contribuer au revenu familial, rendant la situation encore plus problématique.
La crise sanitaire a exacerbé l’incertitude vécue par ces populations vulnérables et a limité davantage leur accès à l’éducation. L’UNESCO s’attend à voir une forte augmentation des chiffres concernant la déscolarisation de ces enfants et prévient des effets à long terme : il est parfois difficile de faire revenir sur le chemin de l’école les écoliers qui l’ont quittée. Selon Sobhi Tawil, directeur du futur de l’éducation et de l’innovation à l’UNESCO, « après des fermetures d’écoles liées à diverses crises comme Ebola ou des conflits armés […] il y a une incidence sur le non-retour d’élèves. Donc plus longue sera l’interruption éducative, plus élevé est le risque de non-retour. » La déscolarisation massive occasionnée par la COVID-19 risque de creuser davantage les inégalités sociales entre les enfants à travers le monde.
Cependant, les interruptions de l’éducation causées par la pandémie ont également stimulé la création d’une gamme de nouveaux outils éducatifs, ainsi que de plateformes d’apprentissage alternatives. De même, certains pays ont réussi à mettre en œuvre des solutions d’école à distance. Certes, dans certaines régions comme l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe, qui étaient déjà parmi les plus touchées par la déscolarisation avant la pandémie, au moins un enfant sur deux n’a pas accès aux programmes d’école à distance. En Asie du Sud, 147 millions d’enfants n’ont pas accès à l’apprentissage nouvellement numérisé.
Néanmoins, la crise sanitaire a – bien que marginalement – engendré de multiples actions promouvant l’accès à l’éducation pour tous. Par la mise en place d’applications, de cours à la radio et à la télévision, de tutorat virtuel et d’autres formes d’enseignement à distance, plusieurs pays et organisations ont constaté que l’éducation peut se faire en dehors des murs d’une école, stimulant ainsi l’innovation à l’échelle mondiale. En effet, la communauté internationale a témoigné des efforts sans précédent des gouvernements et des organisations éducatives afin de protéger la continuité de l’apprentissage. Ce qui est intéressant, c’est que ces innovations permettraient même de toucher des enfants qui n’avaient pas accès à l’école avant la crise.
Entre autres, au nord de l’Irak, 370 000 enfants ont eu accès à des cours à distance dans leur propre dialecte. L’Irak a profité de cette opportunité pour diminuer les barrières linguistiques dans l’accès à l’éducation : avec l’aide de l’UNICEF, le gouvernement irakien a réussi à diffuser des cours pour toutes les années en 7 langues, soit en arabe, en kurde, en sorani, en badini, en turkmène, en syriaque et en anglais. Cette initiative a donc permis de rejoindre des enfants de milieux différents, qui n’avaient pas tous nécessairement accès à des cours dans leur langue auparavant. En Côte d’Ivoire, la nouvelle plateforme Mon école à la maison offre des ressources éducatives et des cours pour tous les niveaux, accessibles par télévision satellite, par radio et aussi par SMS, afin d’atteindre le plus grand nombre d’élèves possible. Effectivement, à travers le monde, beaucoup de ces plateformes, en plus d’être accessibles par téléphone mobile ou par Internet, sont également offertes hors-ligne (par radio ou satellite), afin que les enfants n’ayant pas de connexion au réseau puissent en profiter. Au Liban, les élèves utilisent la plateforme électronique Tabshoura, qui ne demande presque pas d’électricité : elle a ainsi été très utile pour les habitants des camps de réfugiés et des communautés rurales du pays. Plusieurs de ces plateformes ont donc permis de rejoindre des enfants qui n’étaient pas auparavant scolarisés, et ce, pour la plupart, sans frais supplémentaires.
Ces initiatives survivront-elles une fois la crise sanitaire résolue et les écoles rouvertes ? Ces plateformes numériques permettent la scolarisation de certains enfants auparavant délaissés par le système, mais ces initiatives ont avant tout été alimentées par la pandémie. Reste à savoir si ce sont des solutions à court terme ou si elles resteront à long terme pour devenir la norme. De même, il demeure d’importantes barrières dans l’accès à l’éducation à distance, comme le manque de connexion Internet, d’électricité ou de support familial. En effet, la disparité entre certaines régions quant à l’accès aux outils d’enseignement à distance est importante : par manque d’Internet ou d’électricité, seulement 20% des ménages en Afrique subsaharienne ont accès au matériel pédagogique à distance, versus 85% des ménages en Europe. D’ailleurs, l’efficacité de l’éducation numérique à long terme dans ces communautés marginalisées est encore à vérifier. Néanmoins, la pandémie de la COVID-19 a illustré qu’en réinventant nos méthodes et nos approches éducatives, nous pouvons rejoindre une plus grande diversité de jeunes, issus de milieux différents, et ainsi atténuer les inégalités quant à l’accès à l’éducation.
Photo de couverture : Des enfants dans une salle de classe en Ouganda. Photo par Jay Hsu, sous licence CC BY-NC 2.0.
Édité par Maria Laura Chobadindegui